Alors que le monde peine à juguler la crise du Covid-19, un virus inconnu et capricieux, Donald Trump veut préparer le coup d’après, en lançant une offensive à double détente pour disqualifier l’OMS et décrédibiliser la Chine.
Par Hassen Zenati
Lorsqu’il s’agit de ses ennemis, le président des Etats-Unis Donald Trump ne cultive pas la nuance et ne connaît pas le doute. Il fonce tête baissée comme un taureau déchaîné dans l’arène à la vue de la muleta. Il vient de rééditer sa méthode éprouvée contre ses adversaires américains et étrangers, en s’attaquant frontalement à la Chine et à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elles sont accusées d’avoir agi de connivence pour tromper leurs partenaires sur la réalité de l’épidémie, partie de la province chinoise de Wuhan, et d’être in fine seules responsables de la propagation à la vitesse de l’éclair à travers le monde du Covid-19, un virus inconnu, capricieux et dévastateur.
Vers un repli progressif de Washington sur ses pénates
En plus de s’exonérer des erreurs commises dans la gestion hasardeuse de la pandémie aux Etats-Unis, à quelques mois d’une élection présidentielle dont l’enjeu est son maintien à la Maison Blanche pour un second mandat, le président américain n’est pas mécontent de remettre sur le métier un de ses sujets favoris de politique étrangère: la fin du multilatéralisme, et le repli progressif de Washington sur ses pénates.
D’abord peu inspiré en niant la réalité de l’épidémie, qui ne devait pas franchir les frontières américaines, selon lui, puis en la qualifiant de «canular» et en minimisant les dangers qu’elle représente pour les Américains, Donald Trump semble avoir été pris de peur dès que les premiers résultats de la pandémie ont commencé à tomber, annonçant des jours sombres. Il a alors changé le fusil d’épaule, revu son discours et sonné la charge contre le virus, en se fixant des priorités qui ont varié dans le temps.
Au départ, son credo était de remettre les salariés au travail pour ne pas «ajouter la crise économique à la crise sanitaire». Mais au fur et à mesure que, faute de moyens, New-York s’enfonçait dans la crise, alignant les cercueils, il a tempéré son discours en appelant à la prise en charge prioritaire des malades.
Entre les deux discours, les Etats-Unis sont passés en tête du nombre de morts du coronavirus dans le monde : plus de 33.000 décès jeudi soir, 16 avril 2020, et ceux qui présentent le plus grand nombre de patients infectés: plus de 671.000 cas. À New-York, la ville qui ne dormait jamais, devenue ville fantôme, les autorités déclarent 11.000 décès. Même avec le léger ralentissement enregistré ces derniers jours, la courbe des victimes est encore ascendante. Le «pic» n’est toujours pas atteint.
Le ratio population totale nombre de décès, reste cependant inférieur à celui enregistré en Europe, notamment en Espagne, en Italie, au Royaume Uni et en France. Il est en même temps largement supérieur à celui affiché par la Chine, qui, avec 1,4 milliard d’habitants, abrite quatre fois plus de population que les Etats-Unis (320 millions d’habitants).
Haro sur la «connivence» entre la Chine et l’OMS !
Pour le président des Etats-Unis, il ne fait aucun doute que le retard mis par l’administration américaine à se colleter au virus a pour origine le défaut sinon la rétention d’informations, dont l’OMS se serait rendue coupable du fait de sa «connivence» avec la Chine.
L’OMS aurait ainsi tardé à réagir au début de l’épidémie en se fiant naïvement aux informations «caviardées» fournie par Beijing, sans se donner les moyens d’enquêter pour son propre compte. Elle aurait pris pour argent comptant que le Covid-19 ne se transmettait pas directement de l’homme à l’homme, mais seulement de l’animal à l’homme, ce qui s’avérera faux. Elle aurait aussi pris son temps pour déclarer la pandémie, à partir du 30 janvier seulement, et à recommander la fermeture des aéroports, la suspension des vols et du commerce international, alors que le virus s’implantait chaque jour plus menaçant à travers le monde.
Tête de turc de ce réquisitoire implacable : l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreysus, directeur général de l’OMS, qui agirait sous l’influence de Beijing, coiffant une bureaucratie nonchalante, budgétivore et inefficace de 5.000 fonctionnaires. Washington réclame désormais sa tête. Elle a mobilisé la grosse caisse et s’est entourée de tous ses alliés pour s’en défaire. Le plus vite serait le mieux.
À l’intérieur, ce sont les Républicains qui s’y sont collés. Estimant que Tedros Ghebreysus a «échoué dans sa mission de répondre objectivement à la plus vaste crise sanitaire mondiale depuis que la pandémie du VIH/Sida a atteint son pic au milieu des années 2000», dix sept membres de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants ont appelé Donald Trump à conditionner l’attribution de nouveaux fonds à l’Organisation à la démission de son directeur général. Les Etats-Unis sont de ses 196 membres, le premier contributeur au budget de l’OMS (22%) avec plus de quelque 990 millions de dollars, sur 4,5 milliards de dollars. À ces contributions obligatoires s’ajoutent des apports privés du monde pharmaceutique, variables d’année en année.
La France et la Grande-Bretagne se joignent au chœur
À l’extérieur, Donald Trump a fait appel à ses alliés au sein de l’Otan pour un coup de pouce bienvenu alors qu’il n’a cessé de les houspiller sur d’autres dossiers sensibles comme l’Otan ou le réchauffement climatique. Londres et Paris ont immédiatement émis des doutes sur la gestion de l’épidémie par Beijing.
Le premier a averti que la Chine devrait répondre à des «questions difficiles» après la crise et que la coopération ne pourrait pas continuer comme si de rien n’était. «Nous devons regarder tous les aspects d’une manière équilibrée, mais il ne fait aucun doute que tout ne peut pas continuer comme si de rien n’était et nous devrons poser les questions difficiles concernant l’apparition du virus et pourquoi il n’a pas pu être stoppé plus tôt», a ainsi déclaré le ministre britannique des Affaires étrangères Dominic Raab, en charge du gouvernement depuis le Premier ministre Boris Johnson a été infecté par le coronavirus.
Le président français Emmanuel Macron est allé dans le même sens dans un entretien au ‘‘Financial Times’’: «Il y a manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas», a-t-il dit, en pointant du doigt le manque de transparence de l’information en Chine.
Ces reproches ont été en revanche rejetés par la Russie, qui les a trouvés «contre-productives», dans une démarche consistant à resserrer ses rapports avec Beijing.
Le système multilatéral international en sursis
Au-delà de ces échanges ponctuels sur la crise sanitaire, Donald Trump n’a jamais fait mystère de sa volonté de bousculer le système multilatéral international : l’Onu et ses différentes agences et organisations spécialisées, hérité de la seconde guerre mondiale, qui ne convient plus, selon lui, à la politique étrangère volontariste qu’il veut conduire en cavalier seul. Il en a donné un aperçu en déménageant l’ambassade américaine à Jérusalem, et en reconnaissant celle-ci capitale d’Israël sans négocier son nouveau statut avec les Palestiniens comme prévu.
L’OMS est mise à la même enseigne que l’Unesco, dont il s’est retiré parce qu’elle l’a trouve trop pro-palestinienne, la FAO (agriculture), l’Onudi (industrie), ou l’UIT (télécommunications). Elles seront d’autant mieux surveillées que plusieurs ont à leur tête des experts chinois et que la Chine semble y avoir acquis des positions suffisamment fortes lui permettant d’imposer ses points de vue.
La pandémie du coronavirus n’a en même temps pas fait oublier au président américain qu’il était engagé depuis plusieurs mois dans un bras de fer commercial implacable avec la Chine, alors que celle-ci s’emploie à poursuivre son expansion commerciale internationale à travers la reconstitution de la fameuse «route de la soie». Affirmant qu’elle avait «maîtrisé» le virus à domicile, la Chine s’est par ailleurs lancée dans une «diplomatie du masque et des équipements de réanimation», en offrant ses services à tour de bras aux pays qui en manquent ou qui sont dépourvus, éveillant des soupçons sur les objectifs de ce «soft power» de type nouveau.
Pour le département d’Etat, il n’est qu’urgent de décrédibiliser cette offensive notamment en Afrique où Beijing s’est bien implantée ces deux dernières décennies. En niant en premier lieu l’efficacité chinoise en matière de recherche et de santé. Selon le secrétaire d’Etat Mike Pompeo, les Etats-Unis mènent actuellement une «enquête exhaustive» pour savoir comment le coronavirus s’est propagé et dans quelles conditions il a contaminé le monde, provoquant la tragédie actuelle.
La bureaucratie chinoise désignée responsable de la pandémie
Le chef de la diplomatie américaine, classé parmi les «faucons» de l’administration, conforte ainsi, indirectement, des informations recueillies par le ‘‘Washington Post’’ auprès de sources américaines en Chine, selon lesquelles le coronavirus pourrait avoir échappé d’un laboratoire proche de Wuhan où il est apparu pour la première fois. Il ne s’agirait pas d’une «fuite volontaire», mais d’une mauvaise application des protocoles de sécurité par les Chinois, dont «l’incompétence» est ainsi mise en exergue.
Ce qui serait en cause, ce ne sont pas les chercheurs : la Chine dispose d’universités prestigieuses de très bonne qualité, de scientifiques de haut niveau et d’industries de technologie avancée fiables, mais la bureaucratie chapeautée par le Parti Communiste, qui ne laisse place à aucun contre-pouvoir, quitte à accumuler les bavures. En fait, les critiques américaines visent le cœur du pouvoir dans le secret espoir d’y inoculer le virus de la… démocratie.
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