On est en droit de s’interroger sur les raisons de la non-participation de la Tunisie, pays limitrophe de la Libye, à la Conférence de Berlin sur le conflit libyen, qui s’ouvrira dimanche prochain, 19 janvier 2020, dans la capitale allemande. Cette non-participation tient davantage d’une exclusion délibérée que d’un oubli de la part de la chancelière allemande Angela Merkel.
Par Imed Bahri
Pays frontalier de la Libye (qui a vécu toutes les vicissitudes de la crise libyenne depuis 2011, et notamment la gestion des flux de réfugiés), présidente en exercice de la Ligue des Etats arabes et membre du Conseil de sécurité des Nations unies (depuis le 1er janvier de cette année), la Tunisie est censée prendre une part active à cette Conférence de Berlin, à laquelle sont pourtant invités des pays comme les Emirats arabes unis, l’Egypte, l’Algérie, ou encore, plus lointains, comme la Russie, la Chine et la Turquie.
Le poids de la Tunisie sur la scène internationale
«La non participation (pour ne pas dire l’exclusion) de la Tunisie (présidente en exercice de la Ligue des Etats Arabes et représentante des pays arabes au Conseil de sécurité des Nations Unies) à la Conférence de Berlin sur la Libye, pays limitrophe, doit nous inciter a nous poser de nombreuses questions sur notre rôle et notre poids sur la scène internationale ainsi que sur l’état de nos relations bilatérales avec l’Allemagne», a écrit le diplomate Elyès Kasri, ancien ambassadeur de Tunisie en Inde, au Japon et en Allemagne, dans un post sur sa page Facebook, hier, jeudi 16 janvier.
«Les Allemands agissant d’habitude rationnellement; cette décision nécessite une profonde introspection et réévaluation de notre part», ajoute le diplomate, qui évoque son «obligation de réserve» pour ne pas «en dire plus», laissant entendre par là que la diplomatie tunisienne est, en partie, responsable du fait que la chancelière Merkel n’ait pas jugé nécessaire de lancer également une invitation au président de la république tunisienne Kaïs Saïed, et que cela tient beaucoup plus d’une «volonté d’exclusion» que d’un simple oubli ou erreur d’appréciation de la part des autorités de Berlin.
Et si c’était là un message politique adressé par Berlin à Tunis ayant valeur d’avertissement sur une possible révision des relations bilatérales?
Les conséquences de l’affaire Moncef Kartas ?
Une autre question se pose à ce propos : l’affaire de l’emprisonnement, en avril dernier, de Moncef Kartas, l’expert onusien allemand d’origine tunisienne, accusé d’espionnage par la justice tunisienne, charge qualifiée de «douteuse» par Berlin, qui exigea alors sa libération immédiate et l’abandon des charges retenues contre lui… cette affaire a-t-elle jeté une ombre sur les relations tuniso-allemandes ?
Il convient de rappeler ici qu’au moment de son arrestation, M. Kartas était en train d’enquêter, pour le compte de l’Onu, sur les trafics d’armes, à partir de la Tunisie, au bénéfice des groupes islamistes armés libyens. Simple coïncidence ou ceci explique-t-il cela ?
Quoi qu’il en soit, et en l’absence d’explication officielle de la non-invitation de la Tunisie à la Conférence de Berlin consacrée au conflit libyen, c’est Tunis et, plus précisément, la présidence de la république (en attendant la nomination d’un nouveau ministre des Affaires étrangères) qui doit réagir au plus vite pour tenter de dissiper tout malentendu si malentendu il y a et relancer les relations tuniso-allemandes sur la base d’une clarté retrouvée.
D’ailleurs, le juriste et analyste politique Chedly Mamoghli explique la non-participation de la Tunisie à la Conférence de Berlin par ce qu’il a qualifié de «torpeur diplomatique» tunisienne.
«Si un chef d’Etat choisit la torpeur diplomatique, il s’isole, isole son Etat et ses intérêts. On s’impose par son action et son dynamisme et on s’efface par sa torpeur. Un chef d’Etat qui n’impose pas son pays, personne ne viendra le chercher», explique-t-il dans un post Facebook, qui résonne comme une critique limpide de l’immobilisme diplomatique du président Kaïs Saïed.
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