Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a opté pour le changement dans la continuité en formant le premier gouvernement ouvrant son premier mandat présidentiel.
Par Hassen Zenati
On attendait avec curiosité le nom de l’homme qui prendrait en charge le ministère de la Défense, poste clé du gouvernement algérien : civil ou militaire, de plein exercice ou par délégation.
Pour son premier gouvernement depuis son élection, dirigé par un universitaire, Abdelaziz Djerad, le président Abdelmadjid Tebboune a choisi de revenir à une tradition solidement établie depuis la renversement de Ahmed Ben Bella par le colonel Houari Boumédiène en 1965 : c’est le chef de l’Etat, chef des armées, qui occupera personnellement le portefeuille de la Défense nationale. Il aura notamment sous sa tutelle directe le chef d’état-major, le général Saïd Chengriha, qui attend d’être confirmé dans ses fonctions héritées de feu le général Ahmed Gaïd Salah, l’homme fort du régime pendant près de quinze ans, terrassé par une soudaine crise cardiaque à l’orée de son 80e anniversaire (13 janvier 2020).
M. Tebboune a même renoncé à nommer un militaire au poste de vice-ministre de la Défense, comme l’avait fait le président déchu Abdelaziz Bouteflika, qui, frappé d’un AVC, a choisi de se décharger partiellement de ses tâches à la Défense en s’adjoignant un vice-ministre, Ahmed Gaïd Salah.
Une nouvelle avancée vers l’installation d’un état civil
En réalité, ce dernier a fini par imposer son autorité pour occuper la totalité du poste, à l’ombre du président impotent. Il a été pendant dix mois aux manettes, intransigeant sur le respect des processus constitutionnels de passage du pouvoir, face à un «hirak» (contestation de rue) qui a fini par réclamer ouvertement sa tête sans le faire plier.
Le choix d’Abdelmadjid Tebboune est loin d’être neutre. Il répond au moins partiellement à une revendication récurrente du «hirak» depuis plus de dix mois: «un état civil et non militaire». La plupart des observateurs s’attendent d’ailleurs à ce que dans une nouvelle avancée vers l’installation d’un état civil, les services de renseignement et les services judiciaires de l’armée, qu’Ahmed Gaïd Salah avait placés sous la tutelle de l’état-major, retournent désormais sous l’autorité directe du chef de l’Etat.
Des ministres du gouvernement de transition nommé au pied levé par Abdelaziz Bouteflika avant de démissionner et après avoir renoncé à se porter candidat pour un cinquième mandat, quelque uns seulement ont échappé au naufrage, après avoir subi la pression de la rue.
Sabri Boukadoum, diplomate de carrière, ancien représentant de l’Algérie à l’Onu, reste aux Affaires étrangères, Belkacem Zeghmati, cheville ouvrière de l’opération «mains propres» visant une «oligarchie» politico-financière composée de plusieurs dizaines de ministres, de cadres supérieurs de l’Etat et des chefs d’entreprises, est maintenu à la Justice, Kamel Beljoud, est promu à l’Intérieur, Mohamed Arkab, président de l’Organisation des pays exportateurs du pétrole (Opep) garde l’Énergie, et Cherif Omari se maintient à l’Agriculture. Il faut mentionner aussi trois revenants qui avaient travaillé avec Bouteflika avant de rompre les amarres : Hassan Mermouri retrouve le portefeuille du Tourisme et Sid Ahmed Ferroukhi celui de la Pêche et Farouk Chiali, celui des Travaux publics et des Transports. Experte des télécommunications, la jeune ministre Houda Feraoun, subit le contrecoup de sa grande proximité controversée de Saïd Bouteflika, frère et conseiller du président déchu. Elle quitte le gouvernement en cédant les Technologies de l’information et de la communication (TIC) à Brahim Boumzar, cadre du secteur.
Trois figures de la société civile font leur entrée es-qualité au gouvernement. Ingénieur de génie chimique, docteur en sciences et professeur à l’Ecole nationale polytechnique d’Alger, Chemseddine Chitour est un fervent partisan de la transition énergétique et d’une révision des subventions sur les carburants qui bénéficient aux usages les plus riches, ainsi que la création d’une «vignette verte» pénalisant les véhicules polluants. Il est nommé ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ce qui devrait lui permettre de promouvoir des réformes renforçant le rôle des sciences dans les formations à l’université.
Ferhat Aît Ali, fiscaliste, expert financier, de tendance libérale, prend en charge l’Industrie, qui souffre d’un défaut de stratégie, de désinvestissement et d’une gestion incertaine.
Ammar Belhimer, ancien journaliste, docteur en droit public, est placé à la communication et devient ainsi le porte-parole officiel du gouvernement, pendant qu’un ancien collègue, lui aussi, Mohammed Oussaïd Belaïd, qui a été chargé de la communication présidentielle avec le titre de ministre-conseiller.
Aucun représentant du «hirak» dans le nouveau gouvernement
La nouvelle équipe gouvernementale ne compte en revanche aucun représentant du «hirak» : l’ancien Premier ministre de Bouteflika, Ahmed Benbitour, proche des contestataires, aurait décliné l’offre d’entrer dans l’exécutif, selon la presse algérienne. Il attendrait de la part du chef de l’Etat des «gestes d’apaisement» en faveur du «hirak» pour s’engager à ses côtés. Selon des indiscrétions, il pourrait alors occuper le poste de ministre conseiller en charge de la réforme institutionnelle, qui figure en tête des priorités présidentielles. M. Benbitour, docteur en sciences économiques, titulaire d’un MBA en administration des affaires et d’un DEA en calcul de probabilité de l’Université de Montréal (Canada), est l’auteur d’un livre très critique sur son expérience de la gouvernance algérienne sous Abdelaziz Bouteflika, qu’il dénonçait comme une dérive vers le pouvoir personnel.
Malgré la «main tendue» par le président Tebboune, l’appelant à un dialogue ouvert, le «hirak» est resté prudent. Il a décidé de poursuivre ses marches hebdomadaires pour faire pression sur les autorités en maintenant sa revendication principale : «le départ du système». Ses postures ont déclenché une vive controverse en son sein entre «dialoguistes» et «non-dialoguistes».
Le chef de l’Etat compte multiplier les gestes d’ouverture mesurée pour faire basculer la balance en faveur des «dialoguistes». Soixante seize détenus du «hirak» ont ainsi vu leur peine allégée, ce qui leur a permis de retrouver la liberté. Parmi eux deux figures de l’establishment politique et militaire : le commandant de l’ALN Lakhdar Bouregaa et le général de l’ANP à la retraite Hocine Benhadid.
Diversifier l’économie trop dépendante des recettes de l’énergie
Le gouvernement d’Abdelaziz Djerad, ancien directeur de l’Ecole nationale d’administration (ENA), ne compte aucun super-ministère et pas de ministère de l’Economie, une «anomalie», selon des analystes algériens, qui l’expliquent par la volonté des autorités de «cloisonner» les secteurs économiques.
La relance de l’économie et la mise sur pied d’un «nouveau modèle» pour diversifier l’économie nationale tributaire depuis des décennies des seuls revenus des hydrocarbures (90% de recettes extérieures et 65% de la fiscalité), figurent parmi les priorités du président Tebboune.
L’agriculture, l’industrie et le tourisme devraient être les moteurs essentiels de la relance à venir. Les trois secteurs demandent cependant à être sérieusement repris en main, en y associant investisseurs privés algériens et étrangers, après avoir subi pendant longtemps les oukases d’une gestion administrative qui s’est avérée déficiente : malgré les «assainissements» financiers successifs, les entreprises publiques enregistrent d’année en année des déficits records, sans améliorer leur productivité ni la qualité de leurs produits. Le formidable potentiel touristique du pays – notamment le tourisme saharien – devrait procurer rapidement des recettes abondantes en devises et compenser partiellement le recul des recettes d’hydrocarbures : baisse des prix tendancielles sur le marché international, explosion de la consommation domestique – notamment en gaz de ville – et tarissement progressif des gisements nationaux.
Le nouveau gouvernement compte 39 membres, dont 5 femmes seulement, 7 ministres délégués et 4 secrétaires d’État. Le plus jeune ministre est âgé de 26 ans. Il doit présenter son programme d’action dimanche au conseil des ministres et le présenter dans la semaine aux deux chambres du Parlement.
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