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Face à la crise du tourisme : Djerba dans la tourmente

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La crise du tourisme est, aujourd’hui, une triste réalité à Djerba. Il convient d’exploiter cette crise pour panser les maux endémiques dont souffre l’île.

Par Naceur Bouabid *

Djerba, fleuron du tourisme tunisien, ayant fait figure depuis des décennies de plaque tournante du tourisme méditerranéen, est frappée de plein fouet par les retombées néfastes des attentats terroristes perpétrés sur le sol tunisien, au Bardo puis à Sousse. La crise qui s’en est suivie, concrètement manifestée par le dénigrement de la destination Tunisie par les TO européens, principaux pourvoyeurs de touristes, ne l’a guère épargnée. La situation du secteur n’est pas au beau fixe et ses lendemains s’annoncent brumeux. Sur les 120 unités, seule une quinzaine ou presque tiendra le coup et gardera ouvertes ses portes. La population îlienne, depuis longtemps convertie massivement en main d’œuvre hôtelière ou para-touristique, initiée irrévocablement à la facilité du gain quotidien au détriment du dur labeur de la terre réduite malheureusement en friche, s’inquiète et n’a d’yeux que pour les nouvelles faisant état de l’évolution de la situation. Sur les lèvres, il n’y a de discours que sur les décisions à prendre ou prises par les TO, sur les réactions des hôteliers et sur les promesses en perspective.

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L’île des rêves transformées en une immense déchetterie à ciel ouvert.

Innovation et diversification de l’offre

Aujourd’hui, la crise est réelle et nous la vivons; elle. Au lieu de pleurer sur les chimères et de continuer de nous faire des illusions perdues, travaillons à exploiter la crise pour panser nos maux endémiques demeurés incurables, pour guérir le secteur depuis quelque temps souffreteux, pour redonner à Djerba sa lueur et son image reluisante qui sied à sa renommée, pour lui insuffler un sang nouveau qui la sortira grandie et auréolée.

Une telle conjoncture de crise, dont  d’aucuns n’ont souhaité l’avènement, ne devrait-elle pas constituer une occasion propice pour nous amener à nous pencher sur les problèmes multiples qui rongent depuis quelque temps le secteur et dont les retombées, somme toute à retardement, ne sont pas moins graves que celles des deux attentats meurtriers à l’effet immédiat? L’heure n’est-elle pas à la méditation dans la perspective tant attendue et vivement espérée de la révision de la stratégie et de la refonte du modèle touristique en vigueur?

Le balnéaire à outrance, le  tourisme de masse, l’adoption des forfaits «all-inclusive» sont autant d’ingrédients qui  drainent à Djerba l’essentiel de son potentiel en visiteurs, et constituent l’atout du tourisme sur l’île, mais un tel modèle a soumis nos hôtels à une dépendance préjudiciable et réductrice aux Tours opérateurs européens pour la commercialisation de leur produit dont le succès reste tributaire de leur bon vouloir et de leur bonne humeur.

Certes, il n’est pas opportun pour l’heure de changer radicalement de stratégie et de  renouveler de fond en comble le modèle en vigueur, car synonyme de suicide dans cette conjoncture économique et sociale difficile, mais il est recommandé d’entamer la réflexion à la faveur d’une réforme salutaire du secteur par l’innovation et la diversification de l’offre en puisant dans le riche potentiel patrimonial en possession, sans toutefois basculer, comme il est malheureusement d’usage, dans sa banalisation et sa ridiculisation par la folklorisation. Ce modèle touristique des flux en masse, certes pour l’heure incontournable, mais archaïque et peu rentable, n’est plus pour suffire, ni pour satisfaire et convaincre.

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L’agression de l’environnement naturel se poursuit à un rythme effrayant.

Chasse à l’arnaque et aux rabatteurs

Le moment n’est-il pas venu pour mener une chasse sans relâche et sans merci contre le harcèlement et l’arnaque pratiqués par des individus sans scrupules, avides de gains faciles et malsains, guettant à longueur de journée la moindre apparition du touriste pour lui vider les poches?

Ces fléaux connaissent leurs plus beaux jours, prospérant à souhait pour le grand malheur des touristes qui ont affaire, de gré ou de force, aux rabatteurs sangsues qui pullulent à Djerba, agissant à leur guise et tirant meilleur profit de l’impunité et du laxisme de qui de devoir de sévir; ils sont partout où le touriste est de passage, à la plage, à sa sortie de l’hôtel  à la découverte des lieux ou pour se dégourdir les jambes, à sa descente du taxi en ville où il n’est relâché par l’un que pour être de nouveau harcelé par un autre rabatteur, usant du même subterfuge pour établir le contact, amadouer sa proie et lui proposer de lui montrer des endroits originaux avant de finir devant un magasin d’un cousin ou d’une connaissance qui fait de bons prix : bonjour alors la corvée et les dégâts pour le pauvre touriste venu pourtant pour la découverte, pour savourer les plaisirs de la  diversité et quérir un contact autochtone spontané et fructueux.

Au lieu de rencontrer un sourire réconfortant, au lieu de pouvoir vaquer librement à son errance dans la perspective de la connaissance de l’autre, voilà les touristes que nous recevons chez nous, et dont nous souhaitons vivement la venue aujourd’hui, sont malmenés, harcelés de tous bords et soumis aux pires des arnaques.

Une telle pratique, vile, indigne de nous autres, révoltante, gravement nocive, prolifère sous nos cieux, face à l’inertie des autorités qui donnent l’impression de se plaire dans leur inaction, pour le bonheur des rabatteurs qui ne peuvent que se frotter les mains et dont le nombre est en nette recrudescence, jour après jour.

Voilà donc un mal auquel il est impératif et urgent de faire face, et contre lequel il faut oser sévir fort et bien.

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SOS palmiers coupés!

L’île malade de son environnement

Le gâchis environnemental dans lequel sombre notre pauvre île a atteint des proportions alarmantes jamais auparavant égalées.

Tout le territoire de l’île n’est plus que le théâtre d’exactions en séries, exposé à toutes sortes de nuisance, à des dommages parfois irréversibles : extraction de sable et de pierres de carrière, massacre de palmiers, urbanisation des zones vertes, constructions anarchiques, atteintes au littoral, arasement des dunes bordières au moment où l’île est sous l’emprise menaçante des contraintes du changement climatique, sac et pillage de monuments historiques.

En si peu de temps, l’île verger, cet espace de charme, de douceur, de quiétude qu’elle était s’est convertie par l’action irresponsable des hommes en décharges à ciel ouvert; ses paysages champêtres de l’intérieur, parcourus et visités si souvent par des promeneurs avertis, mais vite déçus, contrariés et écoeurés, sont ternis par l’amoncellement des déchets de construction et la prolifération des sachets plastiques d’une rare laideur embrassant à ne plus lâcher arbres et arbustes et couvrant à ne plus finir les terrains vagues; ses belles côtes sauvages et ses étendues de plages de sable fin sont jonchées d’immondices, dans un piteux état de négligence suscitant dégoût et indignation. Tous, professionnels, responsables, représentants de la société civile, en ont conscience, mais qu’a-t-on fait pour y remédier?

Que vaudra à Djerba et à son tourisme le maintien d’un tel statu-quo vergogneux, sinon le dénigrement, et à raison, des TO, sinon l’agonie et la mort  lente du tourisme? Car un touriste peut, par sympathie et solidarité, braver les consignes sécuritaires et venir séjourner parmi nous, mais il ne daignera pas faire le déplacement pour venir côtoyer nos ordures, inhaler nos puanteurs et subir de surcroît l’arnaque.

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Partout les ordures défigurent le visage de l’île.

Agir pour changer

Djerba, sur le plan environnemental, va à la dérive; est-ce en continuant de fermer les yeux sur ce gâchis et ces outrages en cascade, et en faisant  la sourde  oreille aux appels incessants à la rescousse que l’on aspire à des  lendemains meilleurs, à des perspectives rassurantes et au renouveau du tourisme? L’heure maintenant n’est plus à l’attente et à la formulation des vœux pieux; en l’absence de communes élues à responsabiliser, il y a urgence à se mettre autour d’une table pour penser à mettre un  peu d’ordre dans l’île et pour statuer sur les solutions immédiates à prendre et les moyens à mettre en œuvre; des mesures drastiques courageuses et des actions concrètes urgentes doivent être vite envisagées : dépolluer l’île, toute l’île, en organisant une vaste campagne de ramassage rémunéré des déchets plastiques confié à des agents à recruter pour la circonstance, étoffés par les brigades mobiles de l’Apal, l’Anged et des communes, rendre la vie dure aux rabatteurs en pressant la police touristique d’assumer pleinement ses responsabilités, déloger ces   baraques de fortune de la honte aménagées de toutes pièces pour la vente illicite du carburant  libyen et dont chaque jour apporte son lot nouveau.

En attendant que les flux touristiques des grands jours reprennent, et ils reprendront  tôt ou tard, parlons moins et agissons à bon escient, redonnons au secteur une meilleure santé, assainissons-le, revigorons l’activité, et donnons à espérer à une population paniquée, endolorie par le manque à gagner et qui peine à reconnaître son île abandonnée au gré des opportunistes, des spéculateurs et des rabatteurs vautours.

* Président de l’Association pour la sauvegarde de l’île de Djerba (Assidje).

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