Pour avoir appliqué la fameuse devise : «Charité bien ordonnée commence par soi-même», le très chrétien François Fillon risque d’être privé de… présidentielle.
Par Slaheddine Dchicha *
En novembre dernier, en France, lors des deux tours de la Primaire de la droite et du centre, François Fillon a survolé la consultation et a tellement distancé ses concurrents qu’il ne faisait guère de doute pour nombre d’analystes, osant anticiper ainsi sur les résultats des véritables élections d’avril et mai prochains, qu’il serait le prochain président de la république.
Le «discours de vérité» de «Monsieur Propre»
Ce subit et surprenant destin présidentiel s’est d’autant plus imposé à tous que le candidat Fillon présentait le profil idéal pour la fonction. Une carrière brillante et une expérience solide d’élu et d’homme d’Etat : après avoir été député, sénateur et puis ministre, il a fini Premier ministre.
Et pendant ces longues années, le sens de l’Etat et du bien public paraissait en harmonie avec la personne et la conduite du candidat. En effet, ce père de famille nombreuse semble mesuré et modéré et par contraste avec la fougue voire l’agitation de l’hyper actif, l’ancien président Nicolas Sarkozy, il rassure par son calme, sa discrétion et son sérieux.
Sérieux que les observateurs ont constaté dans son programme économique et social. En effet, pour redresser le pays et assainir les comptes de l’Etat, M. Fillon a rigoureusement chiffré les mesures austères qu’il comptait appliquer : le nombre de fonctionnaires à supprimer, le montant des charges des entreprises, celui des dépenses de l’Etat et des indemnités de chômage à réduire et jusqu’au nombre de pages que le code du travail ne devrait pas dépasser.
Le candidat entend ainsi éviter de bercer et de berner les Français en leur épargnant des promesses difficilement tenables et, ce faisant, il a opté pour un «discours de vérité» qui n’annonce que «des larmes et du sang».
La foi catholique et la République laïque
Cette rigueur gestionnaire se trouve au diapason avec une rigueur morale, puisque M. Fillon, et ce dès le mois de septembre 2016, n’a pas hésité à insister sur ses convictions religieuses.
En effet, dans un chapitre consacré à sa foi catholique de son livre ‘‘Faire’’ paru en septembre, il dit : «J’ai été élevé dans cette tradition et j’ai gardé cette foi», et le 22 du même mois, dans une émission sur les médias catholiques, KTOTV et RCF, il se présente comme «le candidat dont le comportement personnel semble le plus en accord avec les valeurs des catholiques».
Enfin le 3 janvier dernier, confiant, ivre de ses succès à la Primaire et revigoré par ses soutiens religieux de la cathosphère tels le Sens commun et La Manif pour tous, il enfonce le clou sur TF1 : «Je suis chrétien. Ça veut dire que je ne prendrai jamais une décision qui sera contraire au respect de la dignité humaine, de la personne humaine.»
Le devoir d’exemplarité
Donc, la présidentielle française semblait être pliée avant même d’avoir eu lieu ! Un candidat, surprise il est vrai, mais on n’est plus à une surprise près en cette année de grâce 2016 ! En tout cas, un candidat que tout impose : l’expérience, la compétence, la probité et surtout l’exemplarité qu’il s’est attribuée ce dimanche 28 août, chez lui à Sablé-sur-Sarthe en ces termes: «Ceux qui ne respectent pas les lois de la république ne devraient pas pouvoir se présenter devant les électeurs. Il ne sert à rien de parler d’autorité quand on n’est pas soi-même irréprochable. Qui imagine le général de Gaulle mis en examen?»
«Chiche!», semblent s’être dit certains «lanceurs d’alerte» et autres courageux informateurs qui se sont adressés à l’hebdomadaire ‘‘Le Canard Enchaîné’’ dont les révélations ont provoqué un gigantesque patatras!
L’honneur du journalisme
En effet, le 25 janvier, l’incorruptible hebdomadaire, centenaire depuis juillet dernier, a commencé à révéler ce qu’il est désormais convenu d’appeler le Pénélope Gate du prénom de Mme Fillon. Pénélope Clarke Fillon a été salariée et grassement payée (500.000€) par son généreux époux officiellement en tant qu’assistante parlementaire, en réalité selon ‘‘Le Canard enchaîné’’ pour un travail fictif.
«Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie» : l’hebdomadaire satirique semble partager et appliquer cette réflexion d’Albert Londres, en multipliant, depuis, les révélations qui accablent le candidat des Républicains et le favori des sondages.
Le scandale s’est étendu en effet les jours suivants à toute la famille, puisque les enfants Fillon, Marie et Charles à l’époque étudiants, ont bénéficié du même généreux traitement que leur maman qui voit s’alourdir les charges pesant sur elle puisqu’elle est soupçonnée d’un autre emploi fictif à ‘‘La Revue des deux mondes’’, une publication appartenant au milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière et dirigée par un ami de la famille de l’ex-Premier ministre. Elle aurait touché entre 2012 et 2013 une somme totale de 100.000€ pour quelques notes de lecture.
Par ailleurs, Alexia Demirdjian, la responsable de la campagne numérique du candidat François Fillon a bénéficié elle aussi de la même générosité amicale de Marc Ladreit de Lacharrière.
Enfin, l’exemplaire et irréprochable François Fillon lui-même, ce père-la-vertu, a encaissé à travers sa société 2F Conseil, entre 2002 et 2015 pas loin de 756.000 euros et il serait impliqué dans un vaste système de détournement de fonds publics mis en place entre 2003 et 2014 par des sénateurs UMP…
De cette série d’indélicatesses, outre la fameuse morale : «charité (chrétienne) bien ordonnée commence par soi-même», quelles conclusions, quelles leçons tirer?
Le légal et l’éthique
Bien sûr, rien n’interdit à M. Fillon d’employer sa parentèle, puisque c’est légal! Et même la scandaleuse disproportion entre le salaire perçu et le (non)travail effectué pourrait être justifiée et pardonnée avec des avocats chèrement compétents et grassement payés.
Et dans le cas où il était mis en examen, il serait probablement blanchi et innocenté et grand bien lui fasse car l’essentiel n’est pas là. Il ne s’agit pas de légalité mais de moralité.
Une majorité de citoyens se souviendront de ses mensonges ou tout du moins de ses inexactitudes. Ils se souviendront de ses indélicatesses: le népotisme et l’intérêt privé qui l’emportent sur l’équité et le bien public. Ils se souviendront du fossé séparant les valeurs prêchées, les belles paroles et les et les actes.
Ce qui en cause, c’est non la légalité mais l’éthique surtout lorsqu’on songe aux déclarations et au crédo affichés.
Ces écarts éthiques risquent de lui coûter son maintien dans la course à l’Elysée et tout le monde se souviendra du courage des journalistes et de leurs informateurs, ces valeureux lanceurs d’alerte.
* Universitaire.
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