L’Egypte a lancé un projet baptisé «1 000 pros», destiné à booster la présence des joueurs égyptiens en Europe. Parrainé par le président de la république, Abdelfattah Al-Sissi, il a été annoncé en fin de semaine dernière par le ministre des Sports, Ashraf Sobhi.
Par Hassen Mzoughi
Le projet, encore au stade de l’étude, suscite un vif intérêt auprès notamment des jeunes qui rêvent de partir en Europe. Il a été immédiatement adopté par le sponsor du foot égyptien Présentation, dont le patron, Mohamed Kamel, a exprimé sa volonté de consacrer tout les moyens nécessaires à sa réussite.
Le ministre a commencé par former des comités chargés de superviser le projet, et par faire appel à d’anciennes stars du foot égyptien, telles que Hassan Shehata, triple champion d’Afrique à la tête de la sélection égyptienne, Farouk Gaafar, Hani Ramzi et Ahmed Hossam Mido, ces deux derniers ayant fait l’essentiel de leur carrière en Bundesliga et en Angleterre.
Des académies seront installées dans les provinces. Des sélections seront faites pour la détection des talents, qui seront parrainées par les ministères de la Santé et du Sport, par les universités et les sponsors.
Pourquoi pas d’autres Mohamed Salah qui réussissent ?
L’idée n’est pas nouvelle. Au lendemain du sacre des Pharaons en coupe d’Afrique des Nations 1998, les autorités ont autorisé le départ de plus de 20 joueurs égyptiens en Europe.
Le formidable succès professionnel de Mohammed Salah a remis l’idée à l’ordre du jour.
Formé au club cairote, Arab Contractors, l’international égyptien est devenu en peu de temps un phénomène mondial.
Révélé à Bâle en Suisse (2012-2014), il est allé jouer à Chelsea sous la direction de Jose Mourinho. Puis direction la Fiorentina et la Roma, avant d’atterrir, en juin 2017, à Liverpool qu’il a mené à la finale (11 buts en 14 matches) de la Ligue des champions contre le Real Madrid. Finale qu’il n’a pu terminer en raison d’une blessure à l’épaule. Sacré meilleur joueur (et buteur) du championnat anglais 2017-2018, il est actuellement le 3e meilleur joueur du monde derrière Cristiano Ronaldo et Lionel Messi.
Alors si l’Egypte avait produit un tel talent pourquoi il n’y aurait pas d’autres Mohamed Salah qui réussissent?
Pour le ministre Ashraf Sobhi, l’Egypte «compte 100 millions d’habitants, qui aiment le football et pratiquent le football. Atteindre un millier de joueurs professionnels n’est donc pas impossible».
Mohamed Salah est un modèle pour les jeunes.
L’Egypte veut devenir un marché attractif
Ce projet baptisé «1000 pros», que plusieurs observateurs en Egypte trouvent chimérique, n’est pas une affaire strictement sportive. S’il réussit, il pourrait bénéficier à l’Égypte, avec des professionnels plus nombreux en Europe. Outre les clubs égyptiens qui seront avantagés en termes de recettes de transferts, le projet contribuera à la découverte de talents enfouis dans les villages égyptiens.
«1000 pros» vise à lancer une véritable filière égyptienne vers le Vieux continent, jusque-là tourné exclusivement vers l’Afrique subsaharienne et le Maghreb.
Longtemps écarté des grands circuits des transferts africains vers l’Europe, l’Egypte tente de s’installer comme un carrefour essentiel, un «marché» attractif. L’impact médiatico-sportif de sa star mondiale, Mohamed Salah aidant… pour tourner la balance en sa faveur.
L’Egypte rayonnera sur la vaste région africaine et drainera des talents du Kenya de l’Ouganda, de la Tanzanie, du Rwanda qu’il exportera lui-même via ses clubs.
Le projet bénéficiera à l’Égypte en termes de change, ce qui contribuera à la relance de l’économie du pays, par des rapatriements de fonds comme l’a affirmé le ministre à l’annonce du projet. Il a indiqué par exemple que les contributions de Mido au cours de sa carrière européenne dépassaient la rentabilité de 100 usines égyptiennes.
Une image exploitée par le régime
Mohamed Salah incarne à sa manière la nouvelle génération de son pays. Pour bon nombre de jeunes, c’est un modèle à suivre. Le joueur, très impliqué dans des activités sociales à Liverpool et en Égypte, vient par exemple de faire une importante campagne de sensibilisation contre les drogues en Égypte, avec le ministère de la Solidarité sociale.
Et surtout, comment ne pas évoquer les interactions entre politique et football en Égypte. Pour ne rester que sur le seul cas Mohamed Salah, celui-ci est qualifié de «soft power de l’Égypte», pour son activité remarquable sur les terrains et sur les écrans du monde entier.
Il est inévitablement la cible de tentatives de récupération par le régime de son pays, même s’il paraît distant vis-à-vis de cette communication politique.
N’empêche, les autorités politiques en Egypte exploitent à fond l’image d’un personnage qui, s’impliquant auprès de ses concitoyens, est présenté comme le «symbole» d’un «bon musulman» qui réussit, contrairement aux «horribles barbus» qui échouent….
Le président Al-Sissi est mis à contribution.
Tous les jeunes rêvent de partir
Les joueurs égyptiens sont réticents à partir à l’étranger parce qu’ils sont bien payés dans leur club notamment Al Ahly, Zamalek, Pyramids, Al Ismaily, Arab Contractors… La génération dorée du football égyptien, qui a été couronnée de trois coupes africaines successives en 2006, 2008 et 2010, était principalement composée de locaux tels que Mohamed Abutreka, Wael Gomaa, Ahmed Fathi et d’autres.
Contrairement aux Maghrébins, ils n’ont jamais accepté d’aller jouer en Europe, malgré des offres alléchantes. Les rares joueurs partis après la Coupe du monde de 1990, comme Ibrahim Hassan, Salah Gomaa, Shikabala, Mohamed Ibrahim et d’autres sont vite rentrés au pays, pour incapacité d’adaptation.
Aujourd’hui, ils sont 7 égyptiens arrivés cette saison en championnat anglais tels Mohamed Elneny (Arsenal), Ahmed El Mohamady (Aston Villa) ou Ahmed Hegazi (West Bromwich). La réussite de Mohamed Salah a brisé la réticence des clubs et tous les jeunes rêvent désormais de s’expatrier et de réussir comme Mohamed Salah.
Le «clonage» de Mohamed Salah parait un projet tentant mais le placement des joueurs en Europe nécessite des intermédiaires nationaux bien introduits sur le marché mondial, notamment européen, à moins que l’Egypte compte «sous-traiter» avec des réseaux intermédiaires qui ne sont pas toujours transparents. Les récentes révélations de ‘‘Football leaks’’ ont mi à nu les dessous de ces réseaux mafieux de transferts des joueurs, de l’Afrique et de l’Asie notamment le… Qatar vers l’Europe.
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