En projetant de soumettre les produits culturels à la taxe à la valeur ajoutée (TVA), allant de 6% à 18%, le gouvernement ne rehausse pas le prestige de l’Etat.
Par Jomâa Assâad *
Au moment où la Tunisie est aux prises avec l’horreur terroriste dont, du propre aveu unanime de la classe politique, le combat culturel est la principale composante, voici que le gouvernement, via son projet de loi de finance 2017, surprend les Tunisiens avec une taxation supplémentaire des œuvres culturelles qui risquerait de mettre à genoux un secteur, à rentabilité financière plus qu’incertaine, déjà mis à mal par le marasme économique général.
La culture n’est pas un commerce banal
Dans sa frénétique quête de subsides supplémentaires, le gouvernement s’est laissé aller à une taxation tous azimuts, digne des états totalitaires et frisant parfois le ridicule. Telle cette hideuse taxe sur les piscines privatives de 1000 dinars tunisiens (DT) qui classera sûrement notre pays parmi les républiques bananières adeptes du tristement célèbre ‘‘Livre vert’’.
Née à coup sûr de l’imagination dévoyée d’un fonctionnaire en mal d’inspiration, cette absconde taxe néglige un principe fondamental présidant aux finances publiques : l’assise légale de toute imposition décrétée par l’Etat. A défaut, toute taxation s’apparenterait d’avantage au racket institutionnalisé. Le prestige de l’Etat passe aussi par la non-identification de son imposition au banditisme de grand chemin.
S’agissant de la soumission de toute production culturelle à la TVA, oscillant entre 18% et 6%, le projet de la Loi de finance de 2017, récemment agréé par le gouvernement, occulte sciemment une donnée essentielle : la vocation quasi non-commerciale des œuvres culturelles.
Il est, en effet de notoriété publique que l’investissement culturel est l’un des moins juteux en termes de rentabilité financière. Les mesures incitatives en la matière ne sont pas parvenues à engager réellement les investisseurs de «gros calibre» dans le créneau culturel. Si bien que les acteurs dans ce domaine s’apparenteraient plus à des artisans qu’à des chefs d’entreprise. D’où la nécessité d’une urgentissime de mise à niveau du secteur. En lieu et place, le gouvernement n’a trouvé mieux à faire que d’handicaper encore plus une branche d’activité déjà moribonde.
L’inopportunité, et surtout l’incohérence de pareille disposition, révèle l’immaturité politique dont procède cette mesure drastique. D’une part, l’Etat se targue de subventionner la production culturelle, encore que celle-ci soit devenue au fil des ans lilliputienne, et, d’autre part, il l’assujettit à une taxe supplémentaire (la TVA en l’occurrence).
Concernant le secteur du livre, promulgués au début des années 1980, grâce au tandem Mzali-Ben Slama, les textes instituant les divers encouragements et subventions à la production culturelles sont parvenus cahin-caha à se maintenir en importance jusqu’en 2010. A partir de cette date, le déficit budgétaire y afférent s’est progressivement accru jusqu’à atteindre, en 2016, 250% en dinar constant (source : Union des Editeurs Tunisiens). Cet état de fait a amené le gouvernement Essid à consacrer une rallonge budgétaire destinée au livre dans le cadre du budget alloué à la lutte contre le terrorisme.
Donc, d’une part l’Etat pénalise fiscalement, augmentant une pression fiscale qui est l’une des plus élevées au monde, et, d’autre part, il subventionne, pas suffisamment de son propre aveu, la production culturelle. Etat schizophrène?
Assurément… et pas qu’en matière de fiscalité… en politique, les symptômes en sont encore plus tangibles.
Le gouvernement se fourvoie
Au bout du compte, l’institution de pareille taxation ne saurait échapper à une unique alternative : ou bien le gouvernement considère que la lutte du peuple tunisien contre le terrorisme est irrévocablement révolue; ou bien, en écartant la culture, il en incombe la responsabilité exclusivement aux forces armées. A la première «rechute», qu’à Dieu ne plaise, il se rendra que dans les deux cas il s’est malencontreusement fourvoyé.
En procédant de la sorte, le préjudice moral qu’il s’inflige sera incommensurable au regard des quelques profits immédiats qu’il pourrait en tirer.
C’est en se prévalant du planétaire principe de l’«exception culturelle» que les femmes et hommes de culture appellent le gouvernement à renoncer à cette pénalisation supplémentaire des œuvres culturelles sous peine d’être universellement déclaré «ennemi public n°1 de la culture» auquel l’on prêterait volontiers la fameuse boutade nazie : «Lorsque j’entends le mot culture, je sors mon revolver».
A la décharge de l’actuelle équipe gouvernementale, lorsque la France se prévalut du principe de l’«exception culturelle», au début des années quatre-vingts, son chef vaquait encore en couches.
* Universitaire.
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