L’Iran s’est toujours distingué, tout le long de l’Histoire, de sa capacité à conquérir ses vainqueurs et à s’adapter en adoptant parfois leur symbolique et en la modifiant pour préserver son âme et renaître de ses cendres le moment venu.
Par Dr Mounir Hanablia *
L’Iran est un pays désertique et montagneux qui se trouve à cheval entre quatre mondes: la Mésopotamie, le plateau anatolien avec les montagnes du Caucase, la steppe asiatique, et l’Inde, dont il a subi les influences. Mais les Ariens n’ont commencé à y apparaître que vers 1500 avant l’Ère Universelle, en Elam, un pays dont on ne sait à peu près rien qui se trouve dans la Perside, et leur origine semble se situer dans l’Oural et la Russie du Sud, et ils sont arrivés par le Caucase à l’Ouest, et par la Sogdiane à l’Est. Mais c’est avec la destruction de l’Empire assyrien par les Mèdes et les Babyloniens que le premier Etat iranien a pris son essor vers 600 avant l’EU. Ceux-ci ont fini par être détrônés par les Perses, originaire du Fars, et Cyrus fonda la dynastie des Achéménides qui occupa l’Egypte, la Syrie, l’Anatolie, la Mésopotamie, à l’Ouest, le Khorassan et l’Afghanistan à l’Est.
A la croisée des civilisations
Néanmoins, l’échec perse face aux Grecs fut lourd de conséquences, et les Macédoniens sous Alexandre conquirent l’empire jusqu’en Transoxiane et au Punjab. C’est l’Est de l’Iran avec l’émergence des Parthes originaires du Khorassan qui se libéra le premier de l’occupation macédonienne, pour se heurter à la nouvelle puissance romaine qui avait abattu les Séleucides.
Les guerres entre Romains et Parthes furent longues et incertaines et eurent pour enjeu la Mésopotamie, mais les Perses qui supplantèrent les Parthes émergèrent de nouveau avec la fondation de l’empire Sassanide par Ardashir.
Les Sassanides poursuivirent les guerres contre les Romains en Mésopotamie et en Arménie avec des fortunes variables, mais ils furent écrasés par la nouvelle puissance de l’islam.
Quelle a été la contribution originale de l’Iran à l’histoire humaine?
Les Achéménides, les Parthes et les Sassanides furent des Etats multinationaux ainsi que l’attestent les inscriptions taillées dans plusieurs langues tout le long de l’histoire (pahlavi, araméen, grec, sous les Parthes par exemple) et l’Iran fut toujours influencé par la Mésopotamie, dont il emprunta souvent l’écriture, cunéiforme ou araméenne, plus tard arabe, une partie du langage, ainsi que l’organisation politique.
L’influence du grec disparut au cours de la seconde moitié de l’Empire Parthe. Mais les Iraniens influencèrent également les Etats indiens du nord-ouest et la stèle de l’empereur Maurya Açoka est là pour le rappeler.
Par ailleurs les Iraniens furent la plupart du temps tolérants et respectèrent sur le plan religieux les convictions des peuples conquis; et jusqu’à la constitution d’une religion d’Etat, les persécutions furent rares. Mais plus que tout, ce que l’on doit à l’Iran c’est l’apparition d’une éthique religieuse avec le prophète Zoroastre et l’obligation de faire le bien et de combattre le mal représenté par Ahriman en qui d’aucuns ont vu Satan. Mais avec l’adoption du christianisme par l’empereur Constantin en 313, les guerres contre l’Empire Romain s’apparentent de plus en plus à des Croisades. Celles-ci ont donc débuté avant l’arrivée de l’islam.
La légitimité conférée par l’islam
L’église zoroastrienne disparut avec la conquête musulmane , tout comme les scories liées à l’emprise exercées par les prêtres mazdéens se servant de pratiques magiques et ésotériques, mais les Iraniens ainsi qu’ils l’avaient fait lors de la conquête macédonienne s’imposèrent à leurs vainqueurs en introduisant au sein de l’administration leurs coutumes, leur organisation, leur efficacité et sur un autre plan leur tradition, et leur art (dessins polychromiques, mono-graphisme, architecture en coupoles et en arc) a beaucoup influencé ce qui allait être connu comme étant caractéristique de l’islam.
Avec le chiisme devenu religion d’Etat, cette renaissance du zoroastrisme a pris une nouvelle forme, et les ayatollahs se sont substitués aux anciens mages, mais la croyance en un sauveur a persisté.
A l’inverse, l’étoile et le croissant, des symboles typiquement mazdéens, caractérisent désormais de nos jours les bannières des pays musulmans sunnites.
Avec les Bouyides, les Samanides et les Saffawides, les dynasties iraniennes se sont servies de la légitimité conférée par l’islam pour assoir leur pouvoir et ont commencé à combattre les hérésies locales qui pouvaient le menacer.
Une terre de contestation religieuse
Malgré tout, l’Iran demeura une terre de contestation religieuse, et depuis les Sassanides, avec Mani, Mazdak, les hérésies ne furent pas rares et les prophètes finirent souvent martyrisés, par l’autorité séculière.
Au XIXe, le sort du Bab ne dérogera pas à la norme. En réalité, l’esprit inquisitorial combattant toutes les dissidences qui prévaut aujourd’hui dans les pays musulmans a été l’un des legs de l’Etat Sassanide au Califat Abbasside.
Si l’islam est sorti de sa sphère étroitement arabe pour devenir une religion mondiale, il le doit beaucoup aux Iraniens, mais le legs a donc eu aussi quelques aspects négatifs, dont ce caractère rigoriste qui continue de le caractériser et qui en réalité lui est étranger.
Quant à l’organisation en millet, communautés, plus tard adoptée par les califes ottomans, elle a été empruntée à l’Etat Sassanide.
La renaissance de la culture iranienne s’est étendue vers tout le nord de l’Inde, l’Afghanistan, et le Khwarezm jusqu’aux confins de la Chine. Le dari, la langue persane, est depuis parlée dans ces régions parce que les Iraniens se sont faits les auxiliaires des guerriers arabes dans leurs conquêtes pour administrer les régions occupées. Le persan influencera d’une manière décisive l’urdu, la langue parlée par les empires musulmans du nord de l’Inde.
C’est donc la capacité de l’Iran à conquérir ses vainqueurs et à s’adapter en adoptant parfois leur symbolique et en la modifiant pour préserver son âme et renaître de ses cendres le moment venu, qui a lui a conféré tout le long de l’Histoire, cette marque si particulière.
* Médecin de libre pratique.
‘‘The Heritage of Persia”, de Richard N. Frye, The World Publishing Company, première edition 1963, 301 pages.
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