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Art contemporain : Les tombeaux de la dignité

Les artistes, comme les migrants, jettent une passerelle entre les deux rives de la Méditerranée.

Par Hamma Hanachi

«Art contemporain en Tunisie : un possible potentiel ou entre potentiel et possible». Ce titre long qui en dit aussi long sur une manifestation réalisée entre le 30 septembre et le 3 août 2017. Pour garder en mémoire et marquer cette manifestation remarquable et originale, les responsables ont ramassé le titre en deux syllabes : PoPo.

Développer des liens entre acteurs culturels

L’événement est essentiellement culturel, lié principalement à l’art contemporain dans son acceptation sommaire.

Il s’agit de rencontres entre journalistes étrangers, français, italiens et allemands spécialisés en arts plastiques, et galeristes tunisiens, appuyés par quelques journalistes tunisiens (trop peu nombreux hélas !).

La levée des tombeaux portés sur les épaules, direction la mer…

Soutenu par les ministères du Tourisme et des Affaires culturelles, imaginé et dirigé par Sadika Keskès, artiste, sculpteur sur verre et galeriste, la manifestation a pour but de faire découvrir aux visiteurs les tendances de l’art contemporain en Tunisie et développer des liens professionnels entre acteurs culturels, journalistes et artistes des deux rives de la Méditerranée.

Durant quatre jours, les journalistes ont fait un pèlerinage de haute gamme découvrant les ateliers d’Omar Bey, Feriel Lakhdar et Mouna Jmal Siala, visites enrichies par des discussions autour de la production des artistes, le dynamisme qui les anime ou encore la possibilité de croiser des expériences.

De leur côté, les galeristes de Musk and Amber, Selma Feriani, B’Chira Art Center, El Marsa, Alain Nadeau, Gorgi à Tunis et El Birou à Sousse, ont ouvert leurs portes, montrant leurs cimaises et leur savoir-faire en matière de démarches, d’offres, de choix et fidélisation des artistes, d’accrochages et… d’hospitalité.

Les tombeaux transportés vers le large.

A l’aune des enthousiasmes et des témoignages, les journalistes sont ravis. «Absolument extraordinaire. Un bémol toutefois, l’absence de hauts responsables à qui on voulait présenter des projets, dont un qui me tient à cœur : la fondation d’une maison de culture de Tunisie à Paris. J’en ai parlé à l’ambassadeur de Tunisie, sans résultat», regrette, Refka Peyssan, journaliste à RFI, Radio Orient, etc.

Le geste et le cœur

Dimanche 1er octobre. A 16h, l’appel à la performance de Sadika Keskès eut son écho. Des artistes, des amis, des curieux sont venus assister à la mise en mer des «Tombeaux de la Dignité».

Rassemblement dans le patio de la maison à Gammarth, des tombeaux en verre couleur outremer sont disposés par terre, un tombeau pour enfant en verre transparent, des fleurs de bougainvilliers couvrent le dessus, Sadika assise la tête entre les mains, méditative. Silence et chuchotement.

Sadika embarquera bientôt vers Lampedusa à bord d’un voilier.

16H30, point d’orgue de la manifestation : la levée des tombeaux portés sur les épaules, direction la mer (agitée ce jour). Le cortège funèbre suit dans le calme, Wadih M’hri, artiste, Gabriel, artiste italien en résidence chez Sadika, celle-ci, fortement émue, et d’autres assistants s’engagent dans l’eau transportant les tombeaux vers le large. Et la nave va ! Un sentiment et des propos de haute tension traversent les esprits. Un commentaire?

«Touchant, ça me laisse sans voix», répond le très loquace Gilles Trichard, journaliste au long cours à ‘‘Paris Match’’, qui prépare un projet pour de nouvelles rencontres virtuelles.

Dès qu’il fera moins venteux, avec quelques complices, Sadika embarquera vers Lampedusa à bord d’un voilier. Elle déposera d’autres tombeaux en verre sur les rives de l’île. Un hommage serait adressé à l’ex-mairesse de l’île, Giuseppina Nicolini, appelée la lionne, l’Antigone des temps modernes, lauréate de plusieurs prix pour son action de sauvetage et sa façon humaine d’accueillir les migrants.

Une trace confiée à la postérité.

La performance de Sadika est l’une des premières réalisée de ce côté-ci de la Méditerranée. Tendue, hautement symbolique, claire, sans nuances dans son message, elle tient de l’humanitaire par l’hommage et l’expression de la douleur, de l’émerveillement et de l’art par la concrétisation de l’idée, le rituel commun (procession), la trace qu’elle confie à la postérité. On méditera longtemps sur ce geste PoPo.

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