Les inondations du weekend dernier au Cap Bon doit nous inciter à repenser les conditions de prévention des catastrophes naturelles et à réfléchir aux dangers d’une urbanisation anarchique et ne tenant aucun compte des normes de construction et de traitement de l’eau des pluies.
Par Hédi Chenchabi *
Les pluies diluviennes qui se sont abattues dans le gouvernorat de Nabeul, le weekend dernier, ont de graves conséquences sociales et environnementales sur les populations locales.
Le manque de mesures d’alertes vis-à-vis des villages et zones menacées a conduit à un débat sur le rôle des pouvoirs publics qui ont pourtant été correctement prévenus par les observatoires météorologiques.
La réaction tardive des autorités est une nouvelle fois le signe du mépris de la capitale, Tunis, pour les territoires intérieurs.
La solidarité internationale et nationale qui se manifeste doit également nous obliger à repenser les conditions de prévention des inondations, des risques et des dangers d’une urbanisation anarchique et ne tenant aucun compte des normes de construction et de traitement de l’eau des pluies qui est un bien précieux pour un pays qui vit, de plus en plus, avec la fatalité des pénuries d’eau pour les populations et l’agriculture. Ce phénomène que vivent péniblement les ménages en plein été chaud et parfois de manière régulière et sans information ou sensibilisation pertinente.
Envisager des solutions écologiques et durables
Comme pour d’autres catastrophes, la mobilisation des citoyens et de la société civile reste essentielle, comme nous le montrent toutes les scènes filmées et largement diffusées sur les réseaux sociaux. L’appel à la solidarité va certainement se traduire par des aides que nous saluons, avec certainement des appels aux dons. Mais malheureusement, comme le montre la gestion des catastrophes précédentes, nos villes et nos campagnes ont besoin d’autres choses que les tentes, les médicamentes et les produits alimentaires (estampillés pays du Golfe, Turquie ou autres) pour faire face à ces catastrophes naturelles qui vont sans doute se reproduire.
Nous avons besoin d’une solidarité internationale pour envisager des solutions écologiques et durables pour préserver les citoyens frappés directement par l’absence de réglementations et de schémas directeurs qui respectent les normes internationales et la vie humaine avant tout.
La corruption qui mine le pays est aussi présente dans la gestion des aides humanitaires, il y a des fortes chances que nous retrouverons sur le marché informel les couvertures et les produits divers censés être destinés aux populations.
La priorité dans l’appel à la solidarité internationale doit, à notre avis, être recherché auprès des tous les pays amis de la Tunisie, d’Europe et d’ailleurs, qui sont en mesure d’aider les régions à mieux identifier les dysfonctionnements, à comprendre les enjeux d’une urbanisation maîtrisée, d’un monde rural protégé, de mers sauvegardées et de citoyens conscients des enjeux pour un pays dont la principale ressource reste la nature et la beauté de ses sites qui se dégradent sans intervention du pouvoir central et des collectivités territoriales, dans l’indifférence des citoyens, capables de se mobiliser principalement quand les catastrophes se produisent.
Pour une gestion prévisionnelle de tous les territoires
L’appui européen sera essentiel pour financer des études sérieuses et non orientées vers les affairistes, qui sont indispensables et qui doivent porter sur la gestion prévisionnelle des assainissements dans tous les territoires et sur l’eau sa préservation et son exploitation dans l’intérêt général et pour préserver nos villages et nos terres menacées partout par l’urbanisation sauvage et la mafia de l’immobilier.
Cette expertise est nécessaire pour aider à la prise de décision pour que la Tunisie soit d’abord l’affaire de ses citoyen(ne)s responsables, pour sauvegarder, pour les générations futures, la beauté de nos villes, de nos terroirs et de nos paysages.
Les inondations catastrophiques sont dues à différents facteurs : réseaux d’assainissement vétustes, insuffisants ou absents, bassins extérieurs en amont insuffisants, présence d’obstacles aux écoulements : routes en remblai par rapport au terrain naturel, urbanisation sauvage dans les axes d’écoulement, développement incontrôlé de l’urbanisation entraînant un accroissement des débits de ruissellement, mauvaises techniques de construction et utilisation de matériaux douteux sans respect des normes, absence d’une volonté politique pour mettre fin à l’anarchie et à la corruption et au nom respect des lois, manque d’éducation environnementale et de culture respectueuse de l’environnement à l’école, dans la société et en entreprise, sans oublier une classe politique qui considère ces questions comme non essentielles étant largement ignorante de l’importance pour notre pays, d’une mobilisation effective dans ce domaine, elle est de fait complice d’un vieux système productiviste avec une agriculture infestée à 95% d’OGM et dépendante des sociétés multinationales américaines qui nous imposent leurs semences et leurs produits qui détruisent nos terres et détruisent nos semences (seulement 5% des semences sont tunisiennes !).
Ces orientations catastrophiques non respectueuses de notre vie et de la nature conduisent aussi à la mise en place d’appels d’offres et de marchés publics qui ne respectent pas les normes environnementales et le développement durable.
Ces causes que nous évoquons sont connues depuis l’étude du Grand-Tunis suite à la crue de septembre 2003. Cette crue avait provoqué des pertes en vies humaines des destructions d’infrastructures, une asphyxie de l’agglomération pendant plusieurs jours. Ce que nous voyons à Nabeul et que nous verrons peut-être dans d’autres régions, est la conséquence de l’absence de politique claire et de la persistance d’un discours creux d’affichage d’amour pour la Tunisie, pour ses terroirs et paysages.
Toute la société est en retard dans ce domaine et nous avons besoin d’un diagnostic clair et indépendant en mesure d’aider à mettre en place des politiques respectueuses de la nature, de l’environnement et des citoyens.
Traiter les problèmes de fond par des plans d’action
Continuer à traiter les urgences par un discours qui sonne faux, des couvertures, des tentes et des produits alimentaires destinés aux organisations caritatives douteuses qui exploitent les misères, c’est une illusion et un crime pour l’avenir écologique rural et urbain de la Tunisie moderne.
Sans traiter les problèmes de fond, comme toujours les leçons tirées a posteriori ne sont pas suivies des plans d’action et des moyens nécessaires. De plus, si le Grand-Tunis entre dans des priorités d’Etat (avec le soutien de la Banque mondiale), les régions déshéritées sont oubliées, le monde rural est menacé par le recours forcé à l’exode rural et à l’émigration. La Tunisie est de fait menacée par l’émigration climatique.
Le premier des facteurs d’inondations que les gouvernements ont du mal à accepter est le changement climatique.
L’ensemble des propriétaires et l’ensemble des maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre et bureaux d’études seront amenés à gérer dans les années qui viennent différemment leurs eaux pluviales, à toutes les étapes d’aménagement de la ville ou d’un territoire. Et en premier les pouvoirs publics doivent :
• définir un zonage pluvial permettant de mieux connaître les zones à risques;
• réfléchir aux abords : le réaménagement d’un quartier, d’une rue, d’un parc, d’un jardin, d’une terrasse doit favoriser les infiltrations d’eau de pluie et de ruissellement. Ce principe conduit à favoriser l’aménagement d’espaces verts sur la parcelle, dans les cours d’immeubles et en cœur d’îlots, à augmenter la perméabilité des dessertes piétonnes et automobiles sur la parcelle, à encourager la végétalisation des toitures…
• limiter la quantité d’eau renvoyée vers le réseau public : afin de limiter ce débit, on favorise le plus possible la rétention et l’infiltration des eaux sur les parcelles urbaines ou agricoles ;
• maintenir des surfaces végétales en pleine terre sur la parcelle. L’objectif est de conserver le plus possible les surfaces végétalisées existantes possédant une épaisseur de terre importante, et d’implanter des systèmes permettant la rétention et l’infiltration lente des eaux de pluie ;
• mettre en œuvre les techniques alternatives de gestion des eaux pluviales. Les toitures végétalisées visent à élaborer un complexe d’étanchéité permettant de planter un espace vert en toiture. Cette technique permet la rétention de 20 à 80% de l’eau de pluie en fonction de la technique
Il s’agit en définitive en premier lieu de permettre le contrôle des citoyens sur leur environnement et éduquer et associer les citoyens à une autogestion équitable des risques environnementaux.
Ces questions que nous considérons comme essentielles doivent aussi être portées par les nouvelles mairies élues, elles méritent qu’on ouvre des espaces de débat et le lancement d’un appel à dons pour la réalisation d’études et d’expertises qui prennent d’abord comme option de favoriser la mise en place de politiques transparentes, respectueuses des citoyens, de l’environnement et du développement durable.
* Militant associatif et politique; citoyen respectueux de l’environnement.
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