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La potion magique de Mansour Moalla contre le chômage

Beji-Caid-Essebsi-et-Mansour-Moalla

Les songes prophétiques de Mansour Moalla, qui croit détenir l’arme absolue contre le chômage, n’engagent que ceux qui y croient.

Par Yassine Essid

Le Premier ministre vient de passer une semaine à l’hôpital après une année d’anxiété profonde et d’épuisantes activités. Des difficultés économiques, sévèrement mis à l’épreuve par une crise sociale majeure aggravées par les conditions de violence terroriste, l’avaient rincé et lessivé. La mise en œuvre de la participation citoyenne, dans un environnement favorable aux droits humains, n’a malheureusement pas abouti à de meilleures perspectives individuelles et n’a réussi qu’aggraver la situation. Pendant  ce temps, le chef de l’Etat, décrétant cette fois un état d’urgence de lutte contre le chômage persistant, a multiplié les consultations tous azimuts. La plus insolite est sans doute celle qui l’avait réuni avec un très ancien surintendant des finances : Mansour Moalla.

Mais pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt?

Quoi de mieux que le bonheur des retrouvailles pour se remémorer le bon vieux temps. Au-delà, c’est d’un projet de création de 600.000 emplois sur 3 ans dont il fut question. Un plan d’urgence qui n’est simple qu’en apparence, mais qui réglera, une fois pour toutes, la question du chômage.

Il s’agit, pour simplifier, de répartir, en petites quantités, des chômeurs sur différents postes d’entreprises sans égard pour leurs besoins en recrutement et sans anticiper la compétence des candidats à contribuer à leur croissance.

Mais pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt? Comment parlement, gouvernement, patronat, syndicats, de même que les nombreuses commissions réunissant l’élite du pays en matière d’emploi peuvent-ils commettre une telle bévue, faire preuve d’une si grossière ignorance?

C’est là justement tout le hiatus qui sépare un savant, tel que M. Moalla, dont la fonction est de montrer la voie par l’intelligence de l’expert capable de moduler les nuances compliquées  de notre époque aux pauvres ignorants que nous sommes.

Consulter M. Moalla sur la meilleure manière de résorber le chômage c’est comme tourner les pages d’un livre poussiéreux et froissé, aux coins éclatés, remplis de théories décalées, ne représentant nullement l’état actuel de la science mais dont l’auteur ne cesse en revanche de prétendre qu’elles sont encore capables de fournir une solution ultime, globale et définitive à la question.

A ce sujet, rappelons à M. Moalla quelques vérités premières qui demeurent probablement tabous dans son esprit ou qu’il a simplement évacuées pour ne pas ternir l’effet d’annonce de son plan de sauvetage.

En matière de lutte contre le chômage, une urgence sur laquelle tous les gouvernements qui avaient essayé s’étaient cassé le nez, chacun y met du sien : députés, ministres, partis politiques, sans oublier le patronat et le syndicat ouvrier systématiquement consultés dans toute affaire que l’Etat entend entreprendre. Appelés au son du tambour, ils parlent et agissent comme s’ils étaient eux-mêmes l’exécutif qui, de son côté, vit dans la crainte permanente de tomber victime d’un sortilège si jamais il leur manquait de respect.

Le chômage endémique que connaît le pays est devenu la préoccupation majeure de tous les gouvernements. Le manque de travail est unanimement reconnu comme étant la cause principale de pauvreté pour de larges franges de la société tunisienne. De nombreux ménages comportent parfois plus d’un chômeur, souvent une fille ou un garçon, ou les deux,  généralement titulaires de diplômes. La misère est encore accentuée  quand les deux conjoints sont sans emploi. Des grèves, de violentes et irrépressibles manifestions voire des émeutes étaient devenus les moyens par lesquels de temps à autre les chômeurs se rappellent au bon souvenir des dirigeants du pays.

Projet fumeux et pure utopie

Un inventaire à la Prévert permettra de démontrer l’inanité des élucubrations de M. Moalla en leur faisant perdre leur raison d’être. Car la Tunisie n’est pas une planète lointaine dont on peut profiter sans compter car ses ressources sont infinies. Tout programme politique ou économique doit  reposer sur la vérité et la dire sans rien en cacher.

Il faut commencer par éliminer dans ce projet la majorité des entreprises publiques qui souffrent de sureffectifs importants et de lourds endettements. La société de transport Transtu, par exemple, qui accuse une dette de 700 millions de dinars (MD), porte un fardeau de 440 salariés non productifs: 300 sont déclarés totalement inaptes et 140 sont en sureffectif. Ainsi, pendant que Béji Caïd Essebsi s’engage dans un virtuel recrutement, des entreprises publiques  envisagent d’alléger leurs effectifs en mettant des centaines d’employés à la retraite anticipée!

Rappelons également, que l’économie n’est pas une science exacte, mais aussi des pratiques culturelles et éthiques, des valeurs, des mentalités et une attitude de travail responsable. Or, un poste d’emploi dans une entreprise, publique ou privée, ou dans l’administration, est de plus en plus associé à une bonne planque où le travail est facile et peu prenant et qu’on souhaite bien rémunérée.

L’employé tunisien vit sa journée de travail comme une sorte d’attente prolongée : veste habilement posée sur sa chaise pour laisser croire qu’on est là, pauses à rallonge, absence arrachée d’autorité pour le prêche du vendredi et des dossiers qui ne sont jamais bouclés à temps. L’action du management se réduit alors simplement à remettre les flemmards au boulot. Ne parlons pas du directeur acariâtre, du personnel revêche, des employés agressifs et qui ne sourient jamais.

Ainsi, ces jeunes qui manifestent violemment aujourd’hui contre le chômage, représentent en réalité la portion inactive d’une population qui ne travaille pas assez et figure même parmi les peuples qui consacrent le moins de temps à leur entreprise.

La culture de la paresse et de la nonchalance est d’ailleurs encouragée et défendue par les organisations ouvrières qui n’arrêtent pas d’interpeller le gouvernement en s’opposant à toute réduction des dépenses publiques, toute révision des prix des produits de base, appellent à des augmentations des salaires et incitent à la grève.

Le travail contribue à la croissance économique par son aspect quantitatif et qualitatif. Plus la population est active, plus elle stimule la demande de biens, plus les entreprises voient leur rentabilité augmenter, plus elles améliorent leur productivité, innovent, deviennent génératrices d’emplois et soulagent les caisses de maladies et de retraites. Ce mécanisme exige un environnement favorable. Or pour cela il faut relancer les investissements et améliorer la qualification et de formation. Il faut surtout un gouvernement fort, capable de faire face à un nombre incalculable de défaillances qu’il serait inutile d’énumérer tant elles sont devenues le vécu quotidien.

De nombreux facteurs, pourtant essentiels, sont  jetés aux orties, abandonnées par M. Moalla aux rabat-joie qui trouvent le malin plaisir de le chicaner sur les détails, de décrire les caractéristiques d’un projet fumeux en le transformant en pure utopie.

Habib Essid rattrapé par l’amère réalité

Un gouvernement n’est bon que par les gens qui le servent. Sur ce chapitre l’entourage du chef de l’Etat et du Premier ministre ne comporte pas les personnes capables et idoines. Se reconnaissant experts, ils se sont vite heurtés aux réalités de la gestion d’un pays, comme en  témoigne le maigre bilan d’une année de travail.

Habib Essid s’était en effet mis en tête que, moyennant l’application de quelques formules et de nombreux déplacements sur le terrain, ses initiatives allaient déboucher sur une rupture avec le passé. Or, l’amère réalité l’avait bien vite rattrapé et il a été conduit à renvoyer aux calendes grecques ses mirifiques plans de relance pour revenir, en dépit du bon sens, à des solutions de facilité abondamment reprochées à la Troïka et vivement condamnées par le FMI,  tel ce projet de recrutement de 23.000 agents dans la fonction publique.

Les  tartes à la crème d’une  politique jamais suivie d’effet tient toujours lieu de manifeste : compétitivité, productivité, équilibre régional, coopération université-entreprise, réduction des dépenses, amélioration des transports publics, réforme de l’éducation et de la santé, lutte contre le chômage, et bien d’autres lubies.

Sur toutes ces initiatives, et face à un peuple devenu majoritairement rétif à toute réforme, le fiasco devient alors l’issue éminemment prévisible des crises accumulées et non résolues. Difficile, par conséquent, de créer plus de richesses et d’emplois dans un tel contexte. Les pouvoirs de Caïd Essebsi en matière économique ainsi que ceux de son ami, l’illustre Moalla,  ne sont plus aussi favorisés des dieux. Ils ne bénéficient, comme pour tout un chacun, que de songes prophétiques.

Enfin, la crise est là, mais tout ne va pas si mal  et il arrive que l’on tombe sur une bonne nouvelle. En effet, pour  tous les ouvriers agricoles ou de chantiers, actuels ou futurs,  que rien d’autre ne réveille et stimule autant que le thé, le ministère du Commerce va en baisser prochainement le prix.

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