Son absence des médias tunisiens depuis l’annonce de son passage au deuxième tour de l’élection présidentielle continue de faire débat, mais pendant ce temps-là, Kaïs Saïed multiplie les apparitions dans les chaînes de télévision étrangères, où il a choisi de s’exprimer, en long et en large, concernant sa possible future mission de président de la république…
Par Cherif Ben Younès
Le dernier entretien en date a eu lieu hier, 22 septembre 2019, à la chaîne saoudienne, Al Arabiya. Un entretien durant lequel plusieurs sujets importants concernant sa vision de l’Etat et de son rôle, en cas de victoire, ont été abordés.
«Je suis indépendant et je le resterai pour toujours»
Fréquemment associé à différents courants politiques, allant de l’extrême droite à l’extrême gauche, M. Saïed s’est montré rassurant en mettant l’accent, lors de cette rencontre, sur son indépendance de toute organisation politique, quelle qu’elle soit. «Je n’appartiens à aucun courant politique. Je n’appartiens à aucun parti, et je n’y appartiendrai jamais. J’ai toujours été indépendant et je le resterai durant toute ma vie. Toutes ces classifications politiques [de droite et de gauche] ne signifient rien pour moi», a-t-il notamment déclaré.
Le juriste n’affiche donc toujours aucun indice sur son idéologie, préférant user d’un discours populiste qui ne tient compte que de «la volonté du peuple», à l’image du slogan de sa campagne électorale, «Achaâb yourid» («Le peuple veut»). Puisqu’en continuité avec sa réponse sur son appartenance politique, il ajoute que sa cause principale consiste en «la manière dont il permettra au peuple de réaliser sa volonté, dans le cadre de la loi, de la constitution et d’une nouvelle vision». Oui, parce que le peuple constitue une seule entité homogène et unanime, selon notre probable futur président.
Le prétexte de la «volonté du peuple» pour rejeter certains droits de l’homme
M. Saïed s’est encore enfoncé dans sa langue de bois lorsqu’il a été interrogé sur les questions qui concernent les droits humains et les libertés individuelles, à l’instar de la dépénalisation de l’homosexualité et de l’égalité successorale entre les deux sexes, en affirmant que le peuple n’a pas revendiqué ces questions lorsqu’il a fait sa révolution de 2011, contre le régime de l’époque.
«Le peuple a plutôt demandé la liberté, la dignité nationale et l’emploi», a-t-il ajouté… Comme si le fait de priver une personne d’avoir une vie sexuelle libre, à titre d’exemple, ne faisait, justement, pas partie de sa liberté et de sa dignité. Et comme si les droits des citoyens, notamment d’être égaux devant la loi, devaient se soumettre à «la volonté du peuple» !
Et si le peuple était majoritairement raciste ou xénophobe… Faudrait-il, dans ce cas, et en suivant la logique de M. Saïed, persécuter les gens de couleur ou les étrangers ? Et si le peuple était favorable à l’esclavage… Devrait-on remettre en place cette pratique abominable ?
La démocratie exige, certes, de tenir compte de la volonté du peuple. Mais pas dans n’importe quelle affaire. Il y a des piliers de la démocratie, et à leur tête les droits de l’homme, qui doivent être intouchables et qui ne peuvent en aucun cas être violés par la volonté de quiconque. Et qu’est-ce qu’on aurait aimé que le favori pour la magistrature suprême, qui plus est, est un homme spécialisé en droit constitutionnel, en soit davantage conscient.
«Une justice indépendante est meilleure que 1000 constitutions»
D’autre part, Kaïs Saïd a dit que son souhait d’apporter un amendement à la constitution (notamment pour changer le système de gouvernance, ndlr) serait «difficile et complexe à réaliser» puisqu’il nécessiterait, avant de pouvoir procéder au référendum, l’accord du parlement.
Interrogé sur l’affaire du prétendu «appareil secret d’Ennahdha», en rapport avec l’assassinat des politiciens Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, le candidat à la présidentielle a indiqué que, sans accuser aucune partie de quoi que ce soit, tout ce qui compte pour lui est que la justice tunisienne fasse preuve d’indépendance totale, afin de pouvoir jouer son rôle complet dans cette affaire, comme dans toutes les autres. «Une justice indépendante est meilleure que 1000 constitutions», conclura-t-il.
En ce qui concerne sa vision de la politique étrangère, Kaïs Saïed a dit qu’il faut faire valoir la «légitimité internationale», notamment en ce qui concerne les conflits en Libye et en Algérie. «Le plus important est de permettre à ces peuples de choisir ce qu’ils veulent et de les réaliser eux-même», a-t-il ajouté.
Rappelons que Kaïs Saïed disputera le deuxième tour de l’élection présidentielle anticipée, dont la date n’a pas encore été fixée, contre le candidat de Qalb Tounes, Nabil Karoui.
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