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La justice tunisienne à l’épreuve de l’affaire Bhiri

Rached Ghannouchi et Noureddine Bhiri, les boîtes noires du parti islamiste Ennahdha.

L’indépendance que le pouvoir judicaire en Tunisie invoque souvent pour marquer sa distance vis-à-vis du pouvoir exécutif pourra-t-il justifier la lenteur, la passivité et la complaisance qu’il montre dans l’examen de certaines affaires de terrorisme et de corruption ? Le manque d’engagement montré dans la gestion de l’affaire Noureddine Bhiri a fini par ôter toute crédibilité à cette prétendue indépendance. Décryptage…

Par Ridha Kéfi

Le strict respect des droits, dans son formalisme froid, abstrait et parfois abscons, importe-t-il davantage que la sécurité nationale ? Cette question, on aimerait bien la poser à tous ces activistes politiques qui se sont très opportunément transformés en fervents défenseurs des droits humains pour exiger la libération de Noureddine Bhiri, l’ancien ministre de la Justice soupçonné d’implication dans une affaire terroriste.

On peut toujours reprocher au président Kaïs Saïed d’avoir cumulé tous les pouvoirs entre ses mains, de traiter toute la classe politique avec condescendance et de ne pas communiquer suffisamment sur les décisions qu’il annonce et qui demeurent parfois inexpliquées, défauts qu’il semble d’ailleurs avoir transmis à tous les membres de l’actuel gouvernement conduit par Najla Bouden. Ce qui crée cette atmosphère d’incompréhension où baigne la Tunisie depuis l’annonce des «mesures d’exception» le 25 juillet dernier.

Une justice minée par les lobbys politiques

Peut-on cependant reprocher au chef de l’Etat d’œuvrer, certes parfois maladroitement, pour l’assainissement de l’Etat qu’il est censé conduire et dont les rouages sont empêchés de fonctionner normalement par les lobbys politiques et les groupes d’intérêts ?

Non, bien sûr. Et dans l’affaire de l’assignation à résidence de Noureddine Bhiri, peut-on sérieusement lui reprocher d’avoir pris les devants pour parer à l’éventuelle menace que cet homme représente pour la paix civile et la sécurité nationale ?

Par leur gravité, les soupçons qui entourent l’ancien ministre de la Justice sont lourdes et portent sur de graves abus commis au cours de son mandat ministériel, notamment l’octroi de manière illégale de la nationalité et du passeport tunisiens à des éléments classés terroristes.

Les autorités judiciaires, dont des pans entiers sont accusés d’être à la solde du parti islamiste Ennahdha, ayant tardé à prendre les mesures judiciaires qu’imposait cette grave affaire, alors qu’elles sont en possession d’un lourd dossier d’accusation qui leur avait été remis depuis trois mois, peut-on reprocher au président Saïed d’avoir chargé le ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine, de prendre les mesures nécessaires que la loi autorise face à cette situation d’extrême urgence, qui fait peser une lourde menace sur la sécurité nationale ?

Un nouveau rendez-vous manqué

Non, bien sûr, et les explications que les autorités judiciaires ont cru devoir apporter pour justifier leur manque de réactivité voire leur indulgente passivité face aux menaces pesant sur la sécurité nationale, n’ont fait que conforter la justesse de la décision du président de la république de prendre ses responsabilités, d’user des pouvoirs qui sont les siens pour contourner un pouvoir judiciaire en passe de devenir un véritable obstacle à la préservation de la paix civile.

En montrant une étrange passivité dans le traitement des affaires liées au terrorisme et à la corruption, lesquelles se perdent souvent dans les méandres des procédures dilatoires, la justice, dont l’indépendance, souvent agitée comme un épouvantail face au pouvoir exécutif, est devenue un prétexte pour justifier son immobilisme, est en train de perdre toute crédibilité aux yeux des citoyens, dont une immense majorité est encore en phase avec les décisions présidentielles.

Pour faire taire tous ceux qui lui reprochent d’être aux ordres du parti islamiste Ennahdha depuis le temps où elle était conduite par Noureddine Bhiri, la justice tunisienne aurait pu accélérer l’examen de l’affaire impliquant directement ce dernier, en toute légalité et en toute transparence. Mais, en cédant à sa frilosité habituelle et à son manque d’audace dans l’examen des affaires impliquant les hommes politiques influents, elle a perdu, et de quelle lamentable façon, une occasion en or pour prouver son indépendance vis-à-vis des lobbys politiques et sa détermination à jouer son rôle central dans l’assainissement de la situation générale dans le pays, et d’abord en s’attaquant aux «vaches sacrées» qui pourrissent la scène politique, détruisent l’Etat et grippent la machine économique.

Ce rôle, le président Kaïs Saïed n’a cessé, depuis le 25 juillet, de le lui rappeler et de l’inviter, parfois en des termes pressants, à le jouer, notamment en accélérant l’examen des affaires de terrorisme et de corruption, lesquelles sont souvent enterrées aussitôt ouvertes, mais en vain… Pire encore, ces invitations sont souvent assimilées à une volonté présidentielle d’ingérence du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire, comme si l’indépendance de ce pouvoir, souvent invoquée, pouvait justifier sa passivité et son manque d’engagement.

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