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Que dit le mouvement des gilets jaunes sur notre époque?

Alors que le temps passe et que le froid s’installe, le mouvement des Gilets jaunes ne s’effiloche pas mais, au contraire, fait vaciller le pouvoir en France. Il est l’expression d’une époque de financiarisation et de numérisation de la mondialisation, marquée par une crise profonde.

Par Chedly Mamoghli *

Ce mouvement de protestation non structuré, du nom des gilets de haute visibilité de couleur jaune portés par les manifestants, apparu en novembre 2018, dans la plupart des départements en France, semble cristalliser la crise de notre époque.

D’abord, il s’agit là d’un mouvement basiste (de base) antinomique à un mouvement pyramidal. Les trois situations suivantes – survenues lors du premier rassemblement parisien, celui du samedi 24 novembre et non pas celui d’avant-hier, samedi 1er décembre – l’illustrent parfaitement.

Un mouvement basiste et sans hiérarchie

Un des gilets jaunes interrogé pourquoi ils ne se rendent pas sur le Champ-de-Mars au lieu des Champs-Elysées comme le souhaitait le gouvernement, il a répondu : «On n’est pas des bœufs pour aller brouter dans la prairie.»

Le journaliste poursuit en précisant que le rassemblement était interdit sur les Champs-Elysées alors le gilet jaune lui rétorque que c’est une révolte et une révolte est faite pour casser les règles.

A propos des violences et des dépassements signalés un peu partout en France parmi les Gilets jaunes, car comme dans tous les mouvements, il y a des éléments radicalisés, un autre gilet jaune répond qu’aucun gilet jaune n’a aucun ascendant sur aucun autre gilet jaune et qu’il n’y a aucune hiérarchie.

C’est, donc, sur la forme, un mouvement éminemment basiste, c’est sa spécificité. Là, c’est un constat important.

Le déclassement social des classes moyennes

Ensuite, venons-en au fond. Ce mouvement est symptomatique d’un profond malaise social. La financiarisation et la numérisation de la mondialisation ont plongé dans le doute les classes moyennes, qui sont la colonne vertébrale de toute société démocratique et le pilier de la cohésion et de la paix sociale.

Aujourd’hui, il y a une paupérisation des classes moyennes, une polarisation de la structure sociale (précarité et richesse) aux dépens des classes moyennes et une peur du déclassement social chez les classes moyennes. Le géographe Christophe Guilluy évoque la fin des classes moyennes dans un ouvrage consacré à cette question.

Aucun pays, qu’il soit développé ou en voie de développement, n’échappe à cette crise. Cela a commencé avec le Brexit en juin 2016 au Royaume-Uni après il y a eu l’élection de Trump aux Etats-Unis. En Europe continentale, la montée des mouvements populistes et nationalistes ne cesse de se confirmer au fur et à mesure des élections, d’abord dans les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République Tchèque et Slovaquie) ensuite en Autriche puis en Italie, ainsi que la montée des mouvements ouvertement fascistes tel que l’AFD et Pegida en Allemagne (événements de Chemnitz fin août dernier).

Une lame de fond populiste

Mais cette crise ne s’est pas cantonnée dans les frontières du Vieux Continent, elle s’étend partout et la lame de fond populiste en est l’illustration. La crise s’est étendue au Brésil avec l’élection de Bolsonaro et avec l’émergence de régimes autoritaires nostalgiques d’un passé impérial glorieux dont ils veulent la résurgence et qu’ils font miroiter aux populations locales comme c’est le cas en Russie, en Turquie ou en Chine.

Il ne faut pas se focaliser sur la violence – qui est dans sa majorité l’apanage des extrémistes de droite comme de gauche, de casseurs professionnels et des ultras et dans une moindre mesure de certains gilets jaunes car dans ce mouvement comme dans tout autre il y a des éléments radicalisés – et négliger le mouvement lui-même qui est d’une importance considérable dont la portée n’a pas encore été saisie par toutes et tous.

Cette époque vit une profonde crise et le mouvement des Gilets jaunes, qui en est l’expression, cristallise la crise de cette époque.

* Juriste et éditorialiste. 

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