Nous publions la pétition ci-dessous à propos de l’affaire entre Beya Zardi et Klay BBJ et attirant l’attention sur une vidéo appelant au viol et circulant sur les réseaux sociaux dans l’indifférence générale et le déni judiciaire, politique et médiatique.
Un conflit entre le rappeur Klay BBJ et Beya Zardi (BZ), entamé initialement sur un plateau télé, se poursuit et dégénère rapidement dans l’insulte et la violence sur les réseaux sociaux. Si BZ s’est certes engagée dans des propos méprisants et insultants sur sa page Instagram en réponse au rappeur, ce dernier, en retour, a franchi une ligne rouge en l’a «clashant» en compagnie de son groupe, dans une vidéo, inqualifiable, d’une violence sans précédent qu’il est impossible de passer sous silence.
Au-delà des insanités et des insultes déversées, des plus violentes, des plus dégradantes et des plus humiliantes pour une femme, essentiellement à connotation sexuelle, un pas de plus dans l’abject a été franchi par le rappeur qui, dans ce clip, non seulement appelle à l’agression sexuelle et au viol de BZ mais se délecte dans la description, par le menu détail, de la violence des scénarios de viol auxquels elle pourrait être soumise.
En quelques jours, le clip a bien pu dépasser le million de vues, si l’on compte la version officielle et toutes les copies qui ont circulé. Les commentaires, pour leur majorité, font malheureusement un large écho à cette violence.
Aucune excuse ne saurait justifier le discours violent de haine sexiste
Ce clip s’inscrit tout à fait dans le cadre de la menace et de l’incitation à la violence morale et sexuelle contre les femmes et est, de ce fait, répréhensible au regard de nos textes de loi qui punissent le harcèlement sexuel, l’incitation aux agressions sexuelles et le viol (principalement le code pénal et la loi organique n° 2017-58 du 11 août 2017, relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes).
Aucune excuse ne saurait justifier les paroles de ce clip, ni ce discours violent de haine sexiste qui constitue une violation des droits des femmes et qui se nourrit de la discrimination fondée sur le sexe. Au-delà de BZ auquel le clip était destiné, ce sont toutes les Tunisiennes qui se sont senties concernées, harcelées, agressées, humiliées et menacées dans leur intégrité physique et morale parce que ce clip participe, malheureusement, de la banalisation de la culture dominante qui fait encore la part belle au harcèlement sexuel et au viol, pour qui la femme, passe, avant tout, pour la responsable de son agression, de son harcèlement ou de son viol, jusqu’à, éventuellement, preuve du contraire, et encore.
Le vécu quotidien des Tunisiennes est là justement pour prouver, si besoin est, combien cette culture misogyne qui chosifie et infériorise les femmes, représente un handicap réel pour elles en tant que citoyennes à part entière d’une société où elles aspirent à la réalisation de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dans les droits et les devoirs et à tous les niveaux.
Les menaces de violences sexuelles et de viol, contenues dans ce clip et d’autres qui l’ont suivi, et plus encore les commentaires misogynes et hostiles aux femmes qui les accompagnent ne peuvent être sans conséquences réellement graves sur toutes femmes qui s’y exposent. Ces femmes ne peuvent que se sentir insultées, intimidées, humiliées, agressées et atteintes dans leur intégrité physique et morale et leur dignité de femmes. En réalité, et au-delà des femmes, ce type de discours porte préjudice à toute la société, au rôle et à l’apport des femmes mais aussi des hommes.
Un discours incitant à la violence sexuelle n’est pas une opinion mais un délit
Par ailleurs et quelles que soient les circonstances, un discours incitant à la haine sexiste et à la violence sexuelle ainsi que l’appel au viol d’’ne femme ne peuvent ni ne doivent être considérés comme l’expression légitime de la liberté d’opinion ou d’expression d’une personne, ni être défendus à ce titre. L’«opinion» et la «parole» du harceleur ou du violeur ne peuvent être considérées comme de simples points de vue pouvant banalement bénéficier de la liberté de pensée et d’expression car ils constituent des délits répréhensibles sur le plan pénal, parce qu’ils servent à intimider, rabaisser et, finalement, tenter de réduire les femmes au silence en les exposant au discours de l’humiliation, de la haine et à la menace du viol.
Se taire face à ce type de discours, c’est minimiser l’impact du harcèlement sexuel sur les femmes; c’est banaliser l’appel au viol des femmes, c’est permettre à ces discours de se développer davantage et de permettre le développement du climat d’impunité dont bénéficient encore beaucoup d’agresseurs. La législation existe, elle doit être appliquée.
Depuis presque une semaine de la sortie de ce clip qui appelle clairement au viol, aucun artiste ne s’est exprimé, aucun politique, aucun élu, aucun responsable, rien qu’un silence assourdissant. Silence assourdissant aussi du monde de la musique, alors qu’il y a urgence à agir. Le même silence assourdissant est observé par les autorités qui se doivent, pourtant, d’être garantes de l’application de la loi à tous et partout sur le territoire. L’appel au viol serait-il quelque chose de banal pour expliquer cette inaction ? Les agissements violents, sexistes, et plus globalement tous les comportements discriminants ne sont plus tolérables et doivent être dénoncés et sanctionnés.
Même silence assourdissant des responsables politiques qui ne se sont toujours pas prononcés et ne se prononceront pas, à priori, pour dire stop aux violences, car pour partie, ils sont eux-mêmes empêtrés dans différentes formes de misogynie. Pour ceux qui prônent l’égalité, il faut croire, qu’une fois, les enjeux électoraux passées, ils tournent le dos aux femmes et laissent faire.
Quant aux élus, toutes tendances confondues, ils semblent plus préoccupés par les enjeux de pouvoir et ont déjà tourné le dos à leurs électeurs. A leur adresse, nous rappelons qu’il il ne suffit pas de se donner bonne conscience en votant des lois mais que veiller à leur application c’est encore mieux.
Silence assourdissant également des médias dont certains participent grandement à véhiculer une image dégradante qui infériorise les femmes et les chosifie notamment dans certaines émissions. Le temps est venu pour les média de faire leur révolution égalitaire eux aussi.
Silence assourdissant enfin et encore plus incompréhensible, des associations de femmes et des associations de droits humains…
Seule une centaine de femmes signalent, depuis quelques jours, la vidéo sur la plateforme de Youtube qui a fini par réagir en mettant un simple avertissement, comme si le contenu était destiné à des adultes avertis, mais sans pour autant supprimer la vidéo. Ce qui pose la question de la responsabilité des fournisseurs de plateformes, et la nécessité de codes de déontologie pour garantir une modération plus efficace dans les médias sociaux.
Nous, signataires,
Appelons tous les responsables à prendre, chacun à son niveau, toutes les mesures nécessaires pour dénoncer ce clip abject et cette atteinte à la dignité des femmes et pour mettre fin à ce type de violence et discours de haine à l’égard des femmes.
Vous êtes nombreux et nombreuses à proclamer promouvoir l’égalité mais pour qu’il y ait égalité il faudrait d’abord promouvoir concrètement des changements dans les modes de comportement socioculturel des hommes et des femmes en vue d’éradiquer les préjugés, les coutumes, les traditions et toutes les pratiques qui reposent sur l’idée de l’infériorité des femmes ou sur un rôle stéréotypé des femmes et des hommes et combattre toutes les formes de violences.
Les violences sexistes et sexuelles ne sont ni à banaliser ni à hiérarchiser, elles sont à éradiquer.
Nous interpellons le ministère de la Justice et le ministère public, en particulier, pour se saisir de cette affaire où le harcèlement sexuel et l’incitation publique au viol d’une femme sont aussi manifestes que patents et ce en application de la législation tunisienne en vigueur.
Nous interpellons le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, pour jouer concrètement son rôle dans la défense des droits des femmes et dans la lutte contre la violence à leur encontre, pour obtenir l’interdiction de ce clip notamment destiné à la jeunesse tunisienne et, éventuellement, se porter partie civile en leur nom.
Nous interpellons le ministère des Affaires culturelles pour faire interdire ce clip et prendre ses dispositions afin de contribuer concrètement à la lutte contre la diffusion de ce type de discours via des «produits culturels», notamment à destination des jeunes.
Nous interpellons les médias pour qu’ils n’offrent plus de tribune aux discours misogynes et sexistes portant atteinte aux femmes. Vouloir construire une société égalitaire repose sur le refus de tout discours haineux envers les femmes.
Les mots blessent insidieusement ; la haine tue toujours, tous les jours, au propre comme au figuré. La parole qui tue ne peut être une «liberté» ! La violence est une logique implacable, aux conséquences incontrôlables si on n’y prend garde et elle commence, souvent, par la violence verbale.
Est-ce cela «la Tunisie de demain» que l’on promet aux Tunisiennes et aux tunisiens et que l’on veut léguer aux générations futures??
Signataires :
1) Nadia Chaabane, linguiste et constituante;
2) Zeineb Guehiss, cadre à la retraite;
3) Latifa Lakhdhar, ancienne ministre de la Culture et Auteure;
4) Chérif Ferjani, universitaire et écrivain;
5) Amel Grami, universitaire et auteure;
6) Neyla Jrad, enseignante, retraitée;
7) Monia Ben Jemia, professeure de droit;
8) Abir Krifa, sociologue;
9) Najet Mizouni, professeure de droit;
10) Mohamed Smida, juriste;
11) Hejer Chraiti, doctorante en psychologie;
12) Dora Cherif, universitaire;
13) Nora Essafi, enseignante, retraitée;
14) Ayda Ben Chaabane, enseignante;
15) Souad Harrar, chargée de médiation culturelle;
16) Samia M’Timet, ingénieur;
17) Nessim Brn Gharbia, journaliste;
18) Amine Lahmar, ingénieur;
19) Fathia Saidi, universitaire;
20) Sonia Hamza, ingénieur des services culturels;
21) Jouda Bakir, cadre à la retraite;
22) Amira Yaakoubi, médecin;
23) Bochra Kammarti, doctorante en sociologie;
24) Leila Mlaiki Abdeljaoud, enseignante et écrivaine;
25) Zakia Hamda, activiste;
26) Brigitte M’timet, professeure en médecine à la retraite;
27) Samia Chaabane Abid, orthophoniste;
28) Sabeur Abbes, consultant;
29) Nadia Ayadi, ingénieur;
30) Walid Larbi, juriste;
31) Claudette Ferjani, cadre à la retraite;
32) Saloua Guiga, enseignante à la retraite.
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