Alors que la solution des deux Etats s’avère irréaliste voire irréalisable, le retour à la solution, utopique, d’un seul Etat pourrait être la seule issue au problème israélo-palestinien.
Par Fawzi Mellah *
Une insouciance dangereuse
Qui se préoccupe encore du sort des Palestiniens?
Quelle chancellerie oserait aujourd’hui fâcher Israël en exigeant de remettre la question palestinienne à l’ordre du jour des réunions internationales ?
Hélas, ni les Américains, ni les Russes, ni les Européens, ni même les Arabes, ne semblent prêts à le faire. Obnubilés par les guerres en Syrie, au Yémen, en Libye, occupés à échafauder des plans de lutte contre l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech) et le terrorisme, fixant d’un oeil angoissé la courbe du prix du pétrole, les diplomates se sont résignés au statut quo en Palestine : pas de retrait des territoires occupés, pas d’Etat palestinien, pas de retour des réfugiés, pas de frontières reconnues, pas la moindre concession sur Jérusalem…
Camp David I, Madrid, Oslo, Camp David II, toutes ces simagrées n’ont fait que noyer l’affaire dans cette brume opaque que les diplomates appellent cyniquement le processus de paix. Un processus sans but ni lendemain…
Auquel plus personne ne croit… Sauf que, pendant ce temps, les Palestiniens continuent – hélas! – de souffrir et de mourir… Mais qui s’en soucie?
Grave et dangereuse, cette insouciance dont on fait preuve aujourd’hui face au drame palestinien ne fait qu’exaspérer les ressentiments, justifier les violences et perpétuer les tensions dans une région qui ne cesse de souffrir depuis un siècle.
Concernant les Palestiniens, tout le monde sait que le statut quo qu’on leur impose est inacceptable et invivable. Il constitue un défi permanent non seulement à la dignité de ces millions d’hommes et de femmes mais aussi à la légalité internationale.
En permettant à Israël de continuer à s’étendre et à annexer des pans entiers des territoires occupés, en fermant les yeux sur les violations répétées des accords et des promesses faites aux Palestiniens, on continue à alimenter le brasier qui a fait du Proche-Orient une poudrière infernale.
Il faut tout de même rappeler que le conflit israélo-palestinien est si ancien (un des plus anciens de l’histoire contemporaine) qu’il a fini par constituer la matrice de toutes les guerres et de toutes les violences que nous connaissons depuis 1948. Sept décennies de larmes, de sang et de destruction! Et les diplomates regardent ailleurs!
La chimère des deux Etats
Alors, que faire?
Il y a trente ans, nous étions nombreux à défendre la solution d’un seul Etat. Un Etat démocratique et laïc regroupant sur le même territoire et sous la même bannière Juifs et Arabes. C’était même le projet défendu officiellement par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Sa Charte de l’époque en témoigne(1).
Or, dans les années 70, cédant aux pressions internationales, l’OLP avait accepté d’amender sa Charte en effaçant toute référence à l’Etat démocratique et laïc et en adhérant loyalement à la solution des deux Etats préconisée par la plupart des acteurs et des médiateurs de l’époque. Fort bien! Les dirigeants palestiniens ayant décidé de choisir cette option, ceux qui militaient pour l’Etat démocratique et laïc renoncèrent à ce projet pour se rallier à la solution des deux Etats dans l’espoir de voir enfin le bout du tunnel.
Au milieu des années 80, tous les espoirs étaient encore permis. L’OLP avait fait les concessions nécessaires, les Palestiniens n’allaient pas tarder à avoir leur Etat, Israël allait retourner peu ou prou à ses frontières de 1967, le cycle infernal du sang et des larmes allait cesser et le Proche-Orient entrer enfin dans un phase de paix et de développement.
Après moult négociations toutes ponctuées par des concessions unilatérales faites par les Palestiniens, que reste-t-il de ces espoirs et de ces rêves? Pas grand chose. Une belle cérémonie à la Maison Blanche, une poignée de mains entre Arafat et Rabin, un Clinton rayonnant, un prix Nobel de la paix… Mais, sur le fond, encore plus de colonies dans les territoires occupés, plus de répressions à Gaza et en Cisjordanie, plus de désespoir, plus de violence, plus d’impuissance…
On est donc bien obligé de constater que c’est maintenant la solution des deux Etats qui s’avère irréaliste. Israël s’y oppose de toutes ses forces; et les Palestiniens n’ont pas les moyens de retourner le rapport de forces en leur faveur. Sauf à être sourd et aveugle, il faut donc convenir que l’Etat palestinien n’est pas prêt de voir le jour.
Pour des raisons démographiques, économiques et idéologiques, Israël n’a jamais voulu – et ne voudra jamais – d’un tel Etat à Gaza et en Cisjordanie. Pour leur part, les Palestiniens n’ont pas – et n’auront pas dans un avenir prévisible – les moyens militaires et politiques pour imposer leur volonté. Disons-le alors sans ambages, il n’y aura pas d’Etat palestinien. La solution des deux Etats s’étant enlisée dans les sables mouvants des processus de paix…
Que nous reste-t-il?
Une guerre permanente qui finira par étouffer Israël et tuer encore plus de Palestiniens, ou bien, ultime sursaut de sagesse, un seul Etat regroupant sur pied d’égalité citoyens juifs et citoyens arabes.
Quoi? Un seul Etat après tant de guerres, de haine et de fureur. C’est impossible!, s’exclameront les réalistes… Ceux qui n’avaient pas vu venir la fin de l’apartheid avec Mandela et la réunification de l’Allemagne avec Kohl…
Il faut bien que les guerres se terminent; et la nôtre n’a que trop duré.
Les autres issues étant bloquées, tenter au moins d’explorer l’idée d’un seul Etat.
Outre qu’elle nous sortira de l’impasse sanglante dans laquelle nous vivons depuis des décennies, cette solution serait exemplaire dans une région ravagée par les confessionnalismes et les replis identitaires.
* Ecrivain.
Note :
1 – Pour ma part, j’avais défendu cette solution dans un dossier publié par ‘‘L’Hebdo’’ il y a une trentaine d’années. En homme censé et réaliste, Jacques Pilet avait alors rejeté cette idée qu’il jugeait utopique, pour ne pas dire fantaisiste…
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