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‘‘Avant qu’il ne soit trop tard’’ de Majdi Lakhdar : Une expérience cinématographique inédite

‘‘Avant qu’il ne soit trop tard’’, premier long-métrage de fiction du jeune cinéaste tunisien Majdi Lakhdar, est en ce moment dans les salles de cinéma tunisiennes. Un drame familial filmé en huis-clos, et – pour la première fois dans l’histoire du cinéma tunisien – avec la technique de la caméra subjective.

Par Fawz Ben Ali

Présenté en première mondiale lors d’une séance spéciale dans le cadre des Journée cinématographiques de Carthage (JCC 2019), ‘‘Avant qu’il ne soit trop tard’’ a fait partie de la section parallèle des films hors-compétition et est donc passé malheureusement presque inaperçu au milieu du programme hyper-chargé du festival.

Passé les JCC, le film est sorti en salle et a pu bénéficier d’une meilleure visibilité autant dans la capitale que dans les régions, suscitant des réactions très diverses de la part du public.

Un drame familial aux allures d’un thriller

Il s’agit du premier long-métrage de fiction du jeune photographe et cinéaste Majdi Lakhdar, qui, après des études de cinéma à l’Institut supérieur des arts multimédia de la Manouba (ISAMM) puis la réalisation de quelques courts-métrages, s’est lancé le défi de faire un premier long-métrage. Le projet a pris 9 ans entre écriture, réalisation et production. Le scénario initial a dû subir pas mal de modifications au fil des années, notamment avec l’aide des deux coproducteurs et co-scénaristes du film Soumia Jelassi et Mohamed Ali Ben Hamra.

Le film raconte l’histoire d’une famille qui se bat au quotidien pour joindre les deux bouts, vivant dans une vieille maison menacée de s’effondrer à tout moment. Il y a le père (joué par Raouf Ben Amor) un couturier très taciturne qui refuse de quitter la demeure, la mère (jouée par Rabia Ben Abdallah) femme au foyer asthmatique et lassée de sa condition précaire, et puis les deux enfants : Seif (campé par Majd Mastoura) qui enchaîne les petits boulots pour aider sa famille, et Hajer (interprétée par Salma Mahjoubi) qui s’apprête à passer sa soutenance de fin d’études.

Mis à part les deux scènes du début et de la fin, tout le film se déroule en huis-clos entre les quatre personnages. Le toit finit par s’effondrer, la famille est coincée sans le moindre moyen d’appeler à l’aide et un incendie vient couronner le tout. Le père de famille décide alors d’emmener sa femme et ses enfants à un coin secret au sous-sol qu’il cachait depuis des années et qu’il creusait désespérément à la recherche d’un trésor que son père aurait laissé.

Interrogé sur la genèse du film, le cinéaste a évoqué deux phénomènes qui l’ont inspiré dans l’écriture du scénario, à savoir ce qu’on appelle les «haffara», creuseurs-détecteurs de trésors enfouis, et puis l’effondrement de plus en plus fréquent d’immeubles en manque d’entretien. Mais le film s’attarde aussi très subtilement sur un nombre de sujets, notamment l’effet de la crise économique sur le quotidien des tunisiens, les soucis de communication au sein des familles, ou encore le poids du patriarcat représenté par la figure du père.

La réalisation de ‘‘Avant qu’il ne soit trop tard’’ a nécessité 6 mois de préparation (notamment pour la direction d’acteurs), mais seulement 16 jours de tournage (ce qui représente un exploit pour un long-métrage), et ce, non pas dans un décor de studio, mais dans une vraie maison vieille de 100 ans.

Un huis-clos en caméra subjective

Si le scénario ne vole pas très haut, c’est la technique cinématographique qui fait la force du film et qui – on peut le dire – le sauve. Malgré son jeune âge (32 ans) et bien que ça soit son premier long-métrage, Majdi Lakhdar n’a pas choisi la facilité, il s’est attaqué à un exercice de style extrêmement difficile et risqué autant pour lui que pour les acteurs, à savoir la technique de la caméra subjective, et ce, tout au long du film.

Il faut dire que la nouvelle génération de cinéastes tunisiens n’a pas peur de sortir des sentiers battus et d’explorer de nouveaux univers. Il y a eu ‘‘Dachra’’ d’Abdelhamid Bouchnak – premier film d’horreur dans l’histoire du cinéma tunisien – ; et là on détient notre premier film tunisien filmé en mode caméra subjective. Il s’agit d’un choix de prise de vues où le spectateur adopte le regard de l’un des personnages comme s’il voyait à travers ses yeux. La caméra devient donc le sujet de l’action et son point de vue est celui d’un personnage.

Ce sont des plans réalisés avec une caméra portée, très proche voire collée aux personnages et qui permet plus de suspense et une meilleure identification et implication émotionnelle de la part du spectateur. Le film réussit parfaitement à transmettre cette sensation d’angoisse et d’étouffement dans laquelle se trouvent les personnages, un effet intensifié par cette mise en scène un peu théâtrale de huis clos, qui a beaucoup servi la trame dramatique.

Loin des allusions à la révolution de 2011 qu’on a assez vues et revues dans les dernières productions tunisiennes, ‘‘Avant qu’il ne soit trop tard’’ est un drame familial aux allures d’un thriller qui propose une expérience cinématographique inédite et qui réussit à tenir en haleine le spectateur jusqu’à la fin du film.

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