Après s’être réjoui du camouflet infligé avant-hier, vendredi 10 janvier 2020, à Ennahdha par le rassemblement de députés du camp dit moderniste (comportant malheureusement, lui aussi, des députés controversés) sachons raison garder et anticiper les réactions des mauvais perdants en se préparant à éviter une énième déception.
Par Sémia Zouari
Toutefois, il y a une victoire dont tous les Tunisiens doivent se réjouir c’est celle du respect du processus démocratique. C’est tout à l’honneur de la Tunisie qu’il y ait une opposition politique non-violente, sans vengeance et sans revanche, car les islamistes nous promettent sur les réseaux sociaux des lendemains qui déchantent…
Heureusement pour la Tunisie, les rivalités politiques peuvent s’exercer hors des confrontations militaires et des coups d’Etat, avec la meilleure arme, celle du vote responsable et citoyen.
Ennahdha et son président en sortent, provisoirement vaincus. Ils doivent tirer plusieurs leçons de cette déconvenue et garder à l’esprit que nul ne saurait reproduire les méthodes totalitaires des dictatures sans s’attirer la vindicte populaire et la mobilisation de la société civile tunisienne, seule véritable force politique légitime et incorruptible du pays.
Première leçon : les déclarations triomphalistes des leaders nahdhaouis, à l’issue du processus électoral législatif d’octobre 2019, entaché d’irrégularités et de soupçons de fraude massive, ont laissé planer la crainte de voir s’installer une nouvelle dictature encore plus perverse que les précédentes, puisqu’elle instrumentalise la religion et prétend quadriller le pays via le réseau des mosquées et des structures administratives noyautées par les islamistes.
Seconde leçon: il n’est pas réaliste ni juste de biaiser la véritable lutte contre la corruption par l’instrumentalisation politicienne à outrance de la justice, pour racketter les hommes d’affaires, faire taire les voix discordantes, éliminer les rivaux politiques ou déshonorer les hauts fonctionnaires qui refusent de se conformer aux injonctions politiciennes.
Troisième leçon: commencer par faire sa propre révolution en renonçant à reproduire les fautes de la dictature : présidence à vie, népotisme et favoritisme, achat des votes et subornation des vulnérables, bourrage d’urnes et traficotage des processus électoraux, noyautage des centres de décisions, dictature de la pensée unique et persécution des opposants.
Quatrième leçon: la politique de ré-islamisation d’un pays musulman via notamment une milice des mœurs terrorisant les non-pratiquants est rejetée en masse car elle procède de méthodes néo-fascisantes dignes des dictatures.
Cinquième leçon: le projet de domination dictatoriale du pays via un appareil secret de surveillance générale des Tunisiens (alliant les nouvelles technologies de l’information et de la communication aux prérogatives de la police judiciaire et de la police technique) ne vise qu’à détruire le ministère de l’Intérieur et à s’arroger ses prérogatives de souveraineté.
Sixième leçon: inutile de chercher à imposer à Kaïs Saïed une nouvelle candidature de chef de gouvernement crypto-islamiste, présenté sous l’étiquette mensongère de «technocrate» car elle ne manquera pas d’être dénoncée par les réseaux sociaux. L’administration tunisienne regorge de lanceurs d’alerte connaissant les dessous politiciens de certains ministres «technocrates» multipliant les apparitions médiatiques et commanditant les articles à leur gloire. Ces crypto-islamistes masqués de modernité n’ont pas manqué de persécuter de hauts fonctionnaires, voire de leur fourguer des procès en malversations uniquement pour avoir ouvertement refusé de se plier aux directives pro-islamistes
Septième leçon: toute instrumentalisation du terrorisme ou des mouvements sociaux du type Kamour et autre, toute menace de «brûler le pays», ne manquerait pas de susciter le rejet massif de l’opinion publique tunisienne
Huitième leçon: il est primordial de contrôler, par anticipation, une éventuelle aile dissidente, tentée de reproduire le scénario de Ben Guerdane (ville du sud-est tunisien attaquée le 7 mars 2016 par un groupe terroriste armé infiltré de la Libye voisine, Ndlr), à la faveur du conflit libyen et d’un mouvement d’attaque des milices islamistes présentes sur le territoire libyen
Neuvième leçon: Rached Ghannouchi (président du parti islamiste Ennahdha et de l’ARP, Ndlr) doit se montrer responsable et démissionner car il est responsable de l’échec de son parti et de la désaffection des Tunisiens.
Dixième leçon: une autre génération de dirigeants devrait prendre les rênes d’Ennahdha. Elle piaffe d’impatience et veut donner une autre orientation politique en faisant table rase du passé de ses dirigeants fondateurs, c’est un mythe œdipien fatal et non de l’ingratitude. Le pouvoir use les dirigeants trop âgés. L’abus de faiblesse et l’aveuglement pourraient les livrer aux pires tentations népotiques voire aux privilèges dynastiques au profit de leur propre progéniture
En conclusion: Ennahdha doit saisir la chance de se séculariser et de devenir un parti politique moderne inscrit dans la contemporanéité. Il doit sortir de la logique de la secte, s’extraire de la matrice de l’internationale islamiste des Frères musulmans, rompre avec l’allégeance à la Sublime Porte, renoncer aux financements étrangers et se tunisifier. Cesser toute accointance avec les réseaux mafieux de la contrebande et du pillage des ressources naturelles
De son côté, le camp dit moderniste doit s’unifier et se solidariser. Rompre avec les liens de l’ancien régime, des financements mafieux en cessant notamment de laisser faire la contrebande.
Quant à Kaïs Saïed, il doit résister au harcèlement du camp islamiste et imposer son indépendance en gardant à l’esprit sa vision de la lutte pour l’intégrité du processus démocratique transitionnel hors des tiraillements politiciens.
Dernier acteur de la transition démocratique et non des moindres, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) doit reprendre son rôle historique et chasser les mafieux qui la déshonorent en toute impunité en participant au pillage du pays sous couvert de militantisme syndical.
* Diplomate.
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