Les investisseurs sont en droit de se plaindre de l’instabilité fiscale en Tunisie, mais ce phénomène n’est que conjoncturel et ils bénéficient d’autres avantages.
Par Khémaies Krimi
Lors d’un débat sur les principales dispositions de la nouvelle Loi des finances 2018 organisé, mardi 9 janvier 2018, à Tunis, par le Conseil des chambres mixtes (CCM) et animé par le ministre des Finances Ridha Chalghoum, les représentants des structures d’encadrement des entreprises off shore en Tunisie ont interpellé le ministre sur une question majeure : l’instabilité du cadre fiscal et de la réglementation juridique en Tunisie.
Dans sa réponse à cette préoccupation, le ministre a préféré être évasif et s’est contenté de rappeler cette lapalissade : «l’importance de la stabilité de la fiscalité et des réglementations pour les stratégies d’investissement des entreprises».
Pour sa part, Foued Lakhoua, président du CCM, a été aussi vague que le ministre. Il a souligné l’enjeu de mettre en place des mécanismes garantissant la stabilité du cadre fiscal, sans donner aucune précision sur ces mécanismes.
La problématique est réelle mais…
Pourtant, la problématique est réelle et concerne sur un pied d’égalité et le gouvernement tunisien et les multinationales qui ont des filiales en Tunisie.
Dans une étude publiée en octobre 2017 et intitulée «Ancrage de la justice fiscale et mobilisation des ressources propres», deux économistes, Mohamed Haddar, président de l’Association tunisienne des économistes (Asectu) et Mustapha Bouzaiane, statisticien, ont montré que l’instabilité fiscale, tout autant que la complexité et la non transparence du système fiscal, «génèrent un coût élevé pour l’économie et incitent à la corruption, à la fraude et au découragement de l’investisseur local ou étranger».
Appuyant leur approche, les deux économistes ont relevé que plus de 530 dispositions fiscales ont été adoptées dans les lois de finances entre 2011 et 2016.
Relayant les deux économistes, l’Association des jeunes experts-comptables de Tunisie (Aject), qui a consacré ses assises annuelles (5-6 janvier 2018) à «l’allègement des obligations fiscales et la simplification des procédures administratives», a cité un chiffre plus actualisé, en évoquant plus de 600 obligations fiscales imposées, les 7 dernières années, aux contribuables.
Moralité de l’histoire : l’instabilité fiscale et la complexité des procédures entravent sérieusement l’investissement off shore en Tunisie.
L’off shore doit prendre des risques
Toutefois, il faut comprendre ici que cela est du, non pas à une politique délibérée de l’Etat tunisien, mais aux difficultés rencontrées pour mener à terme la transition politique et économique du pays. Aucun, des 7 ou 8 gouvernements qui se sont succédé, depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, n’a eu le temps matériel requis pour mener à terme les politiques qu’ils s’étaient fixé dans le cadre des différentes lois de finances. C’est le tribut du changement.
Et quant, Ferdinand Terburg, vice-président de la Chambre tuniso-allemande de l’industrie et du commerce (AHK) intervient dans ce débat avec le ministre des Finances et dit : «La plupart des investisseurs comme moi se demandent quels arguments nous restent-ils pour promouvoir le site Tunisie auprès de nos maisons mères, afin de nous garantir leur engagement dans ce pays», il a raison en ce sens où il est dans son droit de mettre la pression sur le gouvernement tunisien pour le pousser à mettre fin à cette instabilité fiscale. Mais il n’a pas tout à fait raison dans la mesure où les multinationales de son pays sont le plus souvent bien conscientes des aléas de la transition et sont équipées pour gérer toutes sortes de risques : technologiques, sociaux, économiques, etc.
Quant Chedly Ayari tance l’off shore français
D’ailleurs, il faut saluer ici le coup de gueule du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Chedly Ayari, quant il avait tancé, le 29 novembre 2017, les représentants de la Chambre tuniso-francaise du commerce et de l’industrie (CTFCI) venus lui demander toujours de nouveaux avantages. Concrètement, il leur a demandé «de foncer, d’investir et de prendre quand même le risque (…)»
«On ne vous a pas demandé de prendre des risques politiques ou sécuritaires mais au moins économiques et commerciaux… Un investisseur doit prendre le risque et dépasser les petits problèmes qu’il pourrait rencontrer. Sinon pourquoi il est là ?», s’est-il exclamé, avant de poursuivre: «Vous voulez trouver toutes les choses garanties? Vous voulez la convertibilité du dinar. Vous voulez une stabilité et des salaires très bas ? C’est trop !»
Et M. Ayari d’appeler les investisseurs off shore français à éviter les discussions sur des questions qu’on peut dépasser comme les taxes, le transfert des bénéfices et des dividendes, le risque de change, la complexité des procédures, la congestion des ports ou le retard des conteneurs…
Cela pour dire que si, objectivement, le site Tunisie de production internationale est compétitif et attractif, de temps en temps, il faut rappeler à l’ordre les sociétés off shore qui ne pensent qu’à tirer des avantages du gouvernement tunisien d’autant plus que l’instrument fiscal, objet des préoccupations de l’off shore en Tunisie, ne vient qu’au 6e rang des préoccupations des investisseurs étrangers.
Il est généralement admis que la décision d’investir dans un pays prend en considération plusieurs éléments dont la stabilité des institutions, le respect de la justice et son autonomie, les procédures faciles et simplifiées, l’infrastructure moderne, un marché suffisant et en expansion à l’export, une fiscalité stable et incitative.
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