Si elle parvient à augmenter sa production de phosphate à 10 millions de tonnes par an, la Tunisie pourrait réaliser, sur 10 ans, une recette de près de 100 milliards de dinars, soit plus 90% de l’ensemble de sa dette intérieure et extérieure. Le calcul étant ainsi fait, il reste l’essentiel : des décisions fermes et, surtout, mises à exécution sans plus tarder.
Par Mohamed Rebai *
Les phosphates sont utilisés dans l’agriculture comme engrais en tant que source de phosphore. Ces engrais peuvent être d’origine organique (poudre d’os, arêtes de poissons…) ou inorganique (attaque d’acide sur du minerai), ce qui est de plus en plus le cas.
L’utilisation des phosphates et dérivés vont continuer à croître et les prix augmenter de 500 à 1000% dans les vingt à trente ans à venir. D’autant que l’agriculture n’est pas près de se passer des engrais (phosphates, potasse et azote).
En 2018, environ 8,5 millions de tonnes (Mt) de phosphates sont produites dans le monde chaque seconde, soit 270 millions de tonnes par an. La Chine (110 Mt) et le Maroc (36 Mt) produisent les deux tiers de la production mondiale.
La Tunisie, quatrième producteur mondial de phosphate a vu sa production atteindre les 8,2 Mt en 2010, mais celle-ci a considérablement diminué après le soulèvement de janvier 2011, avec seulement 2,6 Mt produites en 2016 pour passer à 3,8 Mt en 2021, toujours en-deçà des capacités et des objectifs.
Retrouver la production de… 2010
La Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) table cette année 2023 sur une production de 5,6 Mt pour atteindre en 2025/2026 une production voisinant les 10 Mt. Pour y arriver, un rythme mensuel de 400 000 tonnes devra être maintenu sur les différentes unités de production à Metlaoui, Medhilla, Om Laârayes et Redeyef.
Les cours du phosphate brut se stabilisent actuellement à 320 dollars la tonne, marquant une envolée de 81% depuis début 2022 et de 117% sur un an, selon la note de conjoncture d’octobre de la Direction des études et des prévisions financières (DEPF) du Maroc.
Un simple calcul nous montre que les recettes provenant de l’exportation du phosphate brut, sans compter les produits dérivés, pourraient atteindre 9,76 milliards de dinars (320 USD x 10Mt x 3,05). Sur 10 ans, nous pourrions nous retrouver avec un pactole de 97,6 milliards de dinars ce qui représente 90% de l’ensemble de la dette intérieure et extérieure du pays. Quels énorme gâchis !
Ce dossier épineux qui a donné du fil à retordre à tous les gouvernements successifs a été examiné récemment par le Conseil de sécurité nationale présidé par le président de la république Kaïs Saïed. Or tout le monde sait que des parties politico-syndicales ont perturbé la production jusqu’à atteindre son plancher actuel. Celles-ci ont également donné un coup de massue au transport ferroviaire assuré par l’Etat pour le remplacer par des camions loués par des sociétés privées. C’était la poule aux œufs d’or volée par des pillards de tout acabit.
Mettre la mafia du transport hors d’état de nuire
La mafia qui contrôle honteusement le secteur des transports de phosphate facture ses services à 25 dinars la tonne alors que par train le tarif ne dépasse pas les 7 dinars ! Pour se faire une rente éternelle, elle soudoie des pseudos chômeurs pour qu’ils bloquent la voie en mettant des obstacles sur les rails.
N’est-il pas temps d’agir avec fermeté et doigté en vue de démêler les nœuds de cette affaire complexe qui met en jeu d’énormes intérêts croisés et sur laquelle plane encore de nombreux mystères ? Est-il encore permis de laisser une minorité de voleurs accaparer une richesse nationale aussi importante et dont le pays a vraiment besoin pour remédier à son grave déficit financier ?
Non bien sûr, mais ce ne sont pas les déclarations populistes sans lendemain qui vont libérer la machine de production, mais des décisions concrètes et, surtout, suivies d’effet. C’est ce qui a le plus manqué au cours des dix dernières années, marquées par un affaissement de la puissance publique.
* Economiste.
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