Né le 8 juillet 1944 à Deir Ghassana en Cisjordanie et mort le 14 février 2021, Mourid Al-Barghouti est l’une des voix majeures de la poésie palestinienne contemporaine. Dans ce poème, ‘‘La maison de Raad’’, il raconte le retour à la maison familiale abandonnée, après un long exil, destin de tous les Palestiniens de sa génération et thème majeur de la poésie palestinienne.
Mourid Al-Barghouti grandit avec ses trois frères à Ramallah. Au milieu des années 1960, il partit poursuivre ses études à l’université du Caire en Égypte. Alors qu’il achevait sa dernière année universitaire, la Guerre des Six Jours de 1967 débuta. La guerre terminée, Israël s’était emparé de Gaza et de la Cisjordanie et Mourid, ainsi que nombre de Palestiniens résidant à l’étranger, se retrouva dans l’interdiction de retourner à sa terre natale.
Après la guerre, Mourid enseigna d’abord comme professeur à l’université du Koweït. C’est lors de cette période qu’il commença à apporter un vif intérêt à la littérature et à la poésie. Ses premiers écrits furent bientôt publiés dans les journaux de Beyrouth et du Caire. Il noua également d’intimes relations avec le caricaturiste palestinien Naji Al-Ali qui, lui aussi, travaillait au Koweït.
En 1970, Mourid épousa la romancière et académicienne égyptienne Radwa Ashour qu’il avait rencontrée deux ans plus tôt à l’université du Caire. Ils eurent un unique enfant, Tamim Al-Barghouti, qui est un des plus grands poètes palestiniens du moment.
En 1972, Mourid Al-Barghouti publia son premier recueil de poésie ‘‘La maison du retour’’ à Beyrouth. À partir de cette année, il se multiplia en créations poétiques en publiant près de 12 recueils dont le dernier est ‘‘Minuit sorti’’ en 2005.
Après trente ans d’exil, les Accords d’Oslo permirent enfin à Mourid, sa femme et son fils de regagner Ramallah en 1996. Ce retour à la terre natale inspira au poète une nouvelle autobiographique intitulée ‘‘J’ai vu Ramallah’’ qui lui valut, l’année de sa sortie, la médaille littéraire de Naguib Mahfouz. D’importantes figures palestiniennes telles que Ghassan Kanafani et Naji Al-Ali apparaissent dans cette nouvelle qui fut traduite en plusieurs langues étrangères.
D’après Wikipedia.
À la maison pleine de beauté
Je suis revenu, épuisé, comme tous ceux qui reviennent.
Je me suis assis là où retentit la voix de la sage-femme : C’est un garçon !
Son nom est Mourid !
Un instant, j’ai oublié le sombre nuage de l’âge
Mes souvenirs remontant à l’enfant
Qui, de son berceau gothique,
Erra dans le pays, serein et contraint,
Puis revint.
La maison Raad est en éternel bâtie de pierre
Ses couleurs sont foncées et en vestige
Certaines sont un sourire échappé aux pleurs.
D’autres sont douces comme la caresse de l’abricot
Certaines sont chargées tel un nuage annonçant la pluie
Au crépuscule, avec les derniers rayons du soleil
On croirait ses coupoles faites d’or
L’herbe envahit tant ses murs
Qu’elle semble vouloir les protéger du déshonneur
Vieillesse têtue ?
Ou ruse de la rosée à étaler son œuvre inaltérable
À travers le cycle des âges ?
Et le seuil
Est le divan des grands-mères
Et la chaire des conciliabules et des médisances campagnardes
Et le seuil
Différence entre jouissance et déception de la mariée
Et le seuil
Est allusion du passage d’un cercueil porté vers le délice de l’amandier
Ou l’aversion du cactus
Et le seuil
Adolescent qui lit le courrier
D’analphabètes connaissant le sens de l’amour,
Avec un regard sur les lignes
Et un autre sur les trésors de séduction
Que des femmes délivrent
Au moment de l’écoute
Et le seuil
Pénible rupture
Entre la grande jarre et l’opéra entre le soc de la charrue
Et le Alef
Et le seuil
Notre chemin vers …
Ai-je dit qu’il y avait dans la cour, un figuier ?
Et que nous faisions la course aux oiseaux
Pour atteindre son aube plus haute que le minaret du muezzin ?
Ses branches étaient notre théâtre d’été
Ou notre refuge
Contre l’ennui des enfants pour les hôtes de leurs parents.
Sombre ou lumineuse,
Une forêt dans un arbre
Sous lequel nous avons grandi comme s’il était tout le pays
J’ai crié en moi-même :
«Et pourquoi les coupez-vous ?»
Comment cet arbre a-t-il pu mourir
Comme n’importe quelle fleur
D’un vieux manteau ?
Comme n’importe quelle chatte à la croisée des chemins
Aujourd’hui en meurent-ils d’autres ?
Depuis longtemps,
Je crois que la mort a fait de nous son peuple.
Son amour pour nous est-il tribu de pioches ?
As-tu remarqué que les maisons sont sa famille ?
Car, si elles l’abandonnent elle part aussi
Et qu’elle peut reprocher et punir
Comme le bébé qui repousse le sein de sa mère
Parce qu’elle l’a fait attendre
Avec un regard
De faim
De colère ?
Qui a besoin de qui
Ici ?
L’étranger retournera-t-il à l’endroit d’où il vient
Son souffle y reviendra-t-il ?
Bientôt
La fatigue se dissipera
Ô notre maison
Bientôt
La fatigue reviendra.
Août 1996
Extrait du recueil ‘‘Les gens dans leur nuit’’. Traduit de l’aarabe par Mohamed Sehaba.
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