Devenir les garde-côtes d’une Europe qui se barricade de plus en plus est déjà déshonorant pour nous autres Tunisiens, mais si on allait aussi faire le sale boulot que les Européens se gardent, eux, de faire, ce serait le déshonneur absolu pour une nation qui se targue encore d’avoir donné son nom au continent africain.
Par Imed Bahri
InfoMigrants a publié un article intitulé «Naufrage en Tunisie : Les rescapés racontent que les garde-côtes ont jeté du gaz lacrymogène dans le canot». Les faits rapportés sont d’une telle gravité que les autorités tunisiennes se doivent de réagir et d’apporter leur version de l’histoire.
Selon le site d’information qui se donne pour mission de «lutter contre la désinformation dont sont victimes les migrants», citant «différentes sources en Tunisie», une embarcation de 97 personnes a chaviré jeudi 22 juin au large de Sfax, dans le centre-est de la Tunisie. «D’après une des rares survivantes, les garde-côtes tunisiens ont lancé du gaz lacrymogène dans l’embarcation provoquant une panique à bord et le naufrage du canot. Des enfants sont morts noyés. Une vingtaine de personnes auraient été secourues», écrit InfoMigrants.
Du gaz lacrymogène dans l’embarcation
Ce 22 juin, les autorités ont parlé de 3 naufrages de bateaux de migrants au large des côtes de Sfax ayant fait 3 morts, 12 portés disparus et 152 personnes secourues. Or, citant des «témoins», InfoMigrants parle d’un 4e naufrage. «Ce que l’on sait, c’est que ce naufrage a eu lieu peu après le départ, non loin des côtes de Sfax», explique Eric Tchata, président de la diaspora camerounaise en Tunisie, cité par InfoMigrants. «Il y avait 97 personnes à bord, d’après les dires d’une des rescapées».
«Cette survivante, mère de famille, Claire*, a perdu son fils de cinq ans dans l’accident. Le corps de son petit garçon a été repêché peu de temps après le drame. Il est actuellement à la morgue de Sfax. Claire a raconté sa version des faits à Éric Tchata à qui elle demande de l’aide pour faire rapatrier le corps de son fils au Cameroun. Elle blâme les garde-côtes tunisiens, responsables du naufrage», écrit le journal. Il ajoute : «Claire nous a dit que les garde-côtes tournaient autour du bateau pour faire des vagues. Et puis qu’ils avaient lancé à plusieurs reprises du gaz lacrymogène dans l’embarcation. Il y a eu un mouvement de panique et le canot s’est retourné. Selon elle, une vingtaine d’exilés ont été secourus par les forces tunisiennes. Il y aurait donc au moins 70 morts. Une autre femme était à bord de l’embarcation avec ses jumeaux. L’un des deux est décédé pendant le naufrage, a-t-elle également confié à Éric Tchata.»
Sans donner totalement crédit à ce récit qui glace le sang dans les veines, et sans l’infirmer non plus, en attendant que les autorités tunisiennes y réagissent, on constatera que des faits similaires sont rapportés par plusieurs témoins, y compris des rescapés tunisiens ou des familles de disparus qui ont accusé les garde-côtes tunisiens d’avoir provoqué, par leurs manœuvres, le naufrage de plusieurs barques et la noyade de dizaines de migrants dont les corps continuent d’être rejetés par la mer.
Il y a lieu d’avoir de sérieuses inquiétudes
Si l’accord sur la migration actuellement en cours de finalisation entre la Tunisie et l’Union européenne va se traduire par une multiplication de ce genre d’«accidents» au large des côtes tunisiennes ou de graves dérapages policiers dans les zones de concentration des candidats à la migration, à Sfax, Mahdia ou Zarzis, il y a lieu d’avoir de sérieuses inquiétudes quand à l’avenir de notre pays et à la détérioration de son image, déjà largement abîmée, au sein de la communauté internationale.
Devenir les garde-côtes d’une Europe qui se barricade de plus en plus est déjà déshonorant pour nous autres Tunisiens, et si on allait aussi faire le sale boulot de bourreaux que les Européens se gardent, eux, de faire pour ne pas perdre totalement la face au regard de leurs propres opinions publiques, ce serait le déshonneur absolu pour une nation qui se targue encore d’avoir donné son nom au continent africain.
La pauvreté n’est pas un crime, mais l’argent sale – et c’est le cas de le dire – l’est à coup sûr.
* Le prénom a été changé.
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