Le Fonds monétaire international (FMI) a publié un rapport sur la Tunisie, paru le 18 juillet 2019, dans le cadre de la 5e révision du mécanisme élargi de financement (EFF), et réaffirme son opposition à l’augmentation des salaires et au recrutement dans la fonction publique. Le gouvernement saura-t-il vraiment respecter ses engagements dans ce domaine ?
Par Amina Mkada
Ce qui menace d’atteindre l’objectif de réduire le déficit public de 3,9% en 2019, ce sont les augmentations de salaire imprévues pour les fonctionnaires, quant à l’impact sur l’équité sociale, l’accessibilité financière dans un budget déjà serré, et la stabilité macroéconomique.
Des augmentations de salaire ont eu lieu dans la fonction publique, contre l’avis du FMI
Les hausses de salaires de la fonction publique constituent, entre autres, un échec des politiques convenues lors de la 4e révision. Lors des discussions avec le gouvernement tunisien durant mars et avril 2019, les compromis à court terme entre stabilité économique et stabilité sociale ont pesé sur les réformes. Les autorités tunisiennes ont avancé sur les mesures, visant entre autres, la protection sociale. Cependant, elles ont également accordé des augmentations salariales à la fonction publique, contre l’avis du FMI. Or, il n’y a pas de place pour assouplir l’effort sur les impôts ou les dépenses courantes, après la récente augmentation des salaires de la fonction publique.
Ces dérapages se sont produits lors de 2 grèves générales organisées par l’UGTT, et par le refus des entreprises de payer des factures d’électricité plus élevées.
Les salaires du secteur public 2 fois plus élevés que ceux du secteur privé
Malgré l’augmentation des effectifs dans le secteur public (500.000 à 700.000 entre 2011 et 2015), la masse salariale a augmenté, principalement, en raison des augmentations des salaires depuis la Révolution, suivies de manière partielle par le secteur privé.
Par conséquent, les salaires du secteur public sont en moyenne 2 fois plus élevés, que ceux du secteur privé. Ceci, en plus d’autres recrutement, qui ont eu lieu après 2015, du personnel de sécurité pour faire face à des menaces de sécurité plus élevées.
Des augmentations injustes, inabordables, nuisibles à la stabilité macroéconomique du pays, selon le FMI
Les fonctionnaires gagnent déjà beaucoup plus que leurs homologues du secteur privé, et jouissent d’une stabilité d’emploi. En outre, les augmentations de salaires ont nécessité des mesures supplémentaires du prix de l’énergie pour l’ensemble de la population, afin de maintenir le plafond de déficit pour 2019, nécessaire pour atténuer l’endettement défavorable pesant sur la société en général, au profit de ceux qui sont déjà (relativement) privilégiés.
Les autorités tunisiennes ont failli à leur engagement à ne pas faire de recrutement, ni à augmenter les salaires dans la fonction publique, jusqu’à 2020
C’était là le principal problème politique lors de la 1ère révision. Le FMI n’avait avancé avec le Programme à l’époque, que lorsque les autorités tunisiennes avaient présenté une stratégie, visant à maintenir le cap sur l’objectif d’une masse salariale de 12% du PIB d’ici 2020. Cette stratégie reposait sur l’absence de nouvelles augmentations de salaires jusqu’en 2020, sur le régime de départ volontaire, et sur des limites strictes de recrutement, pour atteindre une réduction de 2% de la part des salaires de la fonction publique dans le PIB sur 3 ans.
Mais, les autorités tunisiennes ont failli à cette politique en février 2019, en acceptant d’augmenter les salaires de la fonction publique, d’environ 1,3% du PIB, après 2 grèves générales : une 1ère tranche de 0,6% du PIB devant être versée en 2019, une partie de cette tranche (0,1% du PIB) étant sous forme d’un transfert aux fonctionnaires; et une 2e tranche de 0,7% du PIB qui sera mise en œuvre dans le budget 2020. Ces augmentations représentent une augmentation de 3,5% du salaire moyen chaque année, soit environ la moitié du taux d’inflation.
Le gouvernement tunisien assure qu’il n’y aura plus d’augmentation des salaires dans la fonction publique, en 2019 et en 2020
Les autorités tunisiennes répondent au FMI, qu’elles jugent essentiel de maintenir des limites strictes de recrutement pour 2019 et 2020 (taux de remplacement de 25%), notamment compte tenu des décisions sur l’augmentation progressive de l’âge de la retraite, et des augmentations salariales de la fonction publique de janvier 2019 (à administrer en 2019 et 2020).
Les autorités assurent, également, que le pays ne prévoit aucune nouvelle augmentation de salaires en 2019 ni en 2020. On verra si elles pourront en convaincre ces voraces de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ou s’ils vont leur céder une nouvelle fois et capituler en rase campagne, comme ils nous ont habitués jusque-là, par calcul ou par lâcheté politique.
Le FMI s’oppose à la demande de l’UGTT d’augmenter les salaires
Les hausses de salaires (environ 2% du PIB pour le secteur privé et les entreprises publiques, ont un impact négatif sur l’inflation et le compte courant). Dans ce contexte, il est important de noter qu’il existe un risque d’augmentation supplémentaire des salaires en 2019 (environ 0,2% du PIB de dépenses supplémentaires), car l’UGTT cherche actuellement à ouvrir des négociations sur des hausses supplémentaires pour 35.000 fonctionnaires de niveau supérieur. Le FMI s’oppose à cette demande et avertit de ses conséquences potentielles pour la stabilité macroéconomique.
La masse salariale de la fonction publique en Tunisie est l’une des plus élevées au monde
La masse salariale de la fonction publique est passée de 10,7% du PIB en 2010, à 15,2% du PIB en 2018, y compris les composantes salariales, versées sous forme de crédits d’impôt. Elle consomme plus de 50% du budget, 2/3 tiers des recettes fiscales, et représente l’équivalent de 3 fois l’investissement public, selon les autorités tunisiennes et les calculs et estimations des services du FMI.
Les autorités tunisiennes reconnaissent qu’il est important de limiter strictement les nouveaux recrutements dans la fonction publique
Les autorités tunisiennes ont reconnu qu’il importait de limiter ces recrutements (un taux de remplacement global, ne dépassant pas 25%), conformément à la pratique de 2018. Ceci laisse toutefois une marge de manœuvre pour le recrutement dans des secteurs prioritaires, comme la santé, et l’éducation. Il a été convenu de s’abstenir de toute augmentation supplémentaire de salaires sur la période couverte par l’accord avec l’UGTT (jusqu’en 2021), y compris celles actuellement exigées par l’UGTT pour 35.000 fonctionnaires de niveau supérieur.
(Avec FMI).
Donnez votre avis