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Le poète du dimanche : ‘‘J’ai’’ (Tengo) et autres poèmes Nicolás Guillén


Nicolás Guillén avec Pablo Neruda.

Né le 10 juillet 1902 à Camagüey et décédé le 16 juillet 1989 (à 87 ans) à la Havane, Nicolás Guillén, est l’une grandes voix de la poésie cubaine et hispanique.

Fils d’un imprimeur, ce métis a obtenu son bac en 1920 et fait des études de droit, devenant avocat, puis journaliste.

En 1937, il quitte Cuba, puis il s’engage auprès des Républicains espagnols, durant la Guerre d’Espagne.

Après le coup d’État de Batista, en 1952 il s’exile à Paris, puis après la victoire de Fidel Castro, il revient à Cuba et devient membre du Parti communiste de Cuba. Il a été proclamé «poète national» en 1961.

Il obtient le Prix Lénine pour la paix en 1954 et l’International Botev Prize en 1976.

‘‘J’ai’’ (Tengo)

Quand je me vois et je me pince
moi, Jean Sans Rien encore hier
et aujourd’hui Jean Avec Tout,
aujourd’hui avec tout,
je regarde en arrière, je contemple,
je me vois, je me pince
et je me demande : mais comment est-ce possible ?

J’ai, voyons un peu,
j’ai le plaisir d’aller et venir partout dans mon pays,
maître de tout ce qu’il y a,
libre de bien regarder de près ce qu’avant
jamais je n’ai eu et ne pouvais avoir.
Je peux dire zafra,
Je peux dire montagne,
Je peux dire ville,
dire armée,
désormais miennes, à jamais, et tiennes et nôtres,
et un immense flamboiement
d’éclair, d’étoile, de fleur.

J’ai, voyons un peu,
j’ai le plaisir d’aller, moi, paysan, ouvrier, homme simple,
j’ai le plaisir d’aller,
(c’est un exemple )
dans une banque et de parler avec le directeur
non pas en anglais,
non pas en Monsieur,
mais en disant «compañero» comme on dit en espagnol.

J’ai, voyons un peu,
que moi qui suis noir,
personne ne peut me barrer
la porte d’un dancing ou d’un bar
ou bien, devant le hall d’un hôtel,
me crier qu’il n’y a pas de chambre,
pas la moindre petite chambre,
pas une chambre colossale,
non, une petite chambre où je pourrais me reposer.

J’ai, voyons un peu,
qu’il n’y a pas de gendarme qui m’attrape pour m’enfermer dans une caserne
ou qui s’empare de moi et me chasse de ma terre
et m’abandonne sur la grand’ route.

J’ai que, comme j’ai la terre, j’ai la mer,
no country,
no aïguelaïfe
no tennis,
no yacht,
mais, de plage en plage et de vague en vague,
géant, bleu, ouvert, démocratique,
bref, l’océan.

J’ai, voyons un peu,
que j’ai enfin appris à lire,
et à compter,
j’ai que j’ai enfin appris à écrire
et à penser
et à rire.

J’ai que j’ai enfin
où travailler
et gagner
ce qu’il me faut pour manger.

J’ai, voyons un peu,
j’ai ce que j’aurais dû avoir
et ce qu’il me fallait
avoir.

Peux-tu ?

Peux-tu me vendre l’air qui passe entre tes doigts
et fouette ton visage et mêle tes cheveux?
Peut-être pourrais-tu me vendre cinq pesos de vent,
ou mieux encore me vendre une tempête?
Tu me vendrais peut-être
la brise légère, la brise
(oh , non, pas toute!) qui parcourt
dans ton jardin tant de corolles,
dans ton jardin pour les oiseaux,
dix pesos de brise légère?
Peux-tu?

Le vent tournoie et passe
dans un papillon.
Il n’est à personne, à personne.

Poème … pour enfants antillais

Dans la mer des Antilles
vogue un bateau en papier:
Vogue et vogue le bateau bateau
sans timonier.

De La Havane à Portobello
de la Jamaïque à Trinidad,
vogue et vogue le bateau bateau
sans capitaine.

Une noire va en poupe
à la proue un espagnol:
vogue et vogue le bateau bateau
avec eux deux.

Passent les îles, îles,
beaucoup d’îles, toujours plus;
vogue et vogue le bateau bateau
sans repos.

Un canon en chocolat,
contre le bateau tira,
et un canon en sucre, sucre,
lui répondit.

Ah, mon bateau marinier,
avec sa coquille de papier!
Ah, mon bateau noir et blanc
sans timonier!

Par là va la noire noire
avec avec l’espagnol;
vogue et vogue le bateau bateau
avec eux deux.

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