Alors que le ministre de la Santé, Abdellatif Mekki «crève l’écran», le ministre des Finances Nizar Yaïche «fait le mort»! Silence radio : après 5 semaines de confinement, le black-out est total sur les compteurs macro-économiques. Idem, le Chef de gouvernement, Elyes Fakhfakh, est motus et bouche cousue! Il faut arrêter l’omerta!
Par Moktar Lamari, Ph. D. *
Ce n’est pas normal : investisseurs, employeurs, PME et consommateurs n’aiment pas le «confinement des statistiques économiques» et incriminent une telle asymétrie de l’information économique.
C’est pour cela que dans la suite de cette chronique, cinq indicateurs stratégiques sont expliqués, illustrés par des graphiques commentés. De l’évolution de ces indicateurs dépendront les notations de la cote de crédit de la Tunisie par Moody’s, Standard & Poor’s, Fitch, etc.
Pour ce faire, on utilise les données et les estimations crédibles pour étayer les enjeux et les évolutions des indicateurs qui suivent.
Déficit budgétaire. Dans un communiqué en date du 17 mars, Moody’s met en garde le gouvernement tunisien et le somme de contrôler sévèrement ses dépenses, sous peine de dégrader sa notation (rating), de façon à rendre plus difficile et plus couteux son accès aux emprunts internationaux.
Le ministre des Finances doit dire où couper (budgets dans chaque ministère et rubrique de dépenses). Il doit dire quoi faire pour éviter à la Tunisie le discrédit des agences de notation… et du FMI au passage!
Les données figurant dans le graphique suivant sont issues du FMI, exception faite de la donnée de l’année 2020. Celle-ci constitue un proxy tenant compte des dépenses engagées actuellement pour alléger les méfaits économiques du confinement lié à la pandémie du Covid-19. Elle tient compte aussi de l’estimation de la récession du PIB faite par le FMI (-4,3%).
Si rien n’est fait en matière de compression des budgets actuels, prévus dans la loi de Finances pour 2020, le déficit budgétaire risque d’atteindre les 11% du PIB. Deux raisons expliquent cette tendance : i) les donateurs internationaux qui ont aidé la Tunisie au lendemain de la transition démocratique 2020, sont impactés, eux aussi, par le Covid-19 (France, Allemagne, États-Unis, Qatar, etc.), ii) l’aide internationale risque de prioriser des pays plus pauvres que la Tunisie (Afrique subsaharienne).
Endettement. Déjà élevé, le fardeau de la dette sévit dangereusement avec la pandémie du Covid-19! Le niveau d’endettement constitue un indicateur crucial dans la grille de notation et dans la matrice des perceptions de fiabilité économique de la Tunisie.
Créanciers, prêteurs et bailleurs de fonds (bilatéraux et multilatéraux) n’aiment pas prendre des risques en prêtant de l’argent à des pays contaminés, déjà endettés, ayant un tissu économique peu compétitif et dont les élites ne gouvernent pas de manière efficace, transparente et éclairée par les indicateurs de résultats.Tous savent que la Tunisie de la transition démocratique a sacrifié l’économie sur l’auteur des enjeux politiques et intérêts bassement partisans.
Et cela n’est pas un secret de polichinelle : le volume de la dette rapportée au PIB a presque doublé entre 2010 et 2019. Les observateurs internationaux n’aiment pas voir que les élites actuelles endettent leur pays, la Tunisie, pour payer les salaires des fonctionnaires …et passer la facture aux générations futures : leurs enfants et petits-enfants. Immoral, et peu éthique!
Récession. La richesse créée annuellement par la Tunisie (mesuré le PIB-GDP: produit intérieur brut) est de toute évidence sur un toboggan descendant, et affolant pour le pouvoir d’achat et la création nette de l’emploi. Pour la Tunisie, le FMI estime la récession à -4,3% pour 2020.
Comme toujours en Tunisie; c’est le FMI qui construit et estime les indicateurs économiques vitaux. Le gouvernement et la BCT acquiescent, comme si de rien n’était !
Le FMI et ses relais en Tunisie sous-estiment la chute du PIB pour 2020. Avec la complicité de la BCT, le FMI ne produit aucune donnée économétrique au sujet de cette chute du PIB (intervalle de confiance, modélisation hypothèses…).
Et pour cause, les chiffres et les politiques monétaires de la BCT ne tiennent pas compte que du secteur formel. Ce secteur procure à peine les deux tiers du PIB. Quasiment, le tiers du PIB est produit par le secteur informel, un secteur, désormais en cale sèche depuis le début du confinement, depuis la fermeture des frontières et depuis la paralysie du transport routier.
Par ailleurs, les pays européens les plus impliqués dans les échanges économiques avec la Tunisie sont confrontés à des récessions plus ou moins graves pour l’année 2020. Avec des prédictions très négatives formulées par le FMI, mais pas seulement.
Devons-nous croire le FMI, devons-nous adhérer aux politiques monétaires de la BCT? Devons-nous fermer les yeux pour ne pas voir le secteur informel et son pouvoir économique, monétaire et politique?
Que des questions sans réponses et que les médias doivent soulever et éviter de les occulter !
Un enjeu majeur pour la transparence dans les chiffres économiques. La confiance à l’égard de l’État en dépend. Le chef de gouvernement doit agir pour informer et éclairer la prise de décision des acteurs privés.
Chômage. Avec un stock de presque 650 000 chômeurs, la pandémie du Covid-19 risque de générer presque 400 000 chômeurs additionnels (secteur touristique et services liés). Soit un total d’un million de chômeurs, dans toutes les régions et tous les secteurs, pour les prochains mois. Les estimations les plus conservatrices portent à croire que le taux de chômage risque de passer de 15% à 19%.
Nos estimations sont différentes. Elles portent à croire que les vraies estimations du chômage peuvent frôler les 22 ou 24 %, si évidemment le gouvernement ne fait rien pour débloquer rapidement la panne actuelle de l’investissement et de la création des entreprises.
Et cela ne tient pas compte des dizaines de milliers d’actifs revenant de l’étranger, licenciés par leurs employeurs internationaux. Ici aussi, toute la force de travail active dans le secteur informel est ignorée par les estimations médiatisées par les médias et qui voguent en méconnaissance des réalités des régions intérieures et frontalières.
Déficit commercial. Les déséquilibres entre les flux d’importation et les flux d’exportation ont connu, durant les dernières années une progression anormalement élevée. Déjà avant le Covid-19, les Tunisiens consomment plus de produits importés que des produits autoproduits par la Tunisie.
Avec le confinement, un tel déséquilibre va exploser en 2020. La Tunisie se nourrit essentiellement grâce aux céréales, aux viandes…importées. Or, les dernières nouvelles (des 3 derniers jours) nous indiquent que les cours mondiaux des denrées alimentaires sont en hausse …Ces denrées sont payées en devises, avec en filigrane un dinar dévalorisé comme jamais.
De tels déficits vont évidemment mettre encore plus de pressions sur le pouvoir d’achat des citoyens, ouvrant la porte à des tensions sociales, non seulement entre les syndicats et le gouvernement, mais aussi entre les parties prenantes de la sphère politique. Une sphère déjà morcelée et dominée par le parti religieux Ennahdha. Une sphère discréditée et de plus en plus par l’opinion publique.
Investissement. Le dernier indicateur et non le moindre a trait à l’investissement. Rapporté au PIB, cet indicateur (rapporté au PIB) a chuté d’au moins 6 points de pourcentage entre 2011 et 2019. La pandémie du Covid-19 va amplifier la chute et élargir le terrain de ses méfaits.
Mais ici, le problème est, entre autres, lié à une politique monétaire dévastatrice, et qui prétendument axée sur la lutte contre l’inflation, elle stérilise l’investissement et castre l’épargne. La politique monétaire en Tunisie n’est pas fondée sur l’évaluation et la mesure de l’efficience. Elle fait face à une double impasse : une impasse théorétique très dogmatique et une impasse empirique très politisée et à la solde des groupes de pression, y compris les pressions venant du FMI.
Cette semaine, l’Union européenne a attiré l’attention sur une fuite de capitaux des pays africains concernés par la pandémie Covid-19. La Tunisie est concernée par ces fuites dommageables à l’économie du pays.
Notre estimation, présentée dans le graphique suivant, tient compte de ses déterminants et paramètres vérifiables.
Pour contrer la récession encours et atténuer ses méfaits socio-économiques néfastes, le ministre des Finances Anis Aiche, ainsi que le chef de gouvernement Elyes Fakhfakh doivent se doter de vrais politiques contra-cycliques et des stratégies bien conçues, économiquement efficientes et pas financées par la dette.
Mais en attendant, ils doivent donner l’heure juste au sujet des principaux indicateurs macroéconomiques. Dire, entre autres, l’état des lieux des systèmes productifs, cinq semaines après le début du confinement lié au Covid-19.
* Universitaire au Canada.
Donnez votre avis