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Attribution des marchés publics : Le blues des architectes tunisiens

Les architectes appelés à relooker les maisons de jeunes… bénévolement. 

A l’image de nombreuses autres corporations, celle des architectes passe aujourd’hui, en Tunisie, par une crise sans précédent.

Par Khadija Mcharek *

Le coût de la vie, les dépenses liées à l’exercice du métier, le flou qui règne dans les textes de lois, et bien d’autres problèmes, mettent les architectes, quel que soit leur mode d’exercice, dans une situation précaire.

Il est impératif de signaler que ceux qui ne sont pas concernés par cette crise généralisée ne représentent qu’une minorité, qui a su se frayer un chemin dans la brousse, pour se construire une carrière satisfaisante. Aussi, dans cet article, toute généralisation sera-t-elle une simple manière pour faire passer le discours.

En ce décembre 2017, l’événement qui marque cette fin d’année est bien évidemment l’élection du 22e conseil de l’Ordre des architectes tunisiens (OAT), pour les années 2018-2019.

Petite révolution dans la profession

Contrairement aux années précédentes, ces élections sont marquées par un changement remarquable, aussi bien dans le déroulement des assemblées générales, dans les listes des candidats, dans les programmes proposés, dans la manière de communiquer, que dans la mobilisation des électeurs.

Le résultat de ces élections est venu confirmer cette «mini révolution» qui se met en marche, avec l’élection d’un conseil nouveau (aucun membre n’a vu son mandat reconduit) formé exclusivement par les fondateurs du mouvement «Architectes en colère» qui ont été à l’origine du changement.

Par ailleurs, une grande majorité des architectes, actifs ou passifs, émettent depuis toujours, des réserves, quant à la manière de gérer le conseil de l’OAT et ce depuis sa création.

Ces réserves concernent entre autres les dépenses de budget, l’absence flagrante de communication, l’indifférence par rapport aux difficultés du métier, le manque de transparence, et enfin, une indifférence face aux injustices dans l’attribution des prix de concours, ou de marchés publics. Certains architectes affirment même que les membres des conseils de l’OAT et les fonctionnaires de l’Etat ont été complices dans ces injustices pendant toutes ces années, et ils le sont aujourd’hui encore. Et c’est là où le bât blesse!

Les marchés publics entre magouilles et corruption

Les marchés publics, sont en effet supposés être l’occasion pour les architectes de travailler, dans un cadre transparent et équitable. Ces concepteurs peuvent en effet avoir accès aux marchés publics grâce aux appels d’offre, aux concours ou à la désignation directe.

Ce dernier mode d’attribution représente depuis toujours un sujet de discorde. Plusieurs questions sont posées: comment se fait la désignation directe? Qui prend la décision? A quel point ces désignations sont-elles justes? Comment faire confiance à l’objectivité des preneurs de décision? Bref, autant de questions que se posent les différents acteurs du métier.

Et c’est dans ce climat tendu que des architectes, déjà lésés dans l’exercice de leur métier, se voient faire des propositions pour le moins saugrenues. En effet, on ose proposer aux architectes de réaliser des projets publics sous le régime du… volontariat. On demande à des agences en difficulté de contribuer à l’amélioration des infrastructures de l’Etat, pendant que les grands projets sont «distribués» d’une manière extrêmement louche. Quelle réaction attendre d’une corporation laissée pour compte et écartée du paysage lorsqu’il s’agit de prendre des décisions, mais appelée à la rescousse pour faire de… l’humanitaire?

Des volontaires dites-vous ?

Ces propositions, faites récemment par le ministère de la Jeunesse et des Sports, tombent comme un cheveu sur la soupe. D’ailleurs, on se demande si c’est le ministère qui appelle les architectes à réaliser des travaux sous le régime du bénévolat, ou c’est la ministre à titre personnel, en tant qu’ex-architecte, puisqu’un simple post Facebook ne peut pas faire office de déclaration officielle.

Rien n’empêche le ministère en tant qu’organisme public, de lancer un concours d’idées, pour les jeunes étudiants en fin de cursus. Cette expérience peut être enrichissante, et très utile pour les deux parties. Malheureusement, ceux qui sont concernés par cet appel à l’aide sont bel et bien les architectes, d’ailleurs désignés par «designers».

Bref, tous les éléments cités ci-dessus confirment que ce sujet mérite réflexion, et que de telles initiatives doivent être étudiées en amont, et surtout bien formulées, afin d’atteindre l’objectif voulu.

La crise du métier d’architecte est bel et bien réelle, le flou règne, le malaise grandit, la corruption sévit, l’incompréhension perdure… Entre les architectes et l’organisme qui les représente, ça va mal; entre les architectes et les organismes publics, ça va très mal. A quand la délivrance?

* Architecte.

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