La «visite-surprise» du président turc Recep Tayyip Erdogan, hier, mercredi 25 décembre 2019, en Tunisie, a suscité, une certaine gêne, et c’est le moins que l’on en puisse dire, et beaucoup d’interrogations. Et pour cause…
Par Hichem Skik *
La gêne vient d’abord du comportement arrogant du président turc, qui se permet de faire des remarques désobligeantes et déplacées sur le comportement des journalistes, comme sa demande d’arrêter de fumer.
Fumer dans de telles circonstances est effectivement incorrect, mais la discipline dans le lieu de la conférence de presse incombe exclusivement aux organisateurs et au pays hôte, et l’intervention intempestive d’Erdogan est malvenue, voire grossière vis- à -vis de son hôte, le président de la République tunisienne.
M. Erdogan a manqué de respect à ses hôtes
J’avoue, d’ailleurs, que la réplique de ce dernier (dont la passivité tout le long de la rencontre était navrante, se contentant pratiquement de donner la parole), qui se voulait humoristique, était pour le moins maladroite, avec cette histoire d’odeur de cuisine, d’huile d’olive (c’est comme si un de vos invités se permettait de s’adresser aux autres invités leur disant: «Ça ne sent pas bon ici» et que vous lui répondiez: «C’est l’odeur de la cuisine»).
Je regrette, mais cela rappelle la remarque tout aussi désobligeante de l’ex-émir du Qatar qui se vantait d’apprendre à notre ancien président Moncef Marzouki la manière de se tenir lors d’une cérémonie officielle!
À ce propos, on ne peut, à cet égard, qu’être choqué par la manière avec laquelle Erdogan est passé des questions politiques à des questions «économiques» – de détail : huile, dattes… au lieu de celles, plus fondamentales, comme le déséquilibre flagrant de la balance commerciale entre nos deux pays en faveur de la Turquie ! – Cela peut donner l’humiliante impression qu’il s’agit d’une compensation qu’on nous accorderait en échange d’un éventuel soutien sollicité, une sorte de… marchandage, même!)
L’aspect le plus gênant est politique et réside dans le fait qu’un chef d’Etat se permet de critiquer – voire d’attaquer – un ou des pays tiers (Grèce, Union européenne…) à partir du territoire d’un pays hôte qui n’est pas concerné (affirme-t- il) par la question abordée. C’est un manque de respect évident pour le pays hôte ainsi impliqué malgré lui dans un conflit avec des pays tiers, qui peuvent interpréter cela comme un accord implicite avec ces attaques.
Notre droit à des réponses convaincantes
Les interrogations concernent d’abord la «visite-surprise»: surprise pour qui? Pour le peuple et la presse tunisiens, c’est évident. Mais pour les autorités tunisiennes? Au fait, qui a été à son origine? En déclarant, à l’ouverture de la conférence de presse que le président turc «a fait de cette visite une réunion de travail», Kais Saied dit indirectement que c’est Erdogan qui l’a décidée. Mais ce dernier «remercie le président Kaïs Saïed pour son invitation». Sur le plan diplomatique et politique, on sait que la question de «la partie invitante» peut avoir de l’importance…
Sur le fond, les interrogations sont légion et méritent plus de développements. Elles portent, globalement, sur l’objet réel de cette visite, au vu de la composition de la délégation accompagnant Erdogan, sur la position de notre pays sur la situation en Libye, la guerre que s’y livrent différentes parties, le rôle que s’y donnent la Turquie et la Tunisie, les interlocuteurs libyens et/ou étrangers que notre pays choisit de se donner. Est-il normal que la Turquie demande à des pays étrangers, comme l’affirme Erdogan, de faire participer la Tunisie aux rencontres de Berlin sur la Libye? Qui décide de la politique étrangère de notre pays sur des questions aussi vitales que les rapports avec la Libye, en proie à des soubresauts et des appétits qui mettent en danger la paix et la stabilité dans notre région? Qu’est venu Erdogan chercher à obtenir du président Saied? Que prépare t- il?
Autant de questions qui se posent, avec d’autres, et auxquelles nous avons le droit, en tant que citoyens, d’avoir des réponses convaincantes.
* Universitaire et militant politique.
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