La conférence de presse donnée hier, mercredi 8 novembre 2018, par le président de la république, Béji Caïd Essebsi, n’a pas rassuré les Tunisiens quant à la fin de la crise politique dans le pays. Frustrante et décevante, à bien des égards, elle a ajouté de nouvelles inquiétudes.
Par Khémaies Krimi
Au cours de cette conférence de presse, décidée le jour même et tenue en urgence, au Palais de Carthage, le chef de l’Etat s’est voulu rassurant et respectueux de la Constitution. Il s’est engagé, en principe, à faciliter l’action du gouvernement et à ne rien entreprendre qui entraverait les procédures d’investiture des nouveaux membres du gouvernement Chahed III, s’agissant notamment de la cérémonie de prestation de serment des nouveaux ministres et secrétaires d’Etat, qu’il est censé présider en tant que chef de l’Etat.
Revenant sur les causes et les circonstances de son opposition à ce remaniement, le président de la république a déclaré qu’il l’a rejeté parce qu’il lui a été présenté dans la précipitation et n’a pas eu le temps nécessaire pour l’examiner à tête froide.
Affecté par le qualificatif de «coursier» qui lui a été accolé, en tant que président de la république sans grandes prérogatives, par le professeur de droit constitutionnel Sadok Belaid, en marge de ce malheureux différend l’opposant au chef du gouvernement Youssef Chahed, le chef de l’Etat une bonne partie de la conférence de presse à pomponner son ego et à réhabiliter son prestige du premier président élu au suffrage universel et à ressasser qu’il est au-dessus de tout le monde. Il s’est cependant empressé de déclarer qu’il respectera la décision de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) si celle-ci dernière accorde sa confiance au nouveau gouvernement.
M. Caïd Essebsi a démenti, au passage, que la présidence de la république ait envoyée à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), une quelconque correspondance dans laquelle elle aurait signalé la non-constitutionnalité du dernier remaniement du gouvernement, tout en soulignant le droit d’autres parties de le faire, dans une allusion au groupe parlementaire de NidaaTounes.
Des journalistes choisis parmi les «clients» de la présidence de la république.
Le consensus avec Ennahdha se limitait à son amitié avec Ghannouchi
S’agissant de ses relations avec Ennahdha, le chef de l’Etat a révélé que le consensus qui le liait avec le parti islamiste se limitait à son amitié personnelle avec son président Rached Ghannouchi et que rien ne l’engageait vis-à-vis de ce parti ou d’aucun de ses dirigeants, martelant que la Tunisie restera toujours «un État civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit», comme stipule l’article 2 de la Constitution.
Tout en se montrant ouvert à toute initiative de dialogue national et de concertation multipartite qui pourraient pacifier les esprits et contribuer à la stabilité du pays jusqu’aux prochaines élections générales en 2019, le président de la république a donné l’impression de manœuvrer pour assurer sa survie politique et, surtout, à ne pas couper, définitivement, avec les deux leviers avec lesquels il a gouverné le pays depuis 2015, en l’occurrence, Nidaa Tounes, son parti, et son ami et allié Ghannouchi, chef d’Ennahdha, les deux partis toujours majoritaires à l’ARP.
Les préoccupations des Tunisiens occultées
Par-delà ces éclairages nécessaires, mais qui laissent transparaître un malaise profond et un certain ressentiment à l’égard de certaines personnalités politiques, notamment son «ami» Ghannouchi et son «fils» et sa «créature», le chef du gouvernement Youssef Chahed («C’est moi qui l’ai choisi», répétera-t-il sur le ton du regret), la conférence de presse a été frustrante en ce sens où ni le chef de l’Etat ni les journalistes (choisis parmi les «clients» de la présidence de la république) qui lui ont posé des questions n’ont osé, à aucun moment, parler de la capacité de ce nouveau gouvernement à résoudre les problèmes dans lesquels se débattent les Tunisiens, s’agissant, particulièrement, de la flambée des prix, de l’effondrement du dinar et du surendettement du pays.
Cette conférence de presse a été, également, décevante dans la mesure où ni le chef de l’Etat ni ses interlocuteurs acquis à sa cause, n’ont daigné l’interroger sur le scandale relatif à l’existence d’un bras sécuritaire secret au service Ennahdha, révélé récemment par le comité de défense des martyrs Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, et à l’absence de réaction à ce scandale de la part des institutions de l’Etat, dont la présidence de la république et le Conseil national de sécurité que préside Béji Caid Essebsi.
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