Le feuilleton tunisien ‘‘Awled Moufida’’, diffusé au cours de la première moitié de ramadan sur la chaîne de télévision El-Hiwar Ettounsi en est à sa 4e saison. Et à l’instar des précédentes, celle-ci a beaucoup fait parler d’elle, notamment dans les médias et les réseaux sociaux. Mais pas toujours pour en dire du bien.
Par Cherif Ben Younès
Si les critiques sont nombreuses, la pertinence de la plupart d’entre elles laissent à désirer. Souvent à caractère pseudo-moral, elles zappent totalement l’aspect artistique ou intellectuel du travail, et se focalisent sur des futilités.
En effet, ce sont certaines scènes jugées osées, obscènes ou inadéquates avec le mois de ramadan (comme si les valeurs morales devaient s’adapter au calendrier du Tunisien) qui ont particulièrement dérangé notre société.
Une société toujours aussi fidèle à son conservatisme, et surtout à sa schizophrénie légendaire puisqu’‘‘Awled Moufida’’ a été classé premier en termes de taux d’audience, malgré l’abondance de feuilletons et de sitcoms tunisiens sur les différentes chaînes de télévision.
Mais même si les critiques à l’encontre d’‘‘Awled Moufida’’ sont, majoritairement, médiocres, cela ne signifie pas pour autant que le feuilleton est exempt de reproches… loin de là !
Une réalisation moderne
Les réalisateurs Sami El Fehri et Sawsen Jomni semblent avoir trouvé les bons ingrédients cinématographiques pour présenter un travail largement au-dessus de la moyenne sur le plan visuel, notamment en ce qui concerne la qualité de l’image, l’éclairage, le mouvement de la caméra, etc.
D’un autre côté, le rythme soutenu des événements qui réussit à tenir en haleine le téléspectateur de façon permanente, fait clairement l’une des grandes forces de ce feuilleton, notamment chez les plus jeunes, qui sont habitués aux films de suspense hollywoodiens, et qui n’ont pas forcément la patience de suivre un récit lent ou une construction dramatique plus rigoureuse.
El Fehri a, par ailleurs, largement diminué le recours à la technique du «slow-motion» (effet d’ultra ralenti), à laquelle il faisait appel de façon exagérément prononcée et fréquente dans le passé, et qui a fini par agacer bon nombre des fans de sa série.
Au niveau du casting, quelques nouveaux noms font leur apparition dans cette nouvelle saison, parmi lesquels figurent notamment Fathi Heddaoui et Moez Gdiri, qui, forts de leur charisme, apportent indéniablement une valeur ajoutée au feuilleton.
Mais la réussite relative d’‘‘Awled Moufida’’ – saison 4 concerne principalement la forme. Parce que sur le fond, le feuilleton souffre toujours de plusieurs carences.
Une déviation contre nature
La plus grosse erreur commise par El Fehri est probablement le fait qu’il n’ait pas respecté le genre originel de son œuvre. Initialement un drame, racontant des histoires purement sociales d’une famille vivant dans un quartier populaire tunisien, ‘‘Awled Moufida’’ a subi, par la suite, une sorte de conversion parachutée, faisant de lui un «thriller», avec des mafias, des armes en circulation, des meurtres à tout va, etc.
Évidemment, on n’a aucun problème avec le deuxième genre. Le souci est l’incohérence que cette transformation a créée. Car afin de l’instaurer, Sami El Fehri a dû ignorer tout un cadre contextuel relatif au genre originel. Et c’est la crédibilité de son œuvre qui en a fait les frais…
Désormais, en regardant ‘‘Awled Moufida’’, on a l’impression que l’auteur ne cherche plus à présenter des histoires réalistes, issues de la société tunisienne, mais à faire du «remplissage» dans le but de réussir le nouveau genre, qui exige beaucoup plus d’«action» et de suspense, quitte à ce que le scénario soit, par moments, tiré par les cheveux.
Un scénario assez tordu
Indépendamment de ce constat, sans être particulièrement impressionnant, le scénario a le mérite d’être clair et de suivre un cheminement précis. Toutefois, à l’image des saisons précédentes, les détails scénaristiques tordus font toujours partie des meubles.
Cette année, on a eu, par exemple, droit à une mère-poule (Moufida) qui demande à l’un de ses fils (Badr) de kidnapper la fille d’un commerçant de drogues et chef de mafia, pour (sans rentrer dans les détails) affranchir son autre fils d’une histoire de chantage. Elle a ainsi mis la vie de Badr et de toute sa famille en danger, faisant preuve d’une insouciance qui s’oppose radicalement à sa sagesse distinctive, et surtout à sa nature ultra-protectrice qui a toujours été mise en avant.
L’extravagance de l’histoire ne s’arrête pas là, puisque dans le même épisode, la fille devant être kidnappée demande, elle aussi, de façon totalement indépendante et pour un tout autre motif, au 3e fils de Moufida (qui est, comme par hasard, son copain) de la kidnapper ! Et ce n’est qu’un exemple des coïncidences n’ayant ni tête ni queue qui sont omniprésentes dans les feuilletons de Sami El Fehri, dépouillant ses scénarios de toute crédibilité.
Certains personnages sont bâclés
Le traitement psychologique des personnages est un autre aspect assez faible dans le feuilleton. Si certains sont conçus avec minutie, notamment sur le plan psychologique, à l’instar de l’inspecteur de police Sofien, d’autres ont été totalement bâclés.
L’un des exemples les plus frappants est – encore – celui de la fille du commerçant de drogues, Zina…
À un moment donné de la série, on fait faire à cette jeune d’une vingtaine d’années un acte aberrant : tuer, consciemment et volontairement, un homme ligoté devant 4 personnes, y compris son frère, tout en sachant que le crime serait filmé. Et bien que ce soit la première fois qu’elle tient une arme entre les mains, non seulement elle le fait avec un sang froid digne d’un tueur en série expérimenté, mais en plus, elle ne ressent, suite à cette épreuve et jusqu’à ce que l’enquête policière a été ouverte, ni remords, ni inquiétude, ni peur, ni déprime… pas le moindre sentiment qu’un être humain est censé éprouver dans une situation semblable. Tout ce qui la préoccupe le jour suivant c’est de trouver un moyen de revoir son copain.
La qualité des dialogues est également en dents de scie et manquent, globalement, de profondeur. Et le constat est le même en ce qui concerne le jeu d’acteurs. Particulièrement, le fait que certains d’entre eux en viennent à endurcir leurs voix ou à faire des gestes stéréotypés pour paraître «bad boy», à l’instar de Yassine Ben Gamra ou d’Amine Ben Salah, a été assez grossier. Le personnage joué par ce dernier a même suscité beaucoup de moquerie dans les réseaux sociaux.
Pour conclure, et afin de relativiser notre opinion, il ne faut pas oublier qu’‘‘Awled Moufida’’ est un feuilleton destiné au grand public tunisien, ce qui pourrait justifier sa superficialité. Toutefois, on aurait espéré qu’un travail télévisé aussi populaire soit d’un meilleur niveau.
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