La preuve est encore une fois donnée que les 15.500 candidats en lice pour les 217 postes à pourvoir pour la prochaine législature, compte un grand nombre d’opportunistes et d’incompétents qui n’ont rien à offrir pour la Tunisie démocratique; et les motifs de leur présence dans cette compagne électorale restent nébuleux, voire dangereux et à plus d’un titre.
Par Moktar Lamari, Samir Trabelsi et Najah Attig *
Une démocratie ne peut fonctionner sans s’appuyer sur une économique prospère et des élites politiques fiables, honnêtes et compétentes. Et à cet effet, le 2e débat des législatives, hier soir, mardi 1er octobre 2019, sur la chaîne Wataniya 1, a été franchement déplorable, abominable et irrespectueux des sept millions d’électeurs à la recherche de députés et de gouvernement dignes de ce nom.
Durant 2h30, les téléspectateurs et les électeurs n’en reviennent pas de ce qui se déroule en direct devant leurs yeux. Neuf candidats à la députation, tous des hommes au visage fermé et peu souriants, ont alterné ignorance et arrogance, ont gesticulé entre incompétence et indécence, au grand mépris des victimes économiques des errements et incompétences des élites politiques ayant gouverné le pays depuis l’avènement de l’ère de la transition démocratique, en 2011.
De tous les horizons, les neufs formations politiques présentes à ce débat représentent divers courants de pensée et idéologies politiques : allant de l’idéologie nationaliste et conservatrice, à celle d’obédience socialisante ou gauchisante, passant ayant une vocation populiste ayant des ramifications avec les élections présidentielles prévues dans peu de temps.
Un débat médiocre
Un débat plutôt inquiétant, marqué par un manque flagrant de substance et ponctué par une agressivité injustifiable et intolérable dans le contexte d’élection libre, informée et axée sur la performance des formations politiques.
Ce débat a mis au grand jour ce que plusieurs craignaient en catimini. Les 15.500 candidats en lice pour les 217 postes à pourvoir pour la prochaine législature, compte un grand nombre d’opportunistes et d’incompétents qui n’ont rien à offrir pour la Tunisie démocratique; et les motifs de leur présence dans cette compagne électorale restent nébuleux, voire dangereux et à plus d’un titre.
L’échantillon de candidats présents au 2e débat a dévoilé ses limites intrinsèques dans la compréhension des enjeux économiques budgétaires et monétaires. Ces élites politiques présentes sur le plateau, et qui ambitionnent siéger au parlement comme député parlementaire et forcément législateur et décideur, n’ont pas rassuré quant à leur intégrité et capacité à sortir la Tunisie de son marasme économique, s’ils étaient élus.
Confusion entre fins et moyens
Une première déception constatée chez quasiment 6 candidats sur 9, a trait à la confusion entre d’un côté, les leviers et instruments de politiques publiques et de l’autre, les résultats à atteindre pour contrer des problèmes cruciaux comme le chômage, la chute du pouvoir d’achat et l’asthénie de la croissance économique.
Pour plusieurs candidats, la lutte à la pauvreté des 1,8 million citoyens et citoyennes doit passer par l’institution de toujours plus de lois visant la lutte à la corruption et la pénalisation des promoteurs du marché informel. On n’a pas proposé des mesures calibrées, sensées et modulées pour faire face à un problème complexe et surtout endémique et ancien.
Pratiquement aucun des candidats présents n’a pu proposer des mesures concrètes ciblant directement les couches les plus pauvres, pour les sortir de leur précarité de manière durable et efficace. Le député Salem Labiadh a même osé contester le caractère «technique» de l’enjeu économique de la pauvreté, tel que mis de l’avant par les questions du débat pour dire qu’il est venu à ce débat pour parler des enjeux politiques, et pas de questions techniques qu’on peut, selon lui, régler en les confiant à des bureaux d’études privés afin de leur trouver des solutions.
L’enjeu de la pauvreté a constitué un révélateur de la «pauvreté intellectuelle» des élites politiques et candidats à la députation présents sur le plateau.
Confusion entre problèmes, causes et symptômes liés
Une autre déception constatée chez la plupart des candidats a trait à leur incapacité de comprendre les enjeux économiques en présence en Tunisie. En réponse aux questions, les candidats ont montré la fâcheuse tendance à confondre entre les problématiques économiques examinées et de leurs causes potentielles.
Très souvent, les candidats s’embourbent dans la définition des contours des problématiques économiques examinés (chômage, pauvreté, émigration, etc.), et choisissent de traiter d’un autre problème qu’ils maîtrisent mieux (corruption, lobbys, harcèlement, etc.) et font croire que ces problèmes sont corrélés et inséparables.
Pire encore, certains candidats focalisent leurs propos sur les causes ou les symptômes de problème (en prenant des exemples, des cas particuliers, etc.) pour ne pas traiter du problème en tant que tel, et finir par proposer des solutions hors sujet et sans liens avec les vrais problèmes examinés dans le cadre du débat.
Très facilement, les candidats expliquent les problèmes par des facteurs exogènes occultant en même temps les facteurs endogènes à l’économie tunisienne : faible productivité, insécurité, perte des valeurs éthiques, administration gangrenée par la corruption…
Cette réalité montre, sans l’ombre d’un doute, que les candidats n’ont pas de programmes économiques et de propositions élaborés et suffisamment articulés pour être présentés au grand-public, sans se faire rabroués par les critiques et les économistes spécialistes de ces enjeux.
Illettrisme économique
Ce 2e débat, et contrairement à son précédent, a montré aussi l’incapacité de plusieurs candidats de cerner les enjeux budgétaires, les défis opérationnels de la mise en œuvre des politiques publiques et les impératifs de mesurer les impacts de l’action gouvernementale et ses effets de court, moyen et long terme.
Plusieurs des candidats ont montré leur incompréhension, voire même leur indifférence face aux impératifs d’équilibre des budgets publics et d’adéquation entre revenus et dépenses de l’État. Aucun lien n’est fait explicitement avec les déficits budgétaires et avec la dégradation des services publics, l’endettement, l’inflation, etc.
Comble du non-sens, un candidat a même osé proposer le remplacement du système bancaire actuel, par un autre où les bénéfices bancaires seront valorisés au profit de l’économie solidaire et communautaire, qualifiant le système bancaire actuel d’injuste et d’injustifiable dans le contexte tunisien. Ce genre de commentaires est plutôt a-historique et met en cause les principes fondamentaux de la propriété privée, le sens de l’entreprise et la libre initiative.
L’illettrisme économique manifesté lors de ce débat est plutôt ahurissant, et très dangereux pour la survie de la démocratie tunisienne durant les années à venir. Parions que les électeurs tunisiens maintiennent leur cap vers une démocratie porteuse de bien-être et de pouvoir d’achat, ignorant les opportunistes convertis en politiciens sans en avoir ni la vocation ni l’intelligence requises.
Parions aussi que l’électeur arrive à faire les bons choix, et à séparer le bon grain et l’ivraie. Quoique, à l’évidence, le bon grain se fait plutôt rare…
* Universitaires au Canada.
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