Pourquoi un célèbre cardiologue, qui s’est fait voler une grosse somme d’argent cash de sa voiture garée au parking d’une clinique privée, fait-il profil bas ? Explications…
Par Dr Mounir Hanablia *
Récemment, un cardiologue bien connu de la nouvelle génération, de ceux qui dans la capitale sont montés comme une fusée dans le firmament de la profession, et qui, et c’est malheureusement loin d’être la règle, disposent de la confiance des gens de leur région, malgré son implication dans l’affaire que l’on sait, s’est retrouvé du côté des victimes. Nous l’appellerons pour des raisons d’opportunité, Dr Medica.
Le Dr Medica a donc constaté que sa voiture stationnée dans le parking du sous-sol de la clinique où il a l’habitude d’exercer, avait été forcée, et qu’une somme importante en argent liquide en avait disparu. Ce n’est certes pas la première fois que ce genre de chose puisse arriver, et les imprudents qui pensent qu’il existe sur cette planète un endroit sécurisé s’aperçoivent un jour ou l’autre de l’étendue de leurs illusions.
Le voleur était décidément bien informé
Mais ce qui confère un premier aspect singulier à cette affaire, c’est que le parking de cette clinique est à priori un endroit où l’accès est réellement interdit au public, où des gardiens sont postés, et où des caméras de surveillance webcam en filment en permanence les quatre recoins. Des webcams qui d’ailleurs, comme dans toutes les cliniques de la capitale, sont semées à tout bout de champ depuis bien avant l’apparition du terrorisme, et dont on finit par se demander si finalement cette obsession de l’image ne soit pas liée plus qu’à des impératifs professionnels ou sécuritaires, à un certain voyeurisme.
En effet, il faudrait déjà définir si les couloirs des établissements de soins privés soient ou pas des espaces publics, et si l’usage de films ou de photos sans l’assentiment du public n’obéisse pas lui aussi à certaines considérations juridiques, comme il est d’usage dans les pays évolués où le public se montre depuis longtemps soucieux du respect de ses droits, même après l’avènement du terrorisme.
Toujours est il que dans un tel établissement, une personne a réussi à ouvrir par effraction la voiture d’un médecin, c’est dire qu’elle était au courant de ses habitudes, de l’emplacement exact de sa voiture, de l’argent qui y avait été entreposé ce jour-là, et assez au fait des défauts de surveillance dans le parking (il y en a toujours) pour y perpétrer son forfait sans se faire repérer.
En principe une telle affaire survenue dans ces conditions là n’est pas longtemps tenue secrète parmi les agents de la clinique, dès lors qu’une plainte est déposée auprès de la police, et que celle-ci agit pour établir la vérité en procédant parmi le personnel aux interrogatoires d’usage .
Et c’est là qu’apparaît la deuxième réalité étrange, alors même qu’on se serait attendu à ce que sa fureur n’eût eu d’égal que son souci de récupérer son argent, une somme considérable à ce qu’on en a dit, le Dr Medica a choisi de faire profil bas en jouant le jeu de la discrétion.
Selon le personnel de la clinique, dont beaucoup passent la plus grande partie de leur temps de travail à rapporter les cancans et à colporter les bruits, vrais et faux, il aurait été soucieux de ne pas fournir de sujet de satisfaction à ses dépens. A qui? C’est une question qui mérite d’autant plus d’être posée qu’il a jugé le silence plus important que l’argent qui lui avait été dérobé.
Des affaires à n’en plus finir
C’est que le Dr Medica est déjà sous le coup d’une condamnation de son Ordre Professionnel à laquelle il n’a échappé que grâce à un recours juridiquement contestable susceptible d’être remis en question. Et il fait l’objet, tout comme ses collègues impliqués, d’une enquête judiciaire suite à la plainte en pénal déposée par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) dans l’affaire des stents périmés.
Le Dr Medica, dans ce contexte particulier, a donc estimé que la perte financière serait pour lui un moindre mal par rapport à une éventuelle publicité autour de cette affaire, du moment qu’il apparaîtrait, à l’instar d’un grand seigneur de la terre de ses ancêtres, l’Andalousie, plus soucieux de sa fierté et de son orgueil, que de ses sous.
C’est évidemment une explication possible, quoique tous ceux qui connaissent le personnage savent très bien combien la comptabilité tienne à ses yeux une place importante, en particulier lorsqu’il s’agit des patients que ses collègues ont reçus dans les cliniques, pendant ou en dehors de leurs gardes, ainsi d’ailleurs que les dénonciations de son propre fait auprès des directoires médicaux relatives aux accointances des médecins, afin de les faire écarter des tableaux de garde, si et seulement si, il estime celles-ci contraires à ses propres intérêts.
Connu pour rapporter les ragots malveillants, qu’il n’hésite pas à déverser sur le compte de ses collègues, auprès des milieux de la profession, afin de détourner leurs correspondants de toute velléité de collaboration avec eux, sans doute un péché de jeunesse, issu de son inexpérience, il ne s’est pas fait que des amis.
Prétendre donc que la montée en flèche du Dr Medica ne se soit pas faite dans le respect des règles serait un euphémisme; il a joué des coudes et des épaules pour se faire sa place au soleil; il s’est impliqué dans un scandale avec les fournisseurs de stents, et il n’a pas apprécié à leur juste valeur les conséquences de ses actes. Et, de la satisfaction que ses détracteurs retireraient de son infortune, il ne se préoccuperait normalement pas beaucoup, ce n’est ni dans ses habitudes ni dans son caractère.
Par contre, on peut considérer que dans la situation difficile qu’il traverse, il ne se soit fait discret que pour une seule raison, celle de ne pas attirer l’attention des autorités sur le fait qu’il disposât de sommes importantes en cash transportées dans sa voiture. A quelles fins? Dans les pays européens et en Amérique du Nord, les transactions ne se font presque plus en argent liquide, ceux qui en détiennent de grosses sommes se font immédiatement remarquer et suspecter soit comme terroristes, soit trafiquants de drogue.
La fraude fiscale dans le milieu médical
En Tunisie, depuis la loi des finances 2017 et la mise sous tutelle de la comptabilité financière issue des prestations médicales dans les établissements par leurs administrations, les chiffres d’affaires réalisés par les médecins dans les cliniques sont automatiquement communiqués à l’administration fiscale.
Cette nouvelle réglementation qui fait des services financiers des cliniques de véritables collecteurs d’impôts agissant pour le compte des finances de l’Etat, auxquelles ils fournissent les retenues à la source et l’information nécessaire sur des contribuables, a poussé beaucoup d’établissements à ne plus régler les honoraires des médecins que grâce à des chèques bancaires, desquels les retenues à la source auraient été soustraites.
Mais la réglementation ignore cependant un fait capital : les médecins grands actionnaires ou gros clients dans les cliniques disposent d’une autorité suffisante sur le personnel pour que leurs propres comptabilités, celles de leurs proches ou de leurs amis, ne soient communiquées que dans le sens exigé en fonction de leurs propres volontés.
C’est ainsi qu’il existe désormais deux catégories d’honoraires dans les établissements de soins privés: celles qui sont payées par chèques sur lesquels une retenue à la source a été effectuée et communiquée à l’administration fiscale; et celles payées en cash, dont leurs bénéficiaires disposent de tout le loisir pour ne pas les révéler au fisc.
A partir de là, l’attitude du Dr Medica devient plus compréhensible, ainsi que les tenants et aboutissants de sa gymnastique sémantique: fierté et orgueil ne sont plus que des néologismes issus d’une manipulation de langage utilisée par un membre de la classe dominante, visant à masquer une crainte justifiée de voir l’administration fiscale se mêler d’une situation déjà singulièrement rendue complexe par l’affaire des stents périmés, et surtout de mettre à jour des complicités avec la direction financière de la clinique en vue de dissimuler une partie des revenus dus aux finances de l’Etat.
Evidemment, comme le cambrioleur est une personne qui connaissait tout de sa victime, il est fort probable que lui-même ou son commanditaire n’ignoraient pas non plus le caractère illégal de ces sommes payées en cash, ainsi que la répugnance de la victime à porter plainte, une fois le forfait découvert.
Cela signifie une évidence, on ne peut pas ignorer au sein de l’établissement l’identité d’un coupable ayant opéré sous le nez des webcams, et renseigné par une personne sachant parfaitement le moment où le médecin avait récupéré son argent auprès des services financiers de la clinique, et de quelle sommes importantes il disposait, ni du fait qu’il les avait déposées à cette heure là dans sa voiture; une personne sans doute parfaitement au courant des cuisines financières de l’établissement, tenues secrètes, disposant des complicités nécessaires à l’accomplissement de certaines sales besognes, et sachant parfaitement la répugnance qu’il y aurait à y incriminer la police et la justice.
Ce n’est évidemment qu’une théorie, mais une théorie plausible basée sur des faits réels. Et jusqu’à preuve du contraire, une personne détentrice de grosses liquidités qui se fait dévaliser et se révèle avant tout soucieuse de discrétion, n’est pas une personne en règle, pour ne pas dire honnête.
Voilà où en est arrivée la pratique médicale en Tunisie. Et il est vrai que des choses étranges qu’on ne soupçonnait pas, commencent à y faire surface, à l’instar il y a quelques jours de cette sommité médicale arrêtée à la tête d’un gang de malfaiteurs détournant des produits de chimiothérapie d’un hôpital public pour les revendre dans le secteur privé.
Connections financières et appuis politiques
Il demeure bien évidemment toujours difficile de suspecter toutes les complicités et toutes les combines plus ou moins régulières qu’un établissement puisse dissimuler dans son fonctionnement quotidien, à l’abri de ses services administratifs durant des années. Et on se posera toujours la question de savoir quelle mission le Dr Medica comptait accomplir avec cette importante somme d’argent. A qui était il en réalité destiné? Et cet argent peut il avoir une autre source que la clinique?
C’est aussi une possibilité: cela fait plus d’une année que la justice s’attache à établir les connexions financières entre certains cardiologues impliqués dans le scandale des stents périmés, et leurs fournisseurs.
La crainte maquillée en orgueil du Dr Medica aurait donc d’autant plus ce qui pourrait la justifier; et même en toute rigueur. Mais comme l’a si bien dit Pasolini, comme toujours, c’est dans les mots seuls qu’on a décelé les symptômes. La chance, quelques indiscrétions, quelques phrases hors de propos, des néologismes utilisés en dehors de leur contexte, des affaires en cours relativement à l’usage de matériel périmé, et on peut très bien se faire une idée assez exacte de certaines réalités dans des milieux des plus fermés dont seule une poignée de décideurs triés sur le volet tirent les ficelles, et pas toujours en accord avec les lois.
Seuls des appuis politiques nécessaires assureraient leur survie, au prix de quelques concessions sémantiques en rapport avec le changement de la conjoncture politique: au lieu de développement, il faut désormais dire démocratie; au lieu de RCD il faut désormais dire majorité parlementaire; au lieu de clientèle importante, il faut dire compétence professionnelle. Et si le public exige d’être bien soigné, il doit d’abord être suffisamment au fait du langage utilisé, et bien renseigné, et dans le domaine médical, cela ne signifie nullement être informé des erreurs médicales et de leurs conséquences fâcheuses uniquement, mais aussi de l’exercice du pouvoir médical dont les compétences ne sont que l’un des reflets.
C’est à partir du moment où le public pourra faire la différence entre vraies compétences, et compétences factices, que la dégradation de la pratique médicale sera définitivement stoppée.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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