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Un hit-parade économique des 26 candidats à la présidence en Tunisie

Dans ce 4e article d’une série consacrée à analyser les propositions des candidats au 1er tour de la présidentielle anticipée, dimanche prochain, 15 septembre 2019, tel qu’elles ont été exprimées lors des trois débats télévisés sur la chaîne Watania 1, les auteurs apportent une conclusion générale et établissent un ranking.

Par Moktar Lamari, Samir Trabelsi et Najah Attig *

Ils étaient 24 candidats, sur 26 au total, à s’être exprimés, lors des trois débats télévisés organisés les 7, 8 et 9 septembre. Ils ont pris le temps pour expliquer leurs programmes et intentions à plus de 7 millions d’électeurs inscrits, et ce durant six heures de show médiatique, rare sinon unique dans son genre dans les pays arabes et africains. Ont-ils tout dit sur leur programme d’action (inaction) pour sortir l’économie de sa périlleuse morosité ? Ont-ils la fibre économique requise pour viabiliser la transition démocratique et redonner espoir aux plus démunis ? Comment peut-on les comparer à l’aune de l’urgence économique ?

Pas faciles à répondre, ces questions vont au cœur de la viabilité de la transition économique en Tunisie.Il faut dire que ces candidats étaient attendus de pied ferme par un électorat démoralisé par une transition démocratique qui ne fait pas assez contre le chômage, contre la perte du pouvoir d’achat et contre les diktats du FMI en matière des choix économiques du pays.

Notre chronique vient donc répondre à ces questions, en s’appuyant sur nos trois précédentes chroniques au sujet de chacun des trois débats télévisés.

Éléments de méthodologie

Considérant la complexité des questions posées, la diversité des enjeux du «rating» envisagé, et pour assurer un maximum d’objectivité à cette tribune, quelques précisions méthodologiques s’imposent.

La première concerne l’importance vitale des enjeux économiques pour l’étape à venir et les défis à relever par le prochain président. Après huit ans d’érosion continue dans le pouvoir d’achat, de laminage ruinant la classe moyenne; et faute de relance économique, la démocratie tunisienne court à sa perte! À notre avis, le prochain président doit mettre l’économie au cœur de ses prérogatives constitutionnelles et préoccupations stratégiques : sûreté nationale, politique étrangère, application de la constitution et premier garant de la prospérité des citoyens et d’une bonne gouvernance optimisée du pays.

Ensuite, en tant que spécialistes de l’économie publique, des finances et de la gouvernance institutionnelle, nous avons adopté une démarche d’analyse de contenu des débats. Une grille d’analyse multicritère a été retenue à partir de 5 dimensions caractérisant les propos et promesses des candidats au regard des enjeux économiques (au sens large).

Ces cinq dimensions analytiques ont trait à 1) la pertinence économique de leurs propos (adéquation des propositions avec les besoins et contingence du contexte), à 2) la lisibilité de leurs propositions (clarté, détails, transparence, intégration, etc.), à 3) l’efficience des promesses (capacité fiscale du citoyen, coûts administratifs, retombées bénéfiques anticipées, etc.), à 4) la faisabilité des projets et idées mises de l’avant (instruments, échéances, implantation, syndicalisme et tensions) et à 5) la gouvernance dans le contexte de la Tunisie d’aujourd’hui (coordination, cohérence, leadership, confiance et pressions diverses).

Chacune de ces dimensions évaluatives est notée, par chacun des auteurs du texte, du plus faible (0) au plus fort (3). On adopte ici des grilles de mesure nord-américaines de l’analyse de contenu (échelle Likert). Au final, chacun des candidats est noté sur une grille allant de 0 (le plus faible score) à 15 (le plus fort score). Le tableau des scores, figurant ci-dessous, est le fruit de plusieurs itérations et divers arbitrages consensuels impliquant les auteurs et leurs champs de compétences.

Mais, la démarche analytique se base sur le fait que les 3 auteurs de cette chronique ont regardé chacun de son côté les débats (parfois deux fois ou même trois fois), avant de remplir la grille retenue et noter les performances de chacun des candidats. Mais, disons-le tout de suite, la démarche n’est pas sans limites.

La première limite tient au caractère exogène des questions posées, celles-ci sont dictées par les journalistes; le candidat doit répondre uniquement à la question, et ne peut que rarement sortir du cadre fixé.

Certains candidats ont eu plus de chances avec certaines questions à portée économique, alors que d’autres n’ont pas eu cette chance.

L’autre limite a trait à la prise en compte uniquement du discours exprimé par le candidat durant ces débats télévisés, excluant ainsi la prise en compte de l’expérience passée des candidats, dont certains ont occupé des postes de ministres, d’élus ou de leaders politiques.

Le classement des candidats

Les développements présentés précédemment nous permettent de noter les performances des candidats, comme dévoilées lors de ces trois débats. On les a classés en fonction des critères retenus. Le classement obtenu tient compte uniquement des 24 candidats présents lors de ces débats télévisés, excluant de facto deux candidats absents (Slim Riahi et Nabil Karoui).

Les résultats agrégés sont présentés dans ce tableau de synthèse, qui procure des cotes allant de A, pour très bonne prestation, à E pour échec, et passant par trois notes intermédiaires : B, C, D. Ce classement est nécessairement un classement relatif (classant les uns par rapport aux autres) et par un classement absolu, notant chacun par rapport à un standard d’excellence.

Force est de constater que les solutions aux problèmes sociaux économiques dont souffrent la Tunisie, à savoir la transparence dans la gestion des affaires économiques et le rôle vital de la bonne gouvernance (privée et publique) dans le succès de la démocratie Tunisienne n’ont pas reçu une attention particulière de la part de la majorité des candidats. C’est dans ce sens qu’aucun des candidats n’a obtenu 3/3 sur les quatre composantes étudiées. Cela est plutôt surprenant, compte tenu de l’omniprésence de ces sujets dans l’espace médiatique tunisien et dans les discours de tous les jours.

Arrivent en tête du peloton, le trio Fakfakh, Chahed et Zbidi, avec une note de A. Comparativement aux autres candidats, ceux-ci ont fait très bonne figure. Même si le candidat Fakhfakh a été plus explicite et plus centré sur l’urgence économique, les candidats Zbidi et Chahed, malgré leur différence d’âge et de formation, ont montré une pertinence et une lisibilité qui en dit long sur leur connaissance approfondie des dossiers économiques, étant membres du gouvernement depuis belle lurette.

Un quatuor de candidats arrive en deuxième position. Mourou, Marzouki, Jomaa et Said ont développé une rhétorique axée sur l’importance de la concertation politique et les coalitions pour gouverner l’économique. À part Said, un chroniqueur politique, les trois autres ont démontré une proximité de pensée dans la gouvernance et l’importance de l’expérience pour gouverner. Ils sont profanes en économie et adeptes d’un État providence à tout va.

Aidi, Jalloul et Nouri, des experts dans leur domaine d’expertise et très documentés sur les enjeux économiques, décrochent une note de C, soit la limite acceptable pour réussir le test des enjeux économiques comme définis dans notre grille. Ils ont manqué de lisibilité et d’efficience dans la formulation de leurs propositions, souvent axées sur des leviers juridiques (juridisme inefficace), sur plus de contrôle et de commandes par l’État, alors que le pays passe par un endettement sans précédent dans son histoire.

Les quatorze autres candidats se sont partagé la note D, pour indiquer des propositions économiques plutôt faibles à insuffisamment articulées, et la note E, pour indiquer un échec cuisant au regard des préoccupations économiques.

Les sept candidats ayant obtenu la note E ont surtout développé un discours populiste, parfois provocateur et dans l’ensemble générateur de risque pour l’économie et pour les investisseurs nationaux et internationaux.

Au terme de ce «ranking», on peut dire que, de manière générale, trois candidats sur cinq sont très peu outillés pour gouverner les enjeux économiques à titre de président de la Tunisie. Ceux-ci ont occupé l’espace médiatique, inutilement et coûteusement pour la société tunisienne, et pour la course démocratique.

Toute chose étant égale par ailleurs, il est probable qu’au regard de notre ranking, les deux candidats qui seront au second tour font partie des cinq premiers candidats arrivant en tête dans notre classement, principalement axé sur la maturité et la capacité de penser et solutionner les problématiques économiques. Les deux candidats absents des débats n’ont aucune chance de changer la donne, à 3 jours des élections.

Dommage que les femmes ne sont pas suffisamment présentes dans cette élection, dommage aussi que les débats sont restés verbeux et très éloignés des conditions de vie de la Tunisie profonde, cette Tunisie précaire qui a propulsé la révolution du Jasmin …et qui continue de souffrir de l’indigence économique au vu et au su des élus au Bardo, à El Kasbah et à Carthage.

* Universitaires au Canada.

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