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Jemna, Youssef Chahed et l’Etat velléitaire

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En politique, tout est régi par les rapports de force. Or, aujourd’hui, en Tunisie, tout indique que l’Etat est faible et incapable d’imposer l’ordre et la loi.

Par Salah El-Gharbi

Avec l’investiture du gouvernement Youssef Chahed, les Tunisiens ont repris espoir que la situation délicate dans laquelle se trouvait leur pays allait certainement trouver, dans la jeunesse et le volontarisme du nouveau cabinet, des réponses justes, efficaces et pérennes.

Il est vrai que la résolution de la crise du bassin minier de Gafsa et celle de Kerkennah, grâce à l’abnégation de la nouvelle équipe, est venue, dans un premier temps, conforter cet optimisme, même si les conditions des négociations ne semblaient pas avoir mis l’Etat à l’abri des caprices des protestataires. Mais sommes-nous, pour autant, sorti de l’état d’anarchie qui paralyse le pays? L’autorité de l’Etat, n’est-elle pas, chaque jour, un peu plus mise à rude épreuve, et où l’on assiste, chaque soir, perplexe, en regardant les journaux télévisés, à la violation, de plus en plus éhontée, de la loi, au nom de slogans tant rabâchés par nos «élites» politiques?

L’autorité publique bafouée

Ainsi, au nom de «l’emploi» et du «développement local», on s’octroie l’immunité absolue et on s’autorise toutes les aberrations, souvent avec la bénédiction de certaines formations politiques radicalisées, de tous bords.

Dimanche, la bravade de certains habitants de Jemna, sourds à une décision de justice et insensibles à la bienveillante médiation de l’actuel secrétaire d’Etat chargé des Domaines de l’Etat, constitue un coup fatal à la crédibilité des autorités publiques, restées aux abonnés absents, et du gouvernement, muet et autiste.

En fait, au-delà des enjeux financiers, ce qui s’est passé à Jemna, où une association s’est permise, au nom des habitants, de vendre aux enchères la récolte de dattes d’une ferme appartenant à l’Etat, traduit bien la gravité de désordre où le pays s’enlise jour après jour.

Pis encore, non seulement l’Etat masochiste se laisse humilier par ses propres «citoyens», mais, il offre à ses adversaires l’occasion de faire de la surenchère politique et ce en leur donnant l’opportunité de soutenir le mouvement de sédition.

Ainsi, dimanche, dans l’espoir de grignoter quelques voix pour les prochaines échéances électorales, les stars du populisme le plus mesquin, se sont pressées à Jemna pour se faire photographier en compagnie de ces valeureux «travailleurs» dont ils saluent l’exploit.

Un gouvernement inaudible 

«La justice sans la force est impuissante : la force sans la justice est tyrannie», écrivait Blaise Pascal dans ‘‘Les Pensées’’. Chez nous, la justice est malmenée, sans voix et ne s’applique qu’aux petites gens, ceux qui n’ont pas de tribus qui les défendent, ni des lobbies qui les protègent. Chez nous, la force juste est impuissante. Elle est frappée de tremblote qui risque de nous être fatale.

«En politique, ce qui compte, c’est l’impression», disait, justement, l’actuel président de la république. Or, aujourd’hui, l’impression générale est que l’exécutif reste velléitaire et n’est pas parvenu à rompre avec la politique de l’attentisme de l’ex-chef de gouvernement Habib Essid. Et cette attitude ne peut que l’affaiblir aussi bien par rapport à ses partenaires que face à ses adversaires politiques.

Si Chahed a du mal à se faire entendre par l’UGTT, c’est que la centrale syndicale est consciente des limites de son leadership et de la fragilité de l’autorité de l’Etat qu’il incarne. Car, en politique, tout est régi par les rapports de force. Or, aujourd’hui, tout indique que le pouvoir est faible. En témoigne l’attitude unanime des membres du gouvernement, une attitude marquée par la frilosité et contraste avec le «niet» vigoureux, presque sadique, des membres du bureau exécutif de l’UGTT, un «niet» qui tonne, sur tous les plateaux de télé et sur les ondes de toutes les radios, contre la proposition du gouvernement de reporter les négociations des augmentations salariales de 2017 à 2019, afin d’accorder un répit à des finances publiques dans un piteux état.

Si elle se poursuit, la politique de l’évitement de l’actuel gouvernement pourrait s’avérer suicidaire. La rupture est une fatalité pour que la population accorde sa confiance aux autorités de l’Etat. Le dialogue est nécessaire mais, il devient stérile quand il n’est pas animé par la bonne foi.

Il suffit de décréter, à titre d’exemple, que les sit-in et autres marques de protestation improvisés ne seraient compréhensibles et tolérés qu’une fois un préavis serait déposé, ce qui ouvrirait la voie à de possibles négociations et éviterait à l’autorité publique de ne pas perdre de sa crédibilité.

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