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Tunisie-Union européenne : Il faut transformer l’Aleca en Alecca

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Habib Essid reçoit Martin Schulz, président du Parlement européen, lundi 8 février 2016, à la Kasbah.

L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Tunisie ne doit pas être confiné au volet commercial. Il doit manifester un sérieux soutien à la transition démocratique.

Par Farhat Othman

Des négociations seront bientôt lancées entre la Tunisie et l’Union européenne (UE) pour la conclusion de ce qu’on appelle avec cette terminologie pompeuse Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) ainsi que son dérivé : Programme d’appui à la compétitivité des services (Pacs).

Lancé récemment, ce dernier a pour objectif le renforcement et la mise à niveau du secteur des services en vue de faire face aux défis de la croissance économique et du développement en Tunisie. C’est l’extension de la compétitivité des entreprises qui est visé notamment, y compris dans le secteur de la santé.

Tout autant que l’Aleca, ces négociations sont d’une nécessité vitale pour la Tunisie dans ses rapports futurs avec l’UE. L’Aleca est encore plus important en ce que ses retombées touchent tous les domaines des échanges, y imposant l’adoption de dispositifs règlementaires stricts qui le seront ispo facto pour la Tunisie.

Sortir les négociations du seul cadre commercial

Cela impactera, par exemple, l’investissement, le commerce ou encore les rapports de partenariat entre les secteurs privé et public en Tunisie. Or, en l’absence en ces domaines de la réforme juridique nationale nécessaire librement décidée par la représentation nationale, des choix étrangers seront forcément imposés à la Tunisie au travers des engagements pris lors de ces négociations.

De plus, malgré leur importance et la gravité de leurs conséquences sur la souveraineté du pays, ces négociations se présentent comme des discussions techniques, engagées uniquement entre les services commerciaux de Tunisie et leurs partenaires européens. Pourtant, c’est au ministère des Affaires étrangères, un ministère de souveraineté, de les présider, sinon même la présidence du gouvernement du fait de leur vision globale de la politique de coopération internationale.

Par ailleurs, on ne peut se focaliser sur les questions purement commerciales sans se soucier d’autres aspects essentiels qui y sont fatalement liés comme l’aide financière et les questions monétaires en suspens entre les deux pays.

On ne peut raisonnablement négocier l’ouverture de l’espace tunisien au libre-échange sans avoir apuré préalablement la situation catastrophique du pays qui est pour une grande part causée par l’endettement. Aussi, préalablement à toute décision en matière de libre-échange, on doit bien décider pour le moins un moratoire de le dette de l’ancien régime, et bien mieux, un effacement pur et simple pour partir sur des bases solides.

Car sinon, le libre-échange ne fera qu’aggraver la crise en Tunisie au pur profit du marché européen, ce qui n’est pas déjà dans l’intérêt de l’Europe puisqu’elle risque alors sérieusement d’avoir un nouveau foyer de tension à ses frontières, la Tunisie étant menacée par le péril terroriste.

C’est à cela que conduira fatalement le maintien de la réduction actuelle de l’accord de libre-échange à son unique volet commercial. Il doit manifester concrètement un sérieux soutien de l’Europe à la transition démocratique de la Tunisie qui est structurellement dépendante d’elle et en a donc besoin sur tous les plans, tout autant politique, économique, financier et commercial que social, culturel, éducatif et migratoire.

Intégrer la libre circulation humaine aux négociations

La Tunisie constitue à n’en pas douter une exception qui est à encourager; aussi, son plus grand partenaire occidental qui y possède d’énormes intérêts se doit d’y apporter l’aide qui s’impose et qui suppose des initiatives courageuses et sérieuses. Il doit rompre avec sa langue de bois habituelle, apportant la preuve d’un soutien concret à la démocratie naissante en Tunisie. Cela impose des mesures spécifiques, y compris de haute teneur symbolique.

L’UE ne doit plus abuser de sa position dominante et de ses moyens exorbitants pour dicter sa loi à la petite Tunisie très mal en point sur tous les plans, surtout sociaux. Son devoir, non seulement pour sauver son petit partenaire, mais aussi ses propres intérêts, est de sauvegarder le modèle tunisien en délivrant un message fort, crédible et audible consistant à rompre avec la politique arrogante suivie jusqu’ici. Cela doit concerner notamment sa politique migratoire en la révisant pour la paix en Méditerranée qui passe par la réussite de la Tunisie dans l’intérêt bien compris de tous.

Aujourd’hui, cela ne saurait se faire autrement qu’en décidant d’élargir les négociations Aleca à la libre circulation des Tunisiens, les transformant donc en Alecca : Accord de libre échange et circulation complet et approfondi. Il est en effet inadmissible juridiquement et éthiquement de favoriser la libre circulation des marchandises tout en l’entravant pour leurs créateurs, les humains. D’autant plus qu’un instrument fiable existe, qui est le visa biométrique de circulation.

Concrètement, cela veut dire que le visa actuel reste en vigueur, mais en étant reconverti en visa de circulation, délivré gratuitement à tout Tunisien le demandant pour une durée d’un an au moins, automatiquement renouvelable, avec entrées et sorties multiples. Voilà ce qui respecte les réquisits sécuritaires tout en donnant une compensation juste à la pratique actuelle de prélèvement des empreintes digitales contraire au droit international et à la souveraineté nationale.

Ce sera aussi reconnaître la maturité des Tunisiens tout en sortant la jeunesse du pays de sa désespérance actuelle, jeunesse qui est souvent porteuse de projets novateurs pouvant voir le jour entre les deux rives de la Méditerranée, mais qui avortent pour cause d’impossibilité de circuler librement.

De plus, ce sera la meilleure façon de lutter contre l’immigration clandestine puisque le ressortissant tunisien assuré de pouvoir circuler en toute légalité n’aura plus besoin de courir l’aventure de l’illégalité; ce qui fera sortir aussi de la clandestinité ceux qui y sont encore.

L’Europe osera-t-elle ce saut qualitatif à la fois moral et politique? Il y va de ses intérêts sur le long terme en Tunisie. Que notre pays l’y aide donc en exigeant un Alecca, la libre circulation aux Tunisiens n’étant que le geste symbolique majeur amenant à réviser les rapports tuniso-européens pour un véritable partenariat gagnant-gagnant.

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