N’est pas Bourguiba qui veut: Béji Caïd Essebsi et son hypothétique successeur.
Le président Caïd Essebsi, fondateur de Nidaa Tounes, un parti dans un état avancé de déliquescence, est en train de terminer une riche carrière politique sur une fausse note.
Par Salah El-Gharbi
Le projet de loi portant sur la «réconciliation économique et financière», proposé par la présidence de la république, fait de nouveau surface pour donner du grain à moudre à une opposition aux aguets. Et qui, faute d’idées et de programmes, fait feu de tout bois et monte sur ses grands chevaux au moindre soupçon d’une volonté de retour au népotisme et à la dictature.
Art de l’esquive et tactique de l’évitement
Faute d’apaiser les tensions, l’offre politique de «réconciliation», pour légitime et défendable qu’elle puisse paraître, bien qu’on surestime l’intérêt qu’elle présenterait pour le pays sur le plan économique, est en train d’alimenter un débat oiseux loin des questions essentielles.
Initié dès le début de l’actuelle législature, ce projet serait brandi chaque fois que le président se trouve en mal d’inspiration politique. «C’est la tactique de l’évitement», disent certains, une sorte de jeu de diversion qui permettrait à Beji Caid Essebsi de focaliser l’attention du public sur une question qui, quoi qu’on dise, ne saurait en aucun cas calmer les multiples frustrations de la population et établir un réel équilibre des forces politiques sans lequel il n’y aurait ni sécurité, ni prospérité.
En fait, M. Caid Essebsi qui, dans ses entretiens, manie bien l’art de l’esquive, des dérobades et des réponses évasives, est toujours dans la posture. Ainsi, quand il a prôné la mise en place d’un «code des libertés», une initiative vite saluée par tous les vrais démocrates du pays, était-ce par conviction, ou uniquement pour détourner l’attention de ses détracteurs?
Il est permis d’en douter, surtout lorsqu’on l’entend pourfendre le journaliste Zied Krichen, traité d’inquisiteur (il le qualifie même, dans un entretien à une télé étrangère, de «juge d’instruction»), rien que parce qu’il l’avait interloqué sur des questions en rapport avec son fils et sa responsabilité dans le pourrissement de la situation au sein du parti Nidaa Tounes.
D’ailleurs, depuis, le chef de l’Etat, semble devenu plus prudent en prenant soin de bien choisir «ses» journalistes en fonction de leur degré de bienveillance à son égard.
Borhen Bsaies appelé au chevet de Nidaa Tounes: Pourquoi ne pas faire revenir Ben Ali et Abdelwaheb Abdallah?
De quoi regretter Ben Ali et Ben Dhia
Ainsi, face à la crise politique et économique, qui pourrit sournoisement la vie publique, que font nos gouvernants d’autre qu’ajouter du trouble au trouble. Il semblerait que le président, incapable d’affronter la réalité du délabrement de Nidaa, dont il serait responsable directement et indirectement, chercherait, en déterrant le projet de loi en question, à mobiliser le noyau dur de son mouvement, à savoir les nostalgiques du RCD, l’ancien parti dominant sous la dictature de Ben Ali. Faute de pouvoir créer une vraie dynamique politique en phase avec les aspirations des gens et des nécessités du moment, il serait réduit à offrir aux Tunisiens du réchauffé.
D’ailleurs, cette campagne en faveur de ladite «réconciliation» se trouve, étrangement, accompagnée par une sorte de refondation de Nidaa, dans sa «nouvelle» version, dont Borhen Bsaies, l’ancien thuriféraire et propagandiste du dictateur Ben Ali, serait le nouvel idéologue. «Il y a de quoi regretter Ben Ali et son conseiller Ben Dhia», disent certains.
Pis encore, depuis quelques jours, une campagne sur les réseaux sociaux est orchestrée pour dénoncer les ennemis de Hafedh Caïd Essebsi, le «fils du président», chef autoproclamé du parti fondé par son papa… ces «bobos aigris», qui mépriseraient la volonté du peuple en s’acharnant sur le «directeur exécutif» de Nidaa.
A l’heure où l’autorité de l’Etat se trouve bafouée par les sympathisants d’un parti du gouvernement, en l’occurrence le parti islamiste Ennahdha (comme lors des agitations d’El-Jem pour faire fermer un magasin vendant les boissons alcoolisées), où l’action des membres du gouvernement se trouve hypothéquée par les dirigeants de certains corps sociaux intermédiaires dictant leurs volontés à l’exécutif, où le locataire du palais de la Kasbah, parfaitement inaudible, voit son action entravée par des membres de sa propre famille politique, n’est-il pas permis de se poser des questions sur l’opportunité de l’initiative présidentielle?
Béji caïd Essebsi aurait, dit-on, les faveurs des sondages. Ce serait le seul argument dont les hommes du sérail aiment se prévaloir. Leur seul souci, c’est l’image du Prince. Certes, il est possible que l’actuel chef de l’Etat jouisse encore, faute de mieux, de la confiance d’une petite majorité de Tunisiens. Mais, est-il, pour autant, concevable que ce vieux routier de la politique, qui agit activement en faveur du règlement d’un conflit aussi complexe que celui de Libye, soit dans l’incapacité de résoudre l’imbroglio qui déstabilise le «premier» parti au pouvoir, qui plus est, à cause des manœuvres «politichiennes» de son propre fils, adossé à une smala de lobbyistes aussi louches que médiocres? C’est la question à laquelle beaucoup de Tunisiens ont du mal à trouver une réponse.
Que Nidaa, dans son nouvel apparat, réussisse le pari de s’imposer aux prochaines municipales, ou qu’il y échoue lamentablement, importe peu. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que son fondateur est sur le point de terminer une carrière politique assez riche sur une fausse note, en offrant l’image d’un personnage cynique, arrogant et narcissique. Ce qui ferait dire à plusieurs d’entre nous : «Quel gâchis!»
Donnez votre avis