Le monde célèbre aujourd’hui, dimanche 25 novembre 2018, la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, une occasion pour réfléchir aux moyens de venir à bout de ce fléau social. D’autant qu’en Tunisie, 81% des femmes disent avoir été victimes de violence psychologique sur leur lieu de travail.
Par Verónica Montúfar *
Le mouvement #MeToo a révélé dans le monde entier que le harcèlement et les agressions sexuelles font partie de la vie professionnelle de la plupart des femmes. D’ailleurs la Tunisie s’est dotée en 2017 d’une loi intégrale sur la lutte contre la violence faite aux femmes, réclamée par les mouvements féministes depuis des années. Reste que trop souvent, on oublie que les femmes en subissent beaucoup plus sur le lieu de travail.
Agressions sexuelles, insultes, humiliations, discriminations, mais aussi ordres contradictoires ou isolement du reste des équipes : ces comportements sont en forte augmentation. Une étude réalisée par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) en partenariat avec Solidarity Center en 2017 souligne que 81% des femmes interviewées ont déclaré avoir été victimes de violence psychologique sur leur lieu de travail.
De fait, même si les hommes peuvent aussi être victimes de violence et de harcèlement au travail, les stéréotypes et l’inégalité dans les relations de pouvoir rendent les femmes plus vulnérables. Une situation d’autant plus douloureuse que la majorité d’entre elles ne dénoncent pas leurs agresseurs, ne sachant pas vers qui se tourner ou par peur de perdre leur emploi.
Et pour beaucoup de femmes, le calvaire se poursuit en rentrant à la maison, où elles seront devront faire face à la violence de leur conjoint. En Tunisie, 47,6% des femmes âgées de 18 à 64 ans ont déclaré avoir subi au moins une des formes de violence durant leur vie.
Ce gigantesque non-dit finit par avoir des conséquences sur le bien-être physique et psychologique, générant anxiété, dépression, crises de panique, troubles du sommeil, problèmes de mémoire et sentiment de vulnérabilité. Dans certains cas, il mène au suicide.
Cette situation peut conduire les femmes à quitter leur emploi ou à abandonner leur travail, ce qui entraîne des interruptions d’emploi avec des conséquences sur les revenus actuels et futurs (en termes de droits à la retraite), aggravant plus encore l’écart de rémunération déjà inacceptable de 23% entre femmes et hommes au niveau mondial.
Même si la violence au travail touche tous les secteurs et toutes les catégories de travailleurs, la santé – où les femmes sont majoritaires – constitue le cas le plus criant. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que la violence dans ce secteur représente un quart des agressions commises sur le lieu de travail. Aux Etats-Unis, un rapport révèle que 54 % des infirmières d’urgence ont déclaré avoir été victimes de violence au travail dans les sept jours précédant leur participation à cette étude.
Interrogées sur l’origine des agressions, les infirmières désignent patients et visiteurs d’une part, collègues et supérieurs d’autre part. En réalité, la violence sur le lieu de travail, et son augmentation constante, a également des causes externes. Elle s’intensifie dans les situations de guerre et de crise économique. Elle est aussi une conséquence des privatisations et des mesures d’austérité, avec leur cortège de mesures de «déréglementation» et de «flexibilité».
Départs en retraite non remplacés, rythmes décalés, heures supplémentaires jamais récupérées, manque d’effectifs chronique, contrats atypiques et manque de sécurité, tous ces facteurs ont été identifiés par l’Organisation internationale du travail (OIT) comme augmentant les risques d’agressions.
De même, les victimes de violence ne se trouvent pas seulement sur le lieu de travail.
L’épuisement a un impact sur la vie familiale et la scolarité des enfants. Il mine la qualité de services qu’ils soient publics ou privés. Quand une infirmière doit s’occuper seule de 26 patientes dans une maternité, ce sont toutes leurs familles qui en souffrent.
En somme, cette violence finit par accroître la peur et l’anxiété dans la société.
La manifestation de la violence peut être verticale ou horizontale, elle peut aussi être causées par des tiers ou se répercuter sur des tiers. A l’Internationale des services publics (ISP), nous estimons que la détérioration des environnements de travail, conséquence de la déréglementation et du démantèlement du secteur public, remis aux mains du capital privé, est l’une des principales causes de violence dans les services publics. C’est pourquoi nous mettons en avant ce concept de «tiers» pour envisager les victimes et les responsables d’actes de violence au travail. L’OIT vient d’ailleurs de décider de l’inclure dans l’accord sur la violence au travail qui sera négocié en 2019.
En cette Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, nous tenons à rappeler l’importance du dialogue social et de l’établissement de mesures concrètes de protection et de prévention entre les acteurs du monde du travail – les employeurs, les travailleurs et les gouvernements. En tant que société, nous sommes tous victimes de violence au travail. C’est ensemble que nous devons lutter contre elle, et nous en débarrasser.
* Sociologue et responsable de l’égalité des sexes à l’Internationale des services publics (ISP).
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