La guerre contre la corruption doit aussi s’intéresser au secteur énergétique qui est mal géré et présente beaucoup de zones d’ombre.
Par Mohamed Rebaï *
Depuis quarante ans la Tunisie produit annuellement 4 millions de tonnes de pétrole brut, juste l’équivalent de la consommation nationale. Curieusement ce chiffre n’a pas ou peu bougé. Un modus vivendi entre tous les intervenants ou une omerta imposée ?
Malgré les concessions accordées à droite et à gauche, dont on ne connait pas le nombre ni l’étendue des permis de recherche, le chiffre avancé de 4 millions de TEP est revu à la baisse pour l’année écoulée 3,29 millions, dont 600.000 raffinées localement et le reste exporté brut.
Une faible capacité de raffinage
Le déficit en produits raffinés demeure donc très important portant un grand préjudice à l’économie nationale dans la mesure où le budget de l’Etat est indexé annuellement au cours du baril en dollar.
La solution serait de renforcer la capacité de raffinage de la Stir et la relance du projet d’une nouvelle raffinerie à Skhira, initié par le groupe Qatar Petroleum (QP) à un coût initial de 2,5 milliards de dinars tunisiens (MDT) et d’une capacité de traitement de 120.000 barils/jour et pouvant créer 1.200 emplois.
D’ailleurs, d’autres groupes (britannique, turc et émirati) sont toujours intéressés par ce projet, qui peut multiplier par quatre la capacité de raffinage de la Tunisie, puisque la Stir, créée en 1961 et dont l’équipement devient obsolète, ne produit que 34.000 barils/j.
Ironie du sort, à ma connaissance, ce sont les habitants de Skhira qui ont bloqué, en 2012, la construction de cette grande raffinerie, exigeant la cession du terrain aux Qataris à des prix exorbitants et l’emploi prioritaire de leurs enfants.
Depuis, le projet piétine et ne se réalise pas. A un certain moment, c’étaient des membres du clan de l’ancien président Ben Ali, les Trabelsi, qui s’interposaient pour toucher des commissions. Aujourd’hui, ce sont les contrebandiers de carburant qui supplantent l’Etat et trouvent le créneau largement porteur.
L’exemple de Singapour
Un petit pays émergent comme Singapour, le troisième centre de raffinage au monde, traite 1 .390.000 barils/j, à comparer 34.000 barils/j raffinés par la Stir. On ne va pas comparer la Tunisie à l’Arabie saoudite, qui produit 3.213.000 barils/j ou à d’autres pays comme les Etats-Unis, la Chine ou la Russie. Mais de tout de même, il y a des progrès que notre pays doit faire dans ce domaine.
Tandis que la Tunisie affiche un PIB à 49 milliards de dollars, Singapour, lui, est à 277 milliards de PIB (l’un des plus élevés par habitant au monde), soit 6 fois le nôtre avec une population beaucoup moins nombreuse (5,3 millions d’habitants, contre 11,2 pour la Tunisie). Doit-on rappeler, ici, pour que la comparaison soit complète, qu’en 1970, les deux pays avaient presque le même PIB?
L’île de Singapour, très densément peuplée de millionnaires (5000), dispose d’une superficie de 719km2, soit le 1/10e de celle du gouvernorat de Kairouan (6.712 km2). Elle fournit tous les services portuaires (réparation, pétrole et denrées alimentaires) aux nombreux bateaux et tankers de passage. Et nous, qu’est ce qu’on a fait des chantiers navals de Bizerte arrachées à la France en 1961 au prix de milliers de morts?
On aurait dû y penser depuis quarante ans au moins. Pourquoi on ne l’a pas fait? Parce que tout simplement nous manquons de vision, d’imagination et de stratégie. C’est aussi, d’une certaine façon, un grand dossier de «fassad» (corruption) qu’on serait bien inspiré d’ouvrir un jour, et le plus tôt serait le moins, tant le manque à gagner induit est énorme.
Un protestataire ferme la vanne d’un pipeline de transport de pétrole à Tataouine.
Cherchez la mafia
Aux dernières statistiques de l’INS, les exportations tunisiennes de produits énergétiques ont chuté de 42,7% entre 2014 et 2015, passant de 3.471,7 MDT à 1.986,3 MDT.
Par contre les importations ont enregistré, durant la même période, une hausse de 27% passant de 5.377,9 MDT à 7.381,5 MDT, aggravant le déficit commercial en produits énergétiques de 13,25%. Le tableau n’est pas très reluisant et ne traduit pas une bonne gestion du secteur. Au contraire.
Il n’y a pas que le secteur du pétrole qui est mal géré. Il y a aussi ceux du gaz naturel, du phosphate, du sel, de l’huile d’olive, des dattes et des agrumes dont l’exportation pourrait être boostée et développée à grande échelle.
Pour comprendre l’économie d’un pays, il faut étudier le comportement de ses mafias. D’ailleurs, on comprend mieux, maintenant, pourquoi il y a tant de gens, en Tunisie, qui se bousculent au portillon de la politique et cherchent à améliorer leur image à travers les médias. L’occupation du champ politico-médiatique est devenue un investissement qui rapporte, particulièrement après la révolution de janvier 2011.
Au-delà des intentions politiques ayant présidé à la campagne médiatique «Winou el pétrole» (Où est le pétrole), lancée en 2015, ou à l’occupation, il y a une dizaine de jours, d’un site pétrolier à El-Kamour, à Tataouine, qui aurait été manigancée par des activistes politiques et des contrebandiers cherchant à mettre à genoux le pays, force est de constater que le secteur énergétique est mal géré, présente beaucoup de zones d’ombre et mérite une attention plus grande de la part des autorités soucieuses de combattre la corruption. Une grande réforme, en tout cas, s’y impose.
* Economiste.
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