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Prochaine adoption des IFRS en Tunisie : capitaliser sur l’expérience saoudienne

Le 16 avril 2019, le ministre tunisien des Finances, Ridha Chalghoum, annonçait l’inévitable prochaine adoption des normes internationales d’information financière en Tunisie (IFRS) à partir de 2021. Cette tribune a pour vocation de fournir un témoignage récent d’une initiative similaire dont j’ai été témoin en Arabie Saoudite.

Par Hédi Regaya *

Ayant pour dessein d’attirer les investisseurs étrangers, le Royaume d’Arabie Saoudite (le «Royaume»), dont l’économie est particulièrement tournée vers les échanges internationaux, décide d’adopter les normes internationales d’information financière (International Financial Reporting Standards ou IFRS ou «Normes internationales») en 2012. **

En effet, les IFRS sont le langage comptable internationalement reconnu pour la préparation de l’information financière utile à la prise de décision (essentiellement des investisseurs). Ceci est d’ailleurs stipulé par l’International Accounting Standard Board (IASB) qui dispose dans la norme IAS 1 («Présentation des états financiers») que l’application des IFRS, accompagnée de la présentation d’informations supplémentaires lorsque nécessaire, est présumée conduire à des états financiers qui donnent une image fidèle.

Le processus d’adaptation des IFRS au contexte saoudien

L’adoption des IFRS devenait obligatoire pour les sociétés cotées au Saudi Stock Exchange (Tadawul) à compter du 1er janvier 2017 tandis que les autres sociétés étaient dans l’obligation d’adopter les IFRS à compter du 1er janvier 2018.

Le projet de conversion aux IFRS (le «Projet») était mis sous la supervision de la Saudi Organisation for Certified Public Accountants (Socpa, homologue saoudien de l’Ordre des experts comptable en Tunisie) par le ministère du Commerce (dont il relève).

Avant l’avènement du projet d’adoption des normes IFRS, le Royaume appliquait des normes comptables locales, produites par la Socpa, largement inspirées des normes comptables américaines (US GAAP) avec une possibilité d’application des IFRS pour les thèmes non couverts par ces mêmes normes locales. Cependant, les banques et sociétés d’assurance appliquaient déjà les normes IFRS telles que publiées par l’IASB.

La Socpa (qui est également le «Normalisateur» comptable) fût alors mandatée en 2012 par le ministère du Commerce de produire un nouveau référentiel comptable basé sur les normes IFRS telle que publiées par l’IASB (ce projet ne concernait pas les banques et assurances qui appliquaient déjà les normes comme indiqué précédemment). Ce processus impliquait la revue, une à une, des normes et des interprétations de normes, de les adapter aux spécificités du pays.

Ce processus a abouti à de mineures modifications aux normes IFRS telles que publiées par l’IASB, notamment afin de refléter l’application de la charia’a (zakat) et à de mineures informations supplémentaires à fournir.
À l’issue de ce processus, la Socpa dote le Royaume de ses nouvelles normes comptables désignées «IFRS as endorsed by Socpa in the Kingdom of Saudi Arabia» (ou, autrement dit, les IFRS telles que approuvées par la Socpa en Arabie Saoudite).

Projets d’assistance de conversion aux IFRS

C’est dans ce contexte que je décidais en novembre 2016 de me rendre en Arabie Saoudite afin d’intervenir en tant que consultant au sein de la firme PwC a des projets d’assistance de conversion aux IFRS. Arrivé en décembre 2016, j’ai eu l’opportunité d’intervenir sur plusieurs projets de conversion au profit de sociétés cotées en Bourse.

Une première adoption des IFRS nécessite l’application de la norme comptable IFRS 1 (première application des Normes internationales d’information financière) ayant pour objectif de permettre la préparation d’un premier jeu d’états financiers comme si que le premier adoptant avait toujours appliqué le référentiel international. IFRS 1 requiert, notamment, d’un premier adoptant de:

• préparer un bilan à trois colonnes (un bilan en fin de période, un bilan arrêté à la fin de la période comparative et à l’ouverture de la première période comparative. Cette dernière étant la «Date de transition». À titre d’exemple, pour une société cotée en Bourse en Arabie Saoudite, il était nécessaire de présenter un bilan au 31 décembre 2017, au 31 décembre 2016 et au 1 janvier 2016);

• présenter dans les notes aux états financiers une réconciliation à la Date de transition et à la période comparative entre les états financiers présentés en normes locales et en normes IFRS (il s’agit d’un tableau de passage à trois colonnes et parfois à quatre présentant les soldes en référentiel local dans une première colonne, les retraitements IFRS ensuite, rarement une troisième colonne correspondant aux corrections d’erreurs identifiées lors de la conversion et une quatrième colonne où figure le total des trois premières colonnes – aboutissant donc aux soldes en IFRS);

• présenter les exceptions et les exemptions appliquées par le premier adoptant pour la préparation de ces premiers états financiers conformément aux normes IFRS. En effet, la norme IFRS 1 propose un certain nombre d’exceptions «obligatoires» (opérations, événements ou transactions pour lesquelles un premier adoptant ne doit pas appliquer les normes IFRS comme si elles avaient toujours été appliquées) et les exemptions «facultatives» (opérations, événements ou transactions pour lesquelles un premier adoptant peut ne pas appliquer les normes IFRS comme si elles avaient toujours été appliquées).

Superviser les progrès et faciliter l’application des IFRS

Le rôle de la Socpa ne s’arrêtait pas à la seule production des IFRS telles que approuvées par la Socpa en Arabie Saoudite. En effet, le Normalisateur supervisait les progrès accomplis et, lorsqu’il était nécessaire, publiait des circulaires ayant pour objectif de faciliter l’application des IFRS ou d’arbitrer sur certains thèmes pour lesquels un consensus devait être établi (notamment entre les préparateurs des états financiers et leurs auditeurs). L’une des plus notables étant la subtile circulaire relative aux immobilisations en état d’exploitation totalement amorties (dont la valeur comptable était nulle) à la date de transition.

Plusieurs entités appliquaient l’approche par composante pour la première fois lors de leur première application des IFRS mais révisaient également la durée de vie des immobilisations à la date de transition (car appliquaient une durée de vie «fiscale» tel qu’il est le cas actuellement en Tunisie en application du Décret n° 2008-492 du 25 février 2008 «fixant les taux maximum des amortissements linéaires et la durée minimale des amortissements des actifs exploités dans le cadre des contrats de leasing et la valeur des actifs immobilisés pouvant faire I’objet d’un amortissement intégral au titre de I’année de leur utilisation».

Par référence aux critères de la norme IAS 8 («Méthodes comptables, changements d’estimations comptables et erreurs») et aux normes comptables locales, la Socpa aboutissait alors à la conclusion que de telles révisions aux durées de vie utiles et valeurs résiduelles comme étant des corrections d’erreurs comptables et non retraitements IFRS (ce qui, fort probablement, pourrait également être le cas en Tunisie).

Une autre circulaire de la Socpa considérait l’application pour la première fois de l’approche par composantes (comptabilisation séparée des éléments d’une immobilisation lorsque leur coût est significatif et lorsque leur durée de vie est significativement différente du reste des éléments d’une immobilisation, nous pouvons citer l’exemple classique des réacteurs d’un avion et de la cabine) comme une correction d’erreur dans la mesure où cette approche existe en normes locales mais aussi que le référentiel local exige l’application des IFRS pour les thèmes non traités en référentiel local.

Protéger le marché des capitaux d’une éventuelle bulle

La Capital Markets Authority (homologue saoudien du Conseil du marché financier «CMF» en Tunisie) supervisait également de son côté le Projet dans l’intérêt de protéger le marché des capitaux d’une éventuelle bulle suite à l’adoption des IFRS. C’est ainsi que le CMA décida, notamment, d’interdire pendant une période de 3 année renouvelable (cette période a d’ailleurs été renouvelée en décembre 2019) l’application de l’exemption du coût présumé (permettant à une entité de décider d’évaluer une immobilisation corporelle à la date de transition aux IFRS à sa juste valeur et d’utiliser cette juste valeur en tant que coût présumé à cette date). Interdiction supportée par la SOCPA au travers d’une circulaire interdisant l’application de la méthode de la réévaluation des immobilisations corporelles et immeubles de placement.

Ainsi donc, au travers de mon expérience en Arabie Saoudite, je constatais qu’une transition aux normes IFRS n’est pas seulement un exercice technique de préparation de retraitements dans lequel on se jetterait tête baissée mais plutôt un Projet fédérant plusieurs parties prenantes à savoir la Socpa, le CMA, le Tadawul, la General Authority of Zakat and Tax («GAZT») mais également les Big four qui, forts de leurs appartenance à des réseaux internationaux, partageaient avec les autres parties prenantes leurs expérience et expertise, le tout agissant dans l’intérêt du marché des capitaux saoudien, de l’économie nationale et au final de la société (plusieurs saoudiens disposant de portefeuilles d’actions en bourse).
Serait-il donc temps à ce que tous les homologues tunisiens des susmentionnées organisations de commencer à travailler main dans la main dans l’intérêt de notre marché des capitaux, de notre économie et de notre société?

* Capital Markets and Accounting Advisory Services, PwC.

** Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne sauraient refléter la position de PricewaterhouseCoopers (PwC).

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