Que le président Kaïs Saïed soit complètement ignorant en matière économique, cela ne l’autorise pas à débiter des énormités à longueur de journée, en osant les affirmations les plus loufoques, sans qu’aucun de ses ministres «technocrates» ne croit devoir lui expliquer ce qu’il doit savoir et ce qu’en tant que président il peut se permettre de… proférer, sans se couvrir de ridicule et couvrir de ridicule l’Etat qu’il est censé incarner. Vidéo.
Par Ridha Kéfi
Les dernières affirmations loufoques, on y a eu droit hier, mardi 15 février 2022, lorsque M. Saïed a reçu Ferid Belhaj, le vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, au Palais de Carthage.
Au cours de cette rencontre, le président de la République a annoncé qu’une commission serait constituée (cela fait un temps qu’il en parle et qu’attend-il pour la mettre sur pied?) et qu’elle aurait pour mission d’«auditer les dons et prêts obtenus par la Tunisie», en notant que «les fonds sont estimés à des milliards de milliards (appréciez la précision d’un président qui ne sait pas compter!), mais leur sort est inconnu et nous n’en entendons parler que dans les bulletins d’information», laissant ainsi entendre que l’argent des bailleurs de fonds internationaux est systématiquement détourné par… l’administration publique dont M. Saïed, rappelons-le, est le premier responsable, ce qu’il semble ignorer, le pauvre chéri.
Un président qui sabote son pays
S’il voulait dissuader les bailleurs de fonds internationaux de prêter encore de l’argent à la Tunisie, M. Saïed ne se serait pas comporté autrement. Et dire que notre pays passe par de grandes difficultés financières et n’a même pas de quoi financer son budget pour l’exercice en cours et qu’il frappe actuellement à la porte de ses bailleurs de fonds traditionnels, comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM) et l’Union européenne (UE).
Heureusement que Ferid Belhaj, en bon expert international et en ancien collègue de Kaïs Saïed à l’université, a eu la présence d’esprit de ne pas laisser dire des choses aussi inexactes et contre-productives, qui plus est, par la plus haute autorité de l’Etat. Aussi s’est-il empressé de préciser à son auguste interlocuteur que l’argent accordé par la BM est soumis à un processus de contrôle, qu’il y a une traçabilité et que l’«on sait où il va». Et il aurait bien pu ajouter (et peut-être l’a-t-il fait en off après la fin de l’audience) que cela est valable pour tous les bailleurs de fonds qui déboursent généralement les fonds accordés par tranches et après vérification du sort des tranches précédemment déboursées.
D’ailleurs, beaucoup de prêts accordés restent à la phase de l’accord et de l’annonce dans les bulletins d’information, pour emprunter les termes du président, parce que les autorités tunisiennes trouvent souvent des difficultés à implémenter les projets pour la réalisation desquels ces prêts ont été accordés. Et c’est là, d’ailleurs, l’un des drames de notre pays qui, handicapé par ses pesanteurs bureaucratiques, n’est même pas capable de profiter comme il se doit des dons et des prêts qui lui sont accordés par ses partenaires internationaux.
Le délire du président redresseur de torts
Cependant, et c’est là aussi où réside le drame de la Tunisie… sous le règne de Kaïs Saïed : cet homme, dont la rigidité intellectuelle n’a d’égal que l’entêtement, n’entend jamais les autres et n’écoute que sa propre voix. Et il nous en a donné hier une nouvelle preuve. Car, après le «recadrage» amical de M. Belhaj, il a cru devoir poursuivre son délire de redresseur de torts, en affirmant qu’un responsable l’avait informé que la Tunisie avait obtenu un don extérieur de 500 millions de dollars, mais cet argent n’est jamais rentré en Tunisie : il a été versé sur un compte personnel dans une banque étrangère. Et de servir à nouveau à son hôte sa rengaine habituelle sur la nécessité de restituer aux Tunisiens les fonds qui leur ont été spoliés.
Et là, M. Saïed continue de prendre les Tunisiens et leurs partenaires internationaux pour des idiots. Car, ou bien il a des dossiers solides sur ces détournements et en tant que magistrat suprême, il est tenu d’en saisir le ministère public pour que les fautifs soient sanctionnés. Ou bien il raconte des histoires à faire dormir debout pour mousser sa popularité, en comptant sur la stupidité d’un peuple aussi ignorant que lui des affaires économiques. Et là, franchement, le locataire du palais de Carthage commence à dépasser toutes les limites de l’acceptable.
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