Sorti il y a 16 ans, le premier long-métrage de fiction de Nidha Chatta ressort sur les écrans : il n’a rien perdu de sa force et de son charme.
Par Fawz Ben Ali
Méconnu jusque là, ‘‘No Man’s love’’ (ou ‘‘Koul Trab’’) de Nidhal Chatta est sorti ce mois dans nos salles 16 ans après sa sélection aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2000), où il avait raflé les prix de la meilleure première œuvre et du meilleur second rôle masculin attribué à Fethi Heddaoui. Un film intemporel, que le public gagne beaucoup à découvrir ou à redécouvrir.
Spécialiste des documentaires sous-marins, Nidhal Chatta dirige, dans son premier long-métrage de fiction, son regard et sa caméra vers ses lieux de prédilection: le désert et la mer, dont il a toujours été passionné pour y planter le décor de ‘‘No man’s love’’, et où il offre à Lotfi Abdelli son premier rôle de cinéma, signant ainsi la promesse d’une grande carrière d’acteur.
Le film, qui aurait dû avoir une meilleure carrière, met également à l’affiche Fethi Haddaoui, Mohamed Ali Ben Jemaa (première apparition sur le grand écran), Yasmine Bahri, Essia Ben Ayed…
Un monde intérieur sombre et angoissé
‘‘No man’s love’’ c’est l’histoire de Hakim, campé par Lotfi Abdelli, un jeune chasseur d’épaves qui vit avec son frère aîné Issa, incarné par Fethi Heddaoui, gardien de phare dans une côte déserte.
Les premières images donnent le ton d’un journal intime. Le film est en effet construit au fil des pensées de Hakim. Héros et narrateur à la fois, sa voix-off prédomine sur les premières scènes du film et nous invite dès lors dans son monde intérieur sombre et angoissé, où des hallucinations visuelles faites de flash-back reviennent fréquemment.
Ces perpétuelles correspondances entre le présent et le passé nous expliquent mieux ce mal-être. Hakim a perdu sa sœur qui s’était suicidée en se jetant dans la mer, un souvenir qui le hante toujours.
Taciturne, renfermé et fragile, Hakim incarne le malaise de toute une génération (le film est tourné sous l’ère de Ben Ali), avide de liberté et d’aventures, il décide de partir vers le sud pour fuir le souvenir de sa sœur et la vie monotone toute tracée de son frère.
Hakim a surtout besoin d’échapper aux contraintes de l’espace et du temps et des frontières physiques et mentales pour se retrouver. «Je ne sais pas où je vais mais j’y vais tout droit», murmure sa voix-off.
Un film aux accents mystiques et corsaires
La deuxième partie du film nous installe dans un désert démesuré et laisse place à une histoire d’amour naissante entre Hakim et une jeune photographe, deux êtres unis par un besoin d’échappatoire. C’est cette rencontre qui permettra à notre héros de s’ouvrir, le monologue laisse désormais place à des échanges émotifs.
Dans ‘‘No man’s love’’, Nidhal Chatta réinterprète le road-movie avec un ton très personnel en y puisant tout son amour pour la nature. Dans une vieille voiture, symbole de liberté individuelle et de mobilité dans le genre du road-movie, Hakim parcourt le pays pour arriver aux terres désertées.
Embauché par Férid, un homme puissant et dangereux, Hakim accepte une mission secrète, celle de retrouver un vieux trésor enfui sous les profondeurs du désert, en même temps que sa copine Aïcha, atteinte d’une maladie chronique s’aventure à la recherche d’une recette miracle chez un guérisseur traditionnel, au milieu de ce désert parsemé de marabouts, une atmosphère propre au sud tunisien.
Dans cette partie du film, le cinéaste joue la carte de l’exploration intimiste de chacun de ses personnages et cède en grande partie la place au silence et à la contemplation, d’autant plus qu’il s’agit d’un film très esthétique qui mise sur l’image, axe fort de cette œuvre. Que ce soit au fin fond de la mer ou dans l’immensité désertique, les images restent prégnantes dans notre mémoire visuelle.
‘‘No man’s love’’ est un road-movie aux accents à la fois mystiques et corsaires qui ne coule pas dans le moule du cinéma tunisien traditionnel et qui, 16 ans après sa sortie, n’a rien perdu de son charme.
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