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À propos de la mauvaise gestion du secteur de l’énergie en Tunisie

Cent litres d’essence représentent 10,34% du smic français contre 52,3% du smic tunisien. Cette situation est la conséquence de plusieurs décennies de mauvaise gestion du secteur de l’énergie, qui appauvrit les citoyens et remplit les poches d’une horde de corrompus. Vite, un balai…

Par Mohamed Rebai *

De décembre 2010 à septembre 2018, deux dates significatives dans l’histoire de la Tunisie ou si vous préférez avant et après la destitution de Ben Ali, le prix de l’essence a grimpé de 1,370 DT à 1,985 DT le litre, soit une augmentation de 45%. Curieusement, durant la même, période le prix du baril Brent est passé en Bourse de 94,75$ (décembre 2010) à 78,01 $ (septembre 2018) soit une régression de 18%.

Rien qu’en 2018 le prix de l’essence a été augmenté quatre fois : il a été porté successivement à 1,800 DT en janvier, 1,850 DT en avril, 1,925 DT en juin et, tout récemment, en septembre, à 1,985 D.

Pour la construction d’une nouvelle raffinerie

Au lieu de trouver l’argent dans l’évasion fiscale et douanière et au lieu d’investir dans la construction d’une nouvelle raffinerie qui devient plus que nécessaire, on cherche des solutions de facilité qui grèvent davantage le budget du simple usager tunisien. C’est là un flop retentissant dans un pays au bord du précipice.

La solution serait de renforcer la capacité de raffinage de la Société tunisienne des industries de raffinage (Stir) et la relance du projet d’une nouvelle raffinerie à Skhira initiée par le groupe Qatar Petroleum (QP) d’un coût initial de 2500 millions de dinars tunisiens (MDT) et d’une capacité de traitement de 120.000 barils/jour.

Par ailleurs, d’autres groupes (britannique, turc et émirati) sont toujours intéressés par ce projet qui pourrait multiplier par quatre la capacité de raffinage de la Tunisie puisque la Stir, dont l’équipement, devient obsolète ne produit que 34.000 barils/j.

Ironie du sort, à ma connaissance, ce sont les habitants de Skhira qui ont bloqué en 2012 la construction de cette grande raffinerie. Ils ont exigé la cession du terrain à des prix exorbitants et l’emploi de leur progéniture. Et depuis, le projet piétine et ne se réalise pas. Pour le moment, ce sont les contrebandiers qui supplantent l’Etat et trouvent le créneau largement porteur.

Un petit pays émergent comme Singapour (514 km2) est aujourd’hui le troisième centre de raffinage le plus important au monde (1.100.000 barils/j) contre la Stir qui ne produit que 34.000 barils/j.

On aurait dû y penser depuis quarante ans au moins. Pourquoi on ne l’a pas fait ? Parce que tout simplement nous manquons de vision et de stratégie. C’est aussi un dossier de «fassad» (corruption), puisqu’il y a des personnes qui profitent de cette situation et des poches qui se remplissent sur le dos des consommateurs tunisiens.

Il n’y a pas que le pétrole. Il y a aussi le gaz naturel, le phosphate, le sel, l’huile d’olive, les dattes et les agrumes dont l’exportation pourrait être boostée et développée. Maintenant, on comprend mieux pourquoi tant de gens se bousculent au portillon de la politique et de la contrebande. C’est un investissement florissant, particulièrement après la révolution. La preuve : les sales affaires de corruption dans le monde mirifique des hydrocarbures commencent à sortir de l’ombre touchant le gratin du monde politique. Le ministère de tutelle vient d’ailleurs de sauter comme un fusible sans solution «subito presto».

En 2015, le Fonds monétaire international (FMI), l’apôtre de la libéralisation économique, a demandé à la Tunisie de baisser le prix de l’essence jugé excessif. Les stations d’essence sont devenues en Tunisie des boutiques de luxe inaccessibles aux couches défavorisées. Pour visiter l’endroit le plus chic et le plus cher, il ne faut plus aller se trimbaler dans un shopping mall, il faut prendre la direction d’une station d’essence.

L’essence en passe de devenir un produit de luxe

Je pense aux pauvres cols blancs, cols bleus, cols durs et cols cassés qui ont acheté des voitures populaires dont les prix augmentent par paliers entiers et deviennent prohibitifs. La Polo populaire qui coûtait il y a 7 ans 15.000 DT vaut aujourd’hui 3 fois plus soit 45.000 DT. Avec l’assurance, les frais d’entretien et de réparation, ils vont être dépouillés à volonté. On paiera le plein avec les «barakat» de nos deux cheikhs. Ensuite, plus personne ne pensera à s’immoler par le feu.

Il est indéniable que les augmentations intempestives de l’essence profitent aux contrebandiers parrainés par certains politiques véreux. La mafia continue d’agir de plus en plus pernicieusement.

En France, le prix du litre de l’essence tourne autour de 1,55 Euro. Cent litres d’essence représentent 10,34% du smic français (1.498,47 Euros). Le smigard tunisien (379,564 DT) en déboursera 52,3% de ses revenus. Pour se faire déplumer totalement, il faudrait qu’il consomme 191 litres/mois (6 litres/jour). C’est suicidaire et rien d’autre. Faites des coupes sur votre budget de vêtements, d’alimentation et de logement pour vous procurer quelques précieuses gouttes d’essence.

Toutefois, il y a des questions qui restent lancinantes : combien la Tunisie produit de pétrole et de gaz? Quelle est le nombre de permis de recherche accordés à des firmes tunisiennes et étrangères? Qui en sont les propriétaires? Quel est le nombre de puits de pétrole découverts et explorés en Tunisie? Quelle est la part de la Tunisie? Qu’est-ce qu’elle gagne et qu’est-ce qu’elle perd? À quel niveau se situe la consommation nationale? Quel est le déficit énergétique? On ne le sait pas précisément depuis des décades. C’est un secteur complètement verrouillé où rien ne filtre.

* Economiste.

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