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Algérie : Abdelaziz Jerad, un Premier ministre en dehors des cercles familiers du pouvoir

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a déjoué tous les pronostics en confiant à un «illustre inconnu», Abdelaziz Jerad, la tâche de former le premier gouvernement post-hirak. Une façon de se rapprocher de ce dernier et d’affirmer sa propre autorité à l’aube d’un mandat qui s’annonce difficile.

Par Hassen Zenati

Bousculé par le temps alors que la rue a poursuivi ses grondements vendredi, le président Abdemadjid Tebboune a sorti de son chapeau une personnalité inattendue, un «illustre inconnu», selon l’expression consacrée, auquel il a confié la tâche de former le premier gouvernement post-hirak.

Abdelaziz Jerad, 65 ans, natif de Kenchela dans le massif des Aurès, à 400 kms à l’est d’Alger et 100 kms à l’est de Batna, n’est pas très connu au sein dans la classe politique algérienne, bien qu’ayant occupé des postes importants au sein de l’Etat.

Le parcours d’un technocrate au-dessus de tout soupçon

Docteur en sciences politiques de l’Université de Paris Nanterre, il entre au Palais d’El Mouradia, siège de la Présidence de la République, en qualité de conseiller diplomatique du président de la direction collective, le Haut Comité d’Etat (HCE), le colonel de l’Armée de Libération Nationale (ALN), Ali Kéfi, après la destitution en douceur du président Chadli Bendjedid par les généraux «janvieristes» en 1991. Il sera nommé ensuite Secrétaire général de la Présidence par le général Liamine Zéroual, qui venait d’être élu pour prendre la suite du HCE.

Membre du Bureau Politique (BP) du Front de Libération Nationale (FLN), au début de l’ère de Abdelaziz Bouteflika, sous la direction de Ali Benflis, il en a été écarté en 2003, subissant le sort de son «mentor», candidat malheureux au dernier scrutin présidentiel en 2019, après l’avoir été à deux reprises face au président déchu. Il sera également évincé de son poste de secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Professeur des relations internationales à la faculté d’Alger et à l’Ecole nationale d’administration, il dirigera cette dernière pendant cinq ans, tout en se consacrant à la rédaction de plusieurs ouvrages spécialisés.

En 2016, Abdelaziz Jerad tente un retour au FLN en crise, en qualité de membre du Comité Central, mais il ne tardera pas à le quitter ne se trouvant pas d’atomes crochus avec le Secrétaire national d’alors Djamal Ould Abbès, proche de Bouteflika. Oul Abbès est détenu actuellement à la prison civile d’El Harrach sous plusieurs chefs d’accusations.

Prise de distance vis-à-vis d’un «hirak» devenu nihiliste

Pris de court par l’émergence du «hirak», il appelle dans un premier temps les autorités à négocier avec les manifestants pour une sortie consensuelle de la crise, mais, il est vite dérouté par l’attitude «nihiliste» des protestataires qui refusent de désigner des représentants à un quelque dialogue que ce soit avec le gouvernement en place, en réduisant leurs revendications à un slogan unique : «Yetnahaou Gaa» (Qu’ils s’en aillent tous). «Quand on constate qu’il y a des slogans qui remettent en cause la direction de l’armée et l’institution militaire, et une violence extraordinaire sur les réseaux sociaux sans qu’il y ait aucune proposition pour trouver une solution à la crise, tout cela suscite des réactions négatives», tranche-t-il. Cette prise de distance a sans doute joué en sa faveur au moment du choix.

La surprise du chef…

Pour Abdelmadjid Tebboune, qui récolte quelques uns des lauriers décernés à l’occasion des funérailles nationales et populaires de son mentor, le général Ahmed Gaïd Salah, la nomination d’un Premier ministre en dehors des cercles familiers du pouvoir et sans en référer au FLN et à son frère-ennemi le RND, qui détiennent la majorité à l’Assemblée nationale, était une occasion d’affirmer sa propre autorité. Une rumeur persistante courait les allées du pouvoir jusqu’au décès d’Ahmed Gaïd Salah, selon laquelle le poste de Premier Ministre reviendrait au ministre de Affaires Etrangères, Sabri Boukaddoun, qui l’assure par intérim depuis la démission de Noureddine Bedoui, le jour même de l’intronisation du nouveau président de la République.

Parmi les postes les plus délicats qui seront à pouvoir au sein du nouveau gouvernement, celui de ministre de la défense est le plus délicat. La nomination échappe au Premier ministre pressenti, et dépend partiellement seulement du chef de l’Etat lui même. Il lui faut la négocier avec les chefs militaires, pointilleux quand il s’agit de leur champ de compétence.

Depuis la chute du président Ahmed Ben Bella en 1965, ce portefeuille revenait de facto au chef de l’Etat, Houari Boumediene, d’abord, puis Chadli Bendjedid. Ce dernier a cependant consenti à la fin de son dernier mandat, à le céder au général Khaled Nezzar, chef d’état-major de l’ANP. Abdelaziz Bouteflika remettra les pendules à l’heure en reprenant la main sur le Tagarin, siège du ministre de la Défense, mais, terrassé par un AVC, fatigué, à bout de forces, il sera poussé à désigner un vice-ministre de la Défense, occupant en même temps les fonctions de chef d’état-major. Ce sera le général Ahmed Gaïd Salah. Depuis 2013, il était le ministre de fait de la Défense, sans jamais le dire, ni même le laisser entendre, respectant ainsi l’ordre constitutionnel.

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