La politique nationale de santé publique en Tunisie accuse un retard important en matière de soins palliatifs et notre médecine est tout orientée vers les soins curatifs.
Par Dr Karim Abdessalem
A défaut d’organisation en soins palliatifs, la plupart des malades en situation de fin de vie subissent un véritable calvaire : soit ils sont sujets à l’acharnement thérapeutique, soit ils sont abandonnés à leur sort.
Les données que nous avons sur le cancer montrent qu’en 2014, près de 6600 nouveaux cas de cancer ont été enregistrés dans notre pays. 3694 chez les hommes avec principalement une atteinte du poumon et 2900 chez les femmes avec en premier une localisation mammaire. La maladie est en nette augmentation: l’incidence du cancer toutes localisations confondues progresserait de 125 pour 100.000 individus pour la période de 2004-2008 à 202 pour celle de 2019-2024.*
Les lois se adaptées aux changements de mentalité
A cause du faible rendement du dépistage du cancer, la plupart des cas sont diagnostiqués à un stade avancé de la maladie, ce qui fait diminuer fortement les chances de guérison. Par exemple, un cancer du sein dépisté par une mammographie systématique a un pronostic nettement plus favorable qu’un cancer diagnostiqué au stade d’une masse palpable à fortiori lorsqu’elle s’accompagne d’un envahissement de ganglions.
Une question se pose immédiatement : comment prenons-nous en charge le malade atteint d’un cancer avancé et métastasé, qui ne répond à aucun type de traitement et dont la principale plainte est la douleur?
Dans les pays avancés cette situation de fin de vie, qui en général concerne non pas les personnes mourant naturellement de vieillesse, mais les patients qui ne sont pas «en âge de mourir», est un sujet qui fait l’objet d’un nombre incalculable de publications, qui s’invite volontiers dans les débats électoraux et qui mobilise l’opinion publique en faveur d’un renforcement des droits du patient en fin de vie.
Les lois se sont adaptées aux changements de mentalité pour aller, selon les pays, du rejet de l’acharnement thérapeutique à la dépénalisation de l’euthanasie. Mais toutes les législations ont pour dénominateur commun l’imposition d’un droit d’accès aux soins palliatifs.
D’ailleurs, au même titre que les soins curatifs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnait explicitement les soins palliatifs au titre du droit de l’homme à la santé.
Les soins palliatifs (dits aussi soins de support ou soins d’accompagnement) ont pour objectif de lutter contre la douleur psychique et physique, d’assurer le nursing et de soulager les autres symptômes liés à la maladie, entre autres, l’encombrement trachéal, la constipation et les vomissements. Ils viennent se substituer aux soins curatifs lorsque ces derniers deviennent inefficaces pour guérir ou ralentir le mal.
En soins palliatifs, la mort est considérée comme un processus naturel, elle n’y est jamais provoquée intentionnellement. En évitant l’acharnement thérapeutique (terme remplacé par obstination déraisonnable), c’est-à-dire les investigations et les traitements disproportionnés par rapport aux bénéfices attendus, les soignants s’efforcent d’améliorer la qualité de la fin de vie plutôt que de la prolonger. Ces soins peuvent être prodigués en unité d’hospitalisation ou à domicile par des équipes mobiles.
Acharnement thérapeutique et inutilité des traitements
En Tunisie, le sujet de la fin de vie n’est pas du tout mis en lumière; notre politique nationale de santé publique accuse un retard important en matière de soins palliatifs et notre médecine est tout orientée vers les soins curatifs. L’acharnement thérapeutique y est culturellement le standard de soins.
En fait, l’acharnement thérapeutique est souvent une exigence des parents. En effet, ces derniers, avec une confiance démesurée en les pouvoirs de la médecine doublée d’un déni de la gravité de la maladie, réclament une poursuite déraisonnable des traitements. Ils ne sont jamais prêts à lâcher prise et à accepter la mort de leur proche et, pour eux, l’abstention thérapeutique n’a aucun sens.
Les médecins oncologues connaissent bien la difficulté d’arrêter une chimiothérapie. Celle-ci a été présentée au malade comme la seule issue contre un mal qui progresse et on peut comprendre que ni la famille, ni le médecin ne puissent se résoudre à l’abandonner. On parle dans ces cas de chimiothérapie à titre psychologique ou à caractère compassionnel.
De la même manière, les réanimateurs ont du mal à rejeter une admission en réanimation alors même que la situation est clairement sans espoir. Il faut signaler ici, qu’ils ne sont jamais à l’abri de poursuites s’ils s’y refusent.
En effet, en l’état actuel, la loi Tunisienne oblige le médecin à intervenir pour sauver une personne en détresse même lorsqu’elle se trouve en phase avancée ou terminale d’une maladie grave. L’abstention volontaire de porter secours à une personne en péril étant sanctionnée de 5 ans de prison.
A l’autre extrême de l’acharnement thérapeutique, lorsque la famille réalise la gravité de la situation et comprend l’inutilité de tout traitements, il n’est pas rare de voir des médecins conseiller un arrêt des hospitalisations et un retour à domicile, ce qui en soi n’est pas choquant; Bien au contraire, nous appelons au développement de soins palliatifs ambulants. Mais ce qui est dramatique, c’est le caractère aléatoire de cette démarche.
Dans un contexte socioéconomique où les moyens sont limités et l’accès à certains médicaments comme la morphine problématique, la famille est abandonnée sans aucune planification des soins, elle doit se débrouiller comme elle peut pour soulager le souffrant qui n’a d’autre choix que l’acceptation fataliste de son triste sort.
Nous sommes contre l’acharnement thérapeutique et contre l’abandon des malades. Une adaptation du système de soins visant à universaliser les soins palliatifs s’impose. C’est la pierre angulaire de la prise en charge des personnes en situation de fin de vie. C’est un symbole de solidarité d’une société.
* Registre des Cancers Nord Tunisie (Données 1999-2003, Évolution 1994-2003, Projections à l’horizon 2024). Ministère de la Santé Publique, Tunisie.
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