Mustapha Ben Jaâfar, ancien président de l’Assemblée constituante, qui présente un profil avenant pour les islamistes d’Ennahdha, sera-t-il leur candidat pour la prochaine présidentielle, même si son nom n’a jamais vraiment figuré parmi les personnalités les plus appréciées par les Tunisiens ?
Par Cherif Ben Younès
Le feuilleton de l’«oiseau rare» que le parti islamiste Ennahdha serait en train de chercher – si on se fie à une déclaration de son président et cofondateur, Rached Ghannouchi, en mai dernier – en vue de le soutenir aux élections présidentielles de 2019, se poursuit…
Les choses se sont élucidées davantage la semaine dernière lorsque M. Ghannouchi a annoncé, lors d’une émission de télévision diffusée sur la chaîne tunisienne Hannibal TV, que l’hypothèse de présenter un candidat interne (appartenant au parti) n’est pas non plus exclue, et que dans ce cas, ce serait lui-même le heureux élu, puisqu’il est le président du parti et le seul habilité à le représenter dans une élection présidentielle, en vertu de l’amendement du statut du parti adopté lors du dernier congrès en 2016.
Le candidat d’Ennahdha sera soit Ghannouchi, soit externe au parti
Ennahdha serait, donc, en pleine hésitation quant au choix de son représentant aux élections présidentielles de 2019. Mais on sait, au moins, que ce choix se limite à deux options : ou bien Rached Ghannouchi, ou bien un politicien qui ne fait pas partie du parti islamiste, mais qui ferait éventuellement l’objet d’un consensus interne.
En cas de candidat externe, ce ne sera ni Moncef Marzouki ni Kaïs Saïed
À cet effet, Abdelhamid Jelassi, l’un des dirigeants du parti islamiste a indiqué au journal ‘‘Le Maghreb’’, dans son numéro du vendredi 5 juillet 2019, que ce possible candidat externe ne sera pas Moncef Marzouki. Une déclaration qui ne nous surprend point, puisque cela fait maintenant plusieurs années que la relation entre l’ancien président temporaire de la république et le parti islamiste est conflictuelle.
Rappelons que, même lors des élections présidentielles de 2014, Ennahdha n’avait pas donné de consignes de vote à sa base électorale en faveur de M. Marzouki, notamment dans son duel du deuxième tour face à Béji Caïd Essebsi (BCE), malgré la coalition qui avait réuni les deux parties, au pouvoir, dans le cadre de la «Troïka» entre 2011 et 2014, et malgré le fait que le fondateur du Congrès pour la République (CPR) était largement apprécié, à l’époque, par les partisans et les sympathisants d’Ennahdha.
M. Jelassi a annoncé, par ailleurs, que ce candidat ne sera pas, non plus, Kaïs Saïed, l’un des favoris du scrutin présidentiel selon les sondages d’opinion des derniers mois. Le dirigeant islamiste a ainsi balayé les rumeurs qui plaçaient le spécialiste de droit constitutionnel dans la «short list» de ceux pouvant probablement être l’«oiseau rare» recherché par Ennahdha.
Des rumeurs fondées, entre autres, sur les positions conservatrices de ce dernier, et concordant, par conséquent, avec les principes idéologiques du parti islamiste. Des positions qu’il n’a pas hésité à avancer dans les médias, peu de temps après avoir annoncé son intention de se présenter aux présidentielles, notamment en ce qui concerne l’homosexualité, la peine de mort et l’égalité dans l’héritage entre hommes et femmes.
Mustapha Ben Jaafar pourrait être l’oiseau rare
En revanche, le dirigeant islamiste, a déclaré que son parti pourrait soutenir la candidature d’un «personnage démocratique et croyant à la constitution, tel que Mustapha Ben Jaafar», celui qui avait présidé l’Assemblée nationale constituante tunisienne (ANC), entre 2011 et 2014, après s’être allié à Ennahdha.
Accusé d’opportunisme, ce fut d’ailleurs, à l’époque, une sorte de suicide politique, pour lui et son parti, le Forum démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol). En effet, la plupart de ses électeurs ne lui pardonneront jamais, par la suite, cette alliance, qu’ils avaient perçue comme contre nature et surtout comme une sorte de trahison éthique et politique, étant donné que leur soutien, pour Ettakatol, était essentiellement motivé par son modernisme autoproclamé. En d’autres termes, ils voyaient en son parti, à l’époque, l’une des forces politiques qui pouvaient et devaient contrer la menace islamiste post-révolutionnaire, incarnée par Ennahdha, et, au bout du compte, ils étaient déçus de les voir dans la même équipe.
Alors, maintenant que Mustapha Ben Jaafar a quasiment perdu toute sa popularité, comme en témoignent ses résultats et ceux d’Ettakatol lors des élections présidentielles et législatives de 2014 (0,67% et 0,72%, respectivement), va-t-il accéder à nouveau au pouvoir par la porte d’Ennahdha ?
On a franchement du mal à y croire, tant l’intérêt d’Ennadha pour une telle opération semble imperceptible, à moins que M. Ben Jaafar soit disposé à se dégonfler infiniment au parti islamiste et qu’il le leur a fait savoir clairement.
Auquel cas, son statut de «père de la constitution» (même si cette expression, employée pour la première fois par l’ancienne députée d’Ettakatol, Lobna Jribi, a fait l’objet des moqueries de plusieurs Tunisiens qui ne voyaient en lui qu’une simple marionnette entre les mains de Rached Ghannouchi) et l’expérience du passé que les deux parties ont en commun pourraient constituer des éléments favorables à une nouvelle alliance. Puis, de toute façon, comme on le sait tous, la base électorale d’Ennahdha sera toujours derrière son parti, quoi qu’il fasse.
Reste à se demander si M. Jelassi, en citant le nom de Mustapha Ben Jaâfar, ne lance-t-il pas une sonde ou un ballon d’essai pour voir la réaction de l’opinion publique et des acteurs politiques à une telle candidature, l’intéressé présentant un profil avenant pour les islamistes, même si son nom n’a jamais vraiment figuré parmi les personnalités les plus appréciées par les Tunisiens.
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