Une étude pilotée par le chercheur et universitaire Moktar Lamari (PhD – ENAP du Québec) fait un diagnostic multidisciplinaire de l’état des risques, perceptions et comportements liés à la corruption dans le contexte municipal, à Djerba. Et propose des pistes de solutions…
Par Khémaies Krimi
«Le municipal est réputé pour être une gouvernance proximale forcément corruptible». Et pour cause : «Les communautés, familles et citoyens ont à faire avec leurs élus et fonctionnaires municipaux pour parer au plus pressant : état civil, aménagement local, eau, électricité, ordure, autorisations diverses. Seulement, ces services et acteurs sont vulnérables à la corruption, aux contingences et aux pressions liées».
C’est ce que constate cette récente étude sur les enjeux et défis de la lutte à la corruption dans le contexte des trois municipalités de l’Ile de Djerba,
qui s’inscrit dans le cadre du renforcement de la gouvernance démocratique et de la redevabilité publique en Tunisie.
Principales révélations
Les résultats de cette étude de 207 pages devront aboutir, sur la base d’un diagnostic de la corruption et de ses déterminants, à un plan d’action intégré modèle devant aider les municipalités de Tunisie à promouvoir l’intégrité, valoriser la probité et contrer la corruption dans ses différentes formes et secteurs d’ancrage.
Selon le sondage sur la base duquel cette étude a été effectuée, la première cause de la corruption a trait au déficit d’éthique (33% des cas), la deuxième au vide juridique et l’insuffisance des lois et du contrôle efficaces (17,3%).
«La corruption active (composée de pots-de-vin et des abus de pouvoir), le favoritisme et l’enrichissement illicite sont les trois formes de la corruption perçue sur l’île de Djerba. Elles représentent 83,98% de la variance de la corruption dans le pays. L’absence d’éthique et de morale dans la fourniture des services, la cupidité ainsi que l’inexistence des lois et des contrôles (impunité) constituent les principales raisons de la corruption. Leur regroupement, sous la forme d’une diminution de patriotisme, permet de dégager la cause principale de la corruption», note l’étude.
Les services publics les plus corrompus
«Dans la vie de tous les jours, les citoyens sont encore mis sous pression et obligés parfois de composer avec des fonctionnaires et services publics corrompus, avec un risque de les faire payer plus que le prix coûtant des services publics (documents d’état civil, autorisation de bâtir, transactions foncières, eaux, électricité, ramassage d’ordures, pistes, réfection de trottoirs, etc.)», révèle encore l’étude. Elle ajoute : «Les interviewés (…) pensent que la corruption prend principalement deux formes majeures : les pots-de-vin (57,2%) et les abus de pouvoir (17,6%). Le népotisme arriverait en 3e position (familialisme, tribalisme, « Ben-amisme »…)».
Concrètement, l’étude cite trois facteurs de corruption : l’irrespect de nombreuses dispositions réglementaires et des procédures visant l’équité, la transparence, la concurrence et l’efficacité ; les comportements surannés des fonctionnaires et décideurs locaux, municipaux et publics, dont les modes de gouvernance et de management des affaires publiques sont encore marqués par le contexte pré-2011; et les carences en matière de mobilisation et de formation des ressources humaines compétentes et à la hauteur des défis de la modernisation de l’action municipale.
Quant aux secteurs et services affectés par la corruption, l’étude cite, pratiquement, tous les services publics en mettant l’accent sur les plus corrompus : santé (hôpitaux), Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg), police, Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede), municipalité, éducation…
L’étude fait mention spéciale du vide juridique et évoque, notamment, le non-accompagnement des lois par des textes d’application. Au nombre de ces carences figurent : l’inadaptation du Code pénal à la Convention des Nations-Unies contre la corruption, l’absence du décret d’application de la loi organique relative à la dénonciation de la corruption (lanceurs d’alertes) et l’exposition des législations anti-corruption aux contingences politiques et rapports de force entre les parties prenantes politiques, notamment aux niveaux local et municipal.
Pistes à explorer pour améliorer la gouvernance municipale
Dans ses conclusions, l’étude insiste sur l’impératif de moderniser les administrations municipales pour renforcer la probité, la lutte à la corruption et la réhabilitation de l’intégrité du service public. Elle recommande d’agir, en premier lieu sur l’éducation, la sensibilisation et le mentorat. Dans un second temps, elle suggère de promouvoir l’innovation et les technologies numériques de lutte contre la corruption. Plus simplement, il s’agit d’opter, d’urgence, pour la dématérialisation-digitilisation de certaines procédures de prestation de services publics, le contact des citoyens avec les fonctionnaires étant retenu comme facteur de corruption.
Last but not least, l’étude suggère de mettre en place un mécanisme de contrôle, de gestion des risques et de sanctions par l’encadrement légal de la transparence et de la reddition des comptes. «Il est ressorti de l’analyse des données que plus les individus sont mieux équipés, plus l’ampleur de la corruption augmente», lit-on dans l’étude.
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