La mort cette semaine du président français Jacques Chirac, qui a accédé à l’Elysée au terme d’une très longue expérience dans les plus hautes fonctions de l’Etat, vient nous rappeler, nous autres Tunisiens, et de manière brutale, que nous allons voter au second tour de la présidentielle pour un… novice.
Par Samir Messali *
Le peuple français était très ému, jeudi 26 septembre 2019, à l’annonce de la disparition de Jacques Chirac, celui qui, durant 12 ans, étaient leur sympathique président, qui aimait bien la France et les Français et qui a œuvré, durant toute sa carrière politique, à préserver le rang de son pays parmi les plus grands de ce monde.
Un parcours de 36 ans au service de l’Etat avant de devenir président
Ce qui est à remarquer dans la carrière politique de Chirac c’est sa richesse et sa diversité. En effet, il n’est devenu président de la république qu’en 1995, après un parcours 36 ans au service de l’Etat. À 32 ans, il était élu conseiller municipal de Sainte Féréole, une petite commune de la Corrèze de moins de 2000 habitants. Il était aussi conseiller général et président du conseil général de la Corrèze. À 35 ans, il est élu député et député européen en 1979. Il a occupé la fonction de secrétaire d’Etat à l’âge de 35 ans et ministre à 39. Il était aussi maire de Paris, l’une des plus grandes villes au monde, durant 18 ans, et occupa aussi le poste de Premier ministre à deux reprises, une fois sous le libéral Valéry Giscard d’Estaing, pendant deux ans couronnés par une démission, et une deuxième fois en cohabitation avec le socialiste François Mitterrand.
Par ailleurs, Chirac avait fondé un parti politique, le RPR, en 1976, qui a remporté, avec l’UDF, les élections législatives, de 1978. Et il se présenta à trois reprises aux élections présidentielles et c’est la troisième qui fut la bonne, en 1995, lorsqu’il accéda à la magistrature suprême, poste qu’il occupera, avec beaucoup de chance et de panache, durant 12 ans.
Il est vrai que la carrière de Chirac fut riche et exceptionnelle comme celle d’ailleurs de son principal concurrent Mitterrand et de plusieurs autres hommes politiques qui ont dirigé les vieilles démocraties mais ce n’est malheureusement pas le cas dans les nouvelles démocraties comme la nôtre.
Même si notre démocratie tunisienne est jeune, il n’est pas permis à nos candidats à la présidence de la république d’être dépourvus de toute expérience politique. Sur les 26 candidats qui se sont présentés au premier tour de la présidentielle, moins de la moitié se prévalaient d’une brève expérience ministérielle ou présidentielle, à la notable exception de Youssef Chahed et, à un degré moindre, Moncef Marzouki, Mehdi Jomaa, Hamadi Jebali, Abdelkarim Zbidi et autre Néji Jalloul. La plupart des autres viennent d’horizons divers et n’ont exercé pas le pouvoir exécutif que dans des cercles très restreints, au sein de petits groupes homogènes.
Des novices à l’assaut du palais de Carthage
Le problème se poursuit avec les candidats pour le deuxième tour. Nabil Karoui a certes fondé et dirigé un groupe de sociétés mais le management d’une entreprise n’a rien à voir avec l’activité politique qui nécessite des compétences et des connaissances différentes, notamment une très bonne connaissance des dynamiques profondes de la société tunisienne dans ses diversités régionale, économique et sociale. Et, également, une très bonne connaissance des arcanes de la politique dans leur complexité et surtout une expérience avérée dans l’exercice des hautes fonctions de l’Etat, sans oublier aussi l’exigence d’un savoir-faire minimal en matières de diplomatie et de relations internationale, d’un background géostratégique et d’une familiarité avec les enjeux nationaux, régionaux et internationaux.
Le cas de Kaïs Saied est encore plus inquiétant puisqu’on ne lui connaît qu’une seule expérience dans le seul domaine de l’enseignement supérieur en tant que maître assistant. Il est certes un expert en droit constitutionnel, mais ses connaissances restent, là encore, trop théoriques.
Le 13 octobre prochain, les électeurs auront donc à choisir entre deux candidats dépourvus d’expérience politique et non soutenus par des partis politiques structurés et expérimentés : Qalb Tounes ayant été créé il y a seulement quelques semaines par Nabil Karoui pour porter sa candidature à la présidentielle, mais il est constitué de bric et de broc, un attelage improbable et hétéroclite composé à la hâte de gens venus d’horizons divers.
Au soir du 13 octobre prochain, nous aurons donc forcément un président qui devra apprendre la politique et la diplomatie en les exerçant directement dans le cadre de l’exercice de la plus haute fonction de l’Etat, celle de magistrat suprême. Il sera donc forcément influencé par son entourage immédiat, surtout dans le cas très probable où il ne disposera pas du soutien d’un important groupe parlementaire. Et compte tenu des prérogatives assez limitées dont il disposera (sécurité nationale et relations internationales), il n’aura pas de poids face aux autres acteurs de la scène politique, alors qu’il est appelé à jouer un rôle fédérateur et réconciliateur. Encore faut-il espérer que, de par son inexpérience, il ne mènera pas d’actions diplomatiques susceptibles de mettre en péril les relations de la Tunisie avec d’autres pays, frères ou amis.
* Expert financier et écrivain.
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