L’opération antiterroriste de Sidi Bouzid, dimanche 30 avril 2017, est un modèle d’organisation et de réussite dans toutes ses étapes. Décryptage…
Par Mohamed Nafti *
Le 30 avril 2017, l’Unité spéciale de la garde nationale tunisienne (USGNT) a effectué une mission à haut risque, à Sidi Bouzid, ciblant l’émir du groupe terroriste Oqba Ibn Nafaa et l’un de ses lieutenants. Le duo, armé de Kalachnikovs AK47 et de grenades, était retranché dans une maison en cours de construction située dans la périphérie de cette ville du centre de la Tunisie.
Une communication intelligente
Une vidéo de l’opération a circulé sur les réseaux sociaux et résumait les moments forts de l’assaut mené par les membres de l’USGNT, qui a été chargée de traiter cet objectif. Des images très nettes, sans doute celles d’un drone actionné après l’opération sur le lieu de l’assaut, permettaient une lecture approximative du mécanisme de l’attaque. Il est clair que ces images proposent un remake de l’assaut et non l’action véritable. On le comprend, c’est un secret professionnel. Il est certain que les responsables sécuritaires reverront la vidéo de l’action réelle pour l’étudier et tirer les enseignements utiles pour améliorer les performances futures de l’USGNT.
Le citoyen ordinaire ne s’intéressera, finalement, qu’au résultat de l’opération, mais la vidéo diffusée est intéressante à plusieurs titres.
Les deux terroristes tués / Les éléments d’élite postés sur les toits des maisons.
En premier lieu, la vidéo est une communication intelligente du ministère de l’Intérieur et sans doute du gouvernement en cette conjoncture difficile que traverse le pays. C’est comme si on a sauté sur cette occasion qui s’est présentée pour faire valoir l’action du gouvernement dans un domaine très sensible, en l’occurrence la sécurité du pays et de la population.
La réussite des forces de l’ordre dans leur combat contre le terrorisme est aussi une preuve de réussite de l’administration politique. Le message transmis aux citoyens est double.
Un : le terrorisme en Tunisie est une réalité, restons vigilants et solidaires. Les forces de l’ordre sont toujours disponibles et capables de s’opposer à cette menace d’une manière efficace pour assurer la sécurité de la population.
Deux : la vidéo est une communication dissuasive pour les terroristes. A ces derniers, le ministère de l’Intérieur envoie ce message très fort : voyez ce dont on est capable. Attention! Nos hommes sont hautement qualifiés dans le combat urbain contre le terroriste. Notre service de renseignement est développé. On vous traque et on vous élimine dans vos repaires en anticipant vos actes. Enfin sachez qu’on a renforcé nos capacités de lutte par l’intégration d’outils technologiques (drones) qui permettent de surveiller toutes vos activités.
Le dernier message est tacite : on élimine d’abord vos émirs et il sera plus facile après de traiter la troupe.
Viser le C2 («command and control») est la manière la plus efficace dans la lutte contre le terrorisme.
Enfin, la vidéo est aussi un bon moment de détente pour les amateurs d’action. Le citoyen peut facilement y déceler l’organisation de l’unité durant l’assaut. Nous évoquerons, de notre côté, les éléments suivants…
* Un élément de sécurité : composé d’un nombre d’agents positionnés dans le périmètre de la maison. Quelques uns à pied et d’autres embarqués sur les véhicules. La mission de cet élément devrait être la couverture de l’assaut en isolant l’objectif. En d’autres termes il fallait interdire à quiconque d’’entrer ou de quitter le périmètre au cours de l’opération.
* Un élément d’appui : comprenant une demi-douzaine d’agents postés sur le toit d’une maison à proximité et en face des entrées de la maison cible (face à la porte). La tâche de cet élément est de fournir une aide instantanée à l’élément qui va aborder la maison où sont retranchés les terroristes. L’aide fournie consiste à livrer des tirs nourris sur les entrées de la maison pendant l’approche immédiate de la cible (abordage de l’objectif).
* Un élément d’assaut qui compte une demi-douzaine d’hommes et un chien. Leur mission est d’aborder l’objectif et d’éliminer les terroristes. A partir de leur poste initial, un lieu choisi aux alentours de la cible, ils commencent à s’approcher, couverts par les feux de l’élément d’appui jusqu’à l’entrée de la maison. Ils lancent des grenades par les entrées et tirent des rafales. Ils lâchent ensuite le chien à l’intérieur pour s’assurer que le danger est écarté. Ce n’est qu’après la sortie du chien qu’ils entrent dans l’enceinte pour fouiller et éliminer tout danger résiduel.
* Un drone filme l’opération mais il constitue, en réalité, un élément de sécurité chargé de l’observation et du suivi des activités de l’adversaire. C’est l’élément capital de l’opération. L’aide de ce minuscule objet est inestimable et on pourrait même avancer que cet outil a conditionné la réussite de l’opération car il offrait le renseignement instantané au chef de l’opération.
L’assaut final.
Un haut degré de coordination
La vidéo est de courte durée et ne montre que l’essentiel de l’assaut. Ce travail pourrait sembler d’une facilité concertante pour un amateur, mais une opération de ce genre est, en réalité, plus complexe. Elle doit répondre à plusieurs critères qui ont dû être rassemblés pour assurer sa réussite totale.
Il s’agit d’un long travail de veille opérationnelle et de renseignement continu pour assurer la filature des éléments terroristes et pour les suivre jusqu’à leur repaire. Il a fallu ensuite alerter les hommes de l’USGNT et les acheminer discrètement et rapidement sur les lieux de l’assaut.
Si les terroristes, qui ont aussi leurs hommes de renseignement, étaient au courant de la mise en route des agents, ils auraient quitté les lieux et toute la mission serait tombée à l’eau. Aucun faux pas n’était donc permis.
L’opération a donc nécessité un haut degré de coordination entre les différents éléments participant à l’attaque. La mise en place discrète, les signaux de fin de mise en place, le déclenchement et la synchronisation des tâches sont, généralement, les mesures de contrôle les plus difficiles à accomplir et représentent les clefs de la réussite de l’opération. Mais il ne faut jamais oublier le rôle du chef d’orchestre de toute l’équipe, c’est-à-dire le commandant de l’unité qui est responsable de tous les actes.
Les hommes de l’USGNT ont conduit un assaut avec une rare adresse. Cette réussite n’aurait pu être accomplie sans la disponibilité du renseignement opératif qui a permis la filature des terroristes à partir de leur point initial à la frontière algérienne, des environs de Kasserine jusqu’à Sidi Bouzid.
C’est ensuite la disponibilité du renseignement tactique qui a permis l’observation des terroristes et le suivi de leurs activités dans leur dernier repaire et jusqu’à l’arrivée des hommes de l’USGNT.
L’apport du renseignement est capital dans toute opération militaire et encore plus dans ce genre d’opération. Il ne faut pas non plus minimiser le rôle joué par l’unité de la GN qui mérite toute la considération et le respect pour son professionnalisme et sa bravoure.
Tous les Tunisiens se réjouissent et applaudissent les hommes de l’USGNT pour cet excellent travail. Pour ma part, j’exprime toute mon estime pour le chef de l’unité pour tous les efforts qu’il a consentis pour préserver la vie de ses hommes dans cette opération à haut risque, preuve tangible d’un commandement sans faute et d’un entrainement intensif qui a permis d’arriver à ce niveau d’excellence.
* Général à la retraite.
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