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Les médecins tunisiens ne brillent pas (tous) en Tunisie

L’auteur répond ici à l’article du Dr Moez Ben Salem, ‘‘Les médecins tunisiens brillent à l’étranger’’, publié samedi 17 décembre 2016, par Kapitalis.

Par Dr Mounir Hanablia *

Au vu du faible nombre de commentaires recueillis après la publication de certains articles concernant le scandale médical des stents périmés et la mainmise du secteur privé sur les hôpitaux publics , une évidence s’imposait pour moi : le public tunisien ne ferait pas l’effort de lire, ou bien se sentirait plus impliqué par le mariage pédophile, le drame du peuple palestinien, ou l’islamisme, que par le devenir des médecins totalement dénués de conscience professionnelle, auxquels ils confient pourtant tous les jours leur santé et leur vie.

Des médecins la main dans le sac

Mais il faut admettre qu’il soit plutôt rare que des médecins, que dis je, des élites médicales, soient attrapés la main dans le sac, en aussi grand nombre, sous un double chef d’inculpation : la mise en danger délibérée de la vie des malades, et la corruption.

Dans certains autres pays où la liberté d’opinion et d’expression est d’abord une conscience du nécessaire respect des lois, une telle affaire ne passerait tout simplement pas, parce que le public exigerait que les coupables soient punis afin de se prémunir pour sa propre sécurité et celle de ses enfants, contre la répétition de tels actes.

Mais pas en Tunisie où malheureusement les moyens de persuasion de masse font souvent office de conscience collective et ont plus que partout ailleurs le pouvoir de canaliser l’intérêt du public vers certains sujets au détriment d’autres, et il suffit pour s’en rendre compte de constater l’impact des quelques programmes de télévision bien connus que la plupart des gens suivent.

Mais un dernier constat relativement à un article du Dr Moez Ben Salem vient nuancer cette appréciation: plus de 3000 partages, un tel nombre suggère d’abord une forte implication professionnelle, ce qui somme toute est pour moi particulièrement réjouissant et réconfortant, les médecins lisent Kapitalis, et plutôt massivement.

Mais que dit cet article? Que les médecins tunisiens sont les étrangers qui réussissent le mieux les concours de l’équivalence en France, et donc que le niveau des médecins tunisiens est internationalement reconnu, mais que si on (les médias) continuait à les persécuter, ils s’en iraient tous vers des cieux plus cléments. Une affirmation que par ailleurs la Société de Cardiologie n’avait fait que répéter, en partie, depuis le début du scandale des cardiologues, avec une belle constance afin de justifier l’injustifiable.

Pour en revenir à ce fameux article du Dr Ben Salem, même s’il exalte apparemment la fierté de la corporation médicale, ou qu’il suggère quelque part un intérêt professionnel à ce qu’un certain message soit transmis à une opinion publique jugée particulièrement hargneuse à son égard, celui de du droit de la corporation médicale à vivre en paix (sinon…), il n’en demeure pas moins que les arguments utilisés par ce collègue sont ceux de l’excellence, de laquelle découleraient un certain nombre de privilèges, ceux de ne pas être critiqués pour des erreurs médicales ou pour des irrégularités concernant l’acquittement des charges fiscales.

La probité du corps médical en question

Le caractère outrancier de ces revendications (implicites) est manifeste parce que, ainsi que les principes de Friedrich Dürrenmatt l’avaient formulé pour la physique, si la médecine est d’abord l’affaire des médecins, ses effets sont l’affaire de tout le monde. Et c’est vrai que si ce dont il s’agit ici est l’inquiétude légitime exprimée par le public concernant un certain nombre d’erreurs que la complexité croissante de la pratique médicale rend de plus en plus probables, ce qui rend cette inquiétude dramatique est justement le sentiment répandu que ces erreurs soient liées à la cupidité supposée des médecins. Et il faut reconnaître qu’après une affaire comme celle des stents périmés, qui voit les coupables continuer à bénéficier de la confiance de leurs collègues et à exercer paisiblement dans certaines cliniques en usant d’un matériel mal entretenu, avec l’assentiment des directions de ces établissements, malgré les suspensions d’activité décidées par l’Ordre professionnel, pourtant relativement légères eu égard à la gravité des faits incriminés, beaucoup de questions peuvent légitimement être soulevées par le public concernant la probité et l’intégrité du corps médical dans son ensemble.

Mais pour en revenir à l’argument massue de mon collègue, celui du départ massif des jeunes médecins, il faudrait pour s’en faire une idée exacte, préalablement, discuter avec les jeunes résidents qui viennent justement de réussir l’un des concours les plus durs qui soient et qu’on ne saurait donc accuser de médiocrité. Ils voudraient tous choisir la radiologie, parce qu’ils y trouveraient d’abord le respect de leurs aînés, ensuite l’opportunité de se former sérieusement au métier en assumant de vraies responsabilités, enfin, au cas où ils ne trouveraient pas à la fin de leur spécialisation de situation professionnelle à la mesure de leurs ambitions, la possibilité d’aller exercer leurs talents sous des cieux plus cléments.

Cela veut dire que d’autres spécialités, en particulier la cardiologie, n’offrent pas ces opportunités là, entre autres parce que tous les malades issus du milieu hospitalier, et justiciables d’actes curatifs, sont systématiquement envoyés vers les cliniques privées, du simple fait qu’un grand nombre de parties influentes y trouvent leur intérêt.

L’une des conséquences en est donc que le nombre de malades traités dans les cliniques privées adressés de l’hôpital, où ils pourraient être soignés pour le plus grand bénéfice autant des malades que des étudiants, est nettement supérieur à ceux traités dans les structures publiques hospitalo-universitaires.

Pas plus compétents que le reste du monde

Est-ce que la cardiologie offre des opportunités aux jeunes? Récemment un laboratoire pharmaceutique a décerné un prix de 10.000 dinars à une sommité de la profession qui, en fait, n’en a nul besoin, c’est le moins que l’on puisse dire; un prix sans doute mérité, mais qu’il aurait été plus opportun de décerner à un jeune pour l’encourager, sans aucun doute et qui témoigne bien de l’état d’esprit régnant au sein de la profession.

Abstraction faite de cela, la réussite supérieure des médecins tunisiens dans les examens d’équivalence français a aussi peut-être une histoire en rapport avec l’émigration massive des jeunes médecins du fait des privilèges institutionnalisés, dans leur pays, oblitérant leurs horizons professionnels, et bien évidemment si les médecins tunisiens sont les plus nombreux à passer les examens de l’équivalence, et qu’ils aient aussi, par rapport aux Bulgares, aux Hongrois, et aux Serbes, l’avantage de la familiarisation avec la langue française, il serait normal qu’ils soient les plus nombreux à réussir.

En conclusion, la première qualité d’un bon médecin est de faire preuve d’esprit critique, et d’être capable de remettre en cause autant ses propres diagnostics, que d’éventuelles opinions erronées.

Il faudrait donc que le corps médical cesse d’halluciner et de faire des confusions dommageables pour sa réputation; il n’est pas plus compétent que le reste du monde, et s’il l’est, cela ne le dispense ni des critiques, ni de l’obligation de payer ses impôts. Et au lieu de revendiquer des privilèges dont nul ne lui soit redevable, il ferait mieux de prendre conscience des véritables détenteurs des intérêts dominants, qui tous les jours et en toute illégalité, accaparent pour eux et leurs enfants les richesses issues de l’activité professionnelle, qui ont imposé à la profession un pacte des «avantages indus partagés», pour ne pas dire plus, et qui pour ne pas avoir à rendre de comptes, se réfugient derrière le nécessaire devoir de solidarité professionnelle et derrière des revendications syndicales et corporatistes.

D’ailleurs le message ci-après** diffusé par un collègue par e-mail après son élection au bureau de la Société tunisienne de cardiologie et de chirurgie cardiovasculaire (STCCCV), constitue la meilleure illustration de ce fameux devoir d’union, de solidarité, d’intelligence collective (le cerveau dans le cerveau), et une critique, sinon une insulte, de «l’individualisme», autrement dit le refus de se ranger aveuglément dans la meute.

* Cardiologue, Gamarth, La Marsa.

** Très chers amis, je tiens à vous remercier pour le vote «confiance» que vous m’avez offert et qui m’a réchauffé le cœur. Je remercie tous les votants pour s’être mobilisés massivement afin de soutenir leur société de cardiologie et de chirurgie cardiovasculaire. Je remercie le bureau sortant pour l’immense travail déployé et en particulier mes amis Pr Sami Mourali et Dr Rafik Chettaoui.

Le nouveau bureau de la STCCCV se doit de répondre à vos attentes et maintenir nos spécialités au plus haut rang. Dans la situation difficile de notre pays, notre unité doit être inébranlable, les suggestions de tout un chacun de nous doit trouver une oreille attentive (Network thinking) car l’intelligence commune de tous est certainement supérieure à l’individualisme et l’égocentrisme instinctifs et primitifs.

Nous cardiologues et chirurgiens cardiovasculaires sommes certainement pas «bêtes» et devons mettre «le cerveau dans le cerveau» pour décupler notre énergie et offrir le meilleur à nos patients, à notre pays et à la science qui nous réunit.

Le haut degré de civisme démocratique de ces élections nous donne la preuve que la démocratie a gagné mais l’action doit actuellement vaincre l’inertie et le courage doit esquiver contemplation, évictionnisme et protectionnisme.

Je vous demande amicalement en commentaires à ce post de formuler vos attentes, critiques et vision du futur.

Vive la cardiologie et la chirurgie cardiovasculaire.

Dr Foulen El-Foulani

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