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Le 2e débat télévisé des candidats à la présidence : l’économique comme enjeu électoral crucial

Dernières mises au point.

Le deuxième débat télévisé pour l’élection présidentielle anticipée en Tunisie a eu lieu hier soir, dimanche 8 septembre 2019, avec la participation d’un contingent de 9 candidats. Il a été, dans l’ensemble, plus dynamique et plus interactif dans les échanges, les questions s’y prêtaient davantage et les candidats semblent avoir tiré les leçons de l’échec du premier débat.

Par Moktar Lamari, Samir Trabelsi et Najah Attig *

Comme prévu, il s’agit de questionner les candidats au sujet de leur programme politique, en tant que prétendant au poste de président de la République tunisienne, dont le premier tour des élections est prévu dimanche prochain, le 15 septembre.

Comme pour notre précédente chronique réservée aux 8 candidats ayant participé au premier débat (7 septembre), la présente chronique se pose les mêmes questions et aborde les réponses dans la même perspective et avec la même méthodologie. Deux questions sont posées : 1) Peuvent-ils gouverner en méconnaissance des enjeux et défis économiques ? 2) Et au regard de leurs compétences en économique, comment se classent-ils dans la liste des candidats en lice ?

Les réponses à ces deux questions éclaireront les électeurs dans le choix de leur futur président, notamment pour faire sortir la Tunisie de son marasme économique et contrer la paupérisation grandissante qui gangrène de larges contrées du pays.

Comme prévu, une série de quatre chroniques, une après chacun des trois débats organisés à cette fin pour les 26 candidats en lice pour les élections présidentielles. La quatrième chronique présenterait, à la veille des élections, le classement qu’on aura fait de tous les candidats au regard de leurs compétences et potentiels de gouvernance des enjeux et défis économiques de la Tunisie d’aujourd’hui.

La présente chronique traite donc de ce deuxième débat des présidentiables, qui mettaient en scène et face aux caméras neuf autres candidats, à savoir : 1) Mohsen Marzouk (47 ans), politicien et ancien ministre, 2) Elyes Fakhfakh (47 ans), ingénieur et ancien ministre des Finances, 3) Hamadi Jebali (70 ans), ingénieur et ancien Premier ministre au nom d’Ennahdha; 4) Sghaier Nouri (62 ans), économiste ; 5) Hechmi Hamdi (55 ans), entrepreneur ; 6) Abdelkrim Zbidi (69 ans et non 64 comme indiqué par la chaîne Wataniya ), médecin et ministre de la Défense; 7) Hatem Boulabiar (48 ans), ingénieur, 8) Mongi Rahoui (56 ans), avocat et député, et 9) Lotfi Mraihi, (60 ans) médecin.

Les journalistes réduits au rôle de poser des questions préparées d’avance.

Éléments de méthodologie

Mais d’abord, quelques précisions méthodologiques s’imposent. La première concerne l’importance vitale des enjeux économiques pour l’étape à venir et les défis à relever par la transition démocratique de la Tunisie post-2011. Après huit ans de forte chute dans le pouvoir d’achat, d’appauvrissement humiliant; et sans relance économique, la démocratie tunisienne risque sa survie !

À notre avis, le prochain président doit mettre l’économie au cœur de ses prérogatives et préoccupations: sûreté nationale, politique étrangère, application de la constitution et premier garant de la prospérité des citoyens et d’une gouvernance optimisée du pays.

Ensuite, en tant que spécialistes de l’économie publique, des finances et de la gouvernance, les auteurs de ces chroniques ont adopté une démarche d’analyse de contenu du débat (ayant duré 120 min). Nous avons retenu une grille d’analyse multicritère fondée sur 5 dimensions caractérisant les propos et promesses des candidats au regard des enjeux économiques (au sens large). Ces cinq dimensions analytiques ont trait : à la pertinence de leurs propos (réponse aux besoins et exigences du contexte), à la lisibilité de leurs propositions (clarté, détails et transparence), à l’efficience des promesses (capacité de payer de l’État et des bénéfices sociaux anticipés), à la faisabilité des projets et idées mises de l’avant (instruments, échéance, implantation, retombées prévues) et de la gouvernance des dans le contexte de la Tunisie d’aujourd’hui (coordination, cohérence, leadership).

Chacune de ces dimensions évaluatives est notée par chacun des auteurs du texte, du plus faible (0) au plus fort (3). On adopte ici des grilles de mesure nord-américaines de l’analyse de contenu (échelle Likert). Au final, chacun des candidats est noté sur une grille allant de 0 (le plus faible score) à 15 (le plus fort score).

Mais, la démarche se base sur le fait que les 3 auteurs de cette chronique ont regardé chacun de son côté le débat (parfois deux fois), avant de remplir la grille retenue et noter les performances de chacun des candidats. Ensuite, les auteurs procèdent à la mise en commun des appréciations et résultats obtenus par chacun, et après d’éventuels arbitrages, une décision commune est prise pour les classements et les appréciations.

Un regard croisé et sommatif

Le débat en formule question-réponse (limitée en temps) entre un journaliste et un candidat ne permet pas toujours les échanges intercandidats. Cela dit, et contrairement au précèdent débat, le deuxième débat a été plus dynamique et plus interactif dans les échanges.

Deux candidats se détachent du lot, par la clarté de leurs propos et surtout leurs connaissances des enjeux, notamment pour avoir exercé le pouvoir au sein du gouvernement, et compris l’importance des enjeux économiques pour la survie de la démocratie tunisienne. Fakhfakh et Zbidi se sont distingués par leur franc-parler, leur clairvoyance au sujet des vrais problèmes économiques qui paralysent le pays.

Cependant, Fakhfakh a été malgré tout plus percutant et plus convaincant dans ses propos et maîtrise des concepts économiques. Ce candidat a été pragmatique dans ses réponses et a martelé que la «Tunisie a besoin d’un président économiste», pour arrêter la dégringolade qui ruine les citoyens, les entreprises et le pays dans son ensemble. Il prône notamment plus d’innovation, un meilleur État, plus de développement local et plus de lutte contre la corruption. Ajoutant que les problèmes que vit la Tunisie ont une solution économique, avant tout!

Zbidi, et contrairement à l’image négative que certains médias font de lui, a été articulé, calme et très pertinent au regard des questions posées. Il a notamment tenu à afficher son engagement pour réformer l’administration publique, reconnaissant les maux de cette institution : sureffectif, corruption, lenteur. Zbidi a aussi promis de changer les règles du jeu pour contrer l’opportunisme des élites politiques : tourisme politique, immoralité, corruption. Le candidat a certainement perdu des points quand il a exposé son point de vue sur la dépénalisation de la drogue, alors que le journaliste lui demandait de faire des propositions structurantes et prioritaires. Mais, dans l’ensemble Zbidi a marqué les esprits par l’importance qu’il a accordée à la bonne gouvernance du bien public et des finances publiques.

Viennent ensuite presque ex æquo, les candidats Nouri et Mraihi, tous les deux ont manifesté une compréhension structurée des enjeux économiques. Le candidat Mraihi a présenté des signes d’énervement en parlant des ressources naturelles en Tunisie, préconisant une révision de toutes les conventions de coopération à ce sujet avec la France, notamment. Il a préconisé plus de protectionnisme des industries et intérêts économiques tunisiens, allant jusqu’à nationaliser certaines ressources naturelles aujourd’hui insuffisamment valorisées par la gouvernance de l’économie tunisienne.

Le candidat Nouri a démontré une excellente compréhension des problèmes économiques qui sont à l’origine des disparités régionales et des tensions liées. Mais, ses propositions manquaient souvent de détails au sujet des modalités d’opérationnalisations économiques. Il a aussi montré un penchant prononcé pour le juridisme à tout va, proposant une quinzaine de lois, s’il était élu. Aussi, ce candidat a été souvent très abstrait, versant plus dans la rhétorique verbeuse et peu soutenue par des chiffres ou des données sur les impacts économiques.

Vient juste après Hamadi Jebali, qui a aussi évoqué le rôle critique de la réforme de la gouvernance locale sans pour autant donner plus des détails sur les mécanismes de ces réformes. Jebali a passé plus de temps à décrire les problèmes économiques, sans montrer une vision conceptuellement harmonisée et complète pour les solutionner de manière efficiente et faisable dans le contexte de la crise et des tensions politiques qui caractérisent les milieux politiques. Jebali a pris des risques en s’engageant à soumettre la Banque centrale de Tunisie à un audit, alors que l’institution jouit d’une autonomie du gouvernement. Jeballi est allé aussi loin, en déclarant sa volonté d’interdire les grèves dans de nombreux secteurs publics. Malgré son expérience en tant que chef de gouvernement, Jebali ne semble pas avoir tiré les leçons de ses décisions passées, notamment celles ayant bourré l’administration publique par plus de 100.000 fonctionnaires recrutés au regard de leur proximité politique. Ses propositions manquaient aussi de lisibilité pour convaincre de leur efficience et faisabilité.

Le candidat Mohsen Marzouk arrive juste après, avec une très faible compréhension des enjeux et urgences économiques. Ses propositions sont axées sur les relations internationales, et très peu sur les mesures de créer de la richesse et réduire le chômage. La rhétorique de Marzouk est restée abstraite, très idéologisée et très politique, partant très superficielle au sujet des défis économiques. Il a manqué de répondre à au moins deux questions ayant un lien avec la gouvernance des services publics et de l’économie. Ses suggestions de l’énergie nucléaire pour solutionner les pénuries d’eau en Tunisie ont étonné plus qu’un observateur.

Vient ensuite le trio Boulabiar, Hamdi et Rahoui. Tous les trois ont été remarqués par des propositions populistes, manquant de rigueur quand il est question des défis économiques. Boulabiar a montré son manque flagrant de maîtrise des dossiers économiques et des pesanteurs en présence.

Hamdi a multiplié les promesses fallacieuses, sans dire comment il va les financer (subvention de 200 DT par mois à chacun des 650.000 chômeurs).
Rahoui, bien qu’expert financier de son état, a fait un discours digne des meetings de contestataires de gauche, en parlant de tout sauf de ce qui peut être mis en œuvre pour apporter des solutions pratiques aux marasmes économiques et au fardeau de l’endettement qui étouffe l’économie. Il n’a pas répondu de manière ciblée à au moins deux questions, dont celles portant sur les promesses d’actions qu’il mènerait s’il était élu président.

Un premier classement

Les développements présentés précédemment nous permettent de noter les performances des candidats, comme dévoilées lors de ce débat, et de les classer en fonction des critères retenus. Le classement obtenu pour les neuf candidats présents lors de ce débat est comme suit :

1- Elyes Fakfakh
2- Abdelkarim Zbidi
3- Sghaier Nouri
4- Lotfi Mraihi
5- Hamadi Jebali
6- Mohsen Marzouk
7- Hatem Boulabiar
8- Hachemi Hamdi
9- Mongi Rahoui

Pour des raisons d’équité envers les 26 candidats en lice, on présentera le détail des critères et notations dans le cadre de notre dernière chronique, quand tous les candidats auront présenté leurs projets et points de vue sur les enjeux et défis économiques.

* Universitaires au Canada.

Premier article de la série:

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