La Tunisie, pays dont la civilisation est trois fois millénaire, ne mérite pas sa classe politique actuelle, manquant cruellement de prestance, d’élégance et de verve tribunitienne, et qui tire le pays par le bas.
Par Adel Zouaoui *
Dans le monde libre d’aujourd’hui, la fiabilité de l’action politique est fortement tributaire de l’image. La gestuelle, le langage, la tenue, ou le respect ou non-respect des codes vestimentaires et protocolaires contribuent fortement à renforcer ou à affaiblir l’autorité des politiques. Un geste mal placé, un mot écorché, une phrase mal construite, une prononciation massacrée, ou une allure mal soignée peut vraisemblablement choquer les électeurs et même hypothéquer toute une carrière.
Contrairement aux régimes démocratiques, dans les dictatures, les despotes ne se soucient guère de leur image. Ils imposent leur mégalomanie et leur narcissisme pathologique à leur peuple et les obligent de surcroît à les idolâtrer. L’allure vestimentaire fantasque de Kadhafi ou la coupe de cheveux on ne peut plus excentrique du dictateur coréen, Kim Jong-un, illustrent bien cet état de fait.
Fort heureusement, la Tunisie, bien qu’ayant vécu sous le joug de régimes autoritaires, n’a pas souffert de toutes ces extravagances. Et pour cause, notre pays est dépositaire d’une civilisation trois fois millénaire, l’ayant doté, sur de longs siècles, d’une série de codes diplomatiques, de règles de bienséance ou d’ordre de préséance.
En observant les grands portraits des monarques beylicaux dans des costumes chamarrés de galons, on réalise rapidement l’aura que dégageaient les cercles du pouvoir à ces époques et le respect qu’ils forçaient auprès, surtout, des chancelleries étrangères
Mais ou en est-on aujourd’hui?
La clochardisation de la vie politique après 2011
Au lendemain de la chute de Ben Ali et des premières élections libres, la Tunisie tout entière a été prise de court par la clochardisation de la vie politique. Pour la première fois on voyait un bon nombre de politiques mal rasés, fagotés comme un as de pique, au langage ordurier, au comportement erratique et au surplus, dotés d’une faible maîtrise aussi bien de leurs dossiers, que de la langue dans laquelle ils choisissent de s’exprimer.
On n’oubliera pas de sitôt le passage calamiteux à la magistrature suprême de Moncef Marzouki. Grincheux et mal fagoté, le deuxième président de la seconde république par intérim après la révolution s’est tristement illustré par des bourdes et des attitudes clownesques indignes d’un chef d’Etat. Ce qui a fait dire à l’ex-émir de Qatar, en visite à Tunis, sur un ton goguenard, que les Qataris apprendront à Marzouki comment se vêtir et comment se tenir. Une insulte à la Tunisie et à son riche passé.
On se rappellera aussi de Rafik Abdessalem Bouchlaka, ancien ministre des Affaires étrangères sous le gouvernement conduit par les islamiste d’Ennahdha (2012-2013) et de ses méprises sur la géographie des pays, ou alors de l’interview qu’avait accordée le chef du gouvernement provisoire de l’époque Hamadi Jebali à une chaîne de télé française, et dans laquelle il s’est exprimé dans un sabir presqu’inintelligible, fait de mots français et arabe.
Des monstruosités susceptibles d’écorner le prestige de l’Etat
Ces pas de clerc de la part des politiques ont continué malheureusement à se multiplier comme si de rien n’était. Chaque nouveau gouvernement charrie son propre lot de frasques.
Sinon, que dire de l’accueil, on ne peut plus bâclé, réservé à l’ambassadeur de France, Olivier Poivre d’Arvor, par l’actuel ministre du Commerce, Mohamed Msilini, dans son cabinet. Puisque le fanion arboré en l’honneur de l’invité fut confondu avec celui de la Hollande. Une méprise de taille qui aurait frisé
l’incident diplomatique en d’autres temps et sous d’autres cieux.
Et ce sans parler du massacre systématique de la langue de Molière. Outre les mots qu’on écorche, on est tombé des nues d’avoir entendu des politiques confondre entre humanité et immunité, aspirateur et respirateur, ou se tromper sur les accords de certains adjectifs. Du coup, les résultats deviennent bonnes au lieu de bons et les masques chirurgicales au lieu de chirurgicaux.
Toutes ces monstruosités sorties de la bouche de représentants, élus ou ministres, pourraient écorner le prestige de l’Etat et de ses institutions aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Tunisie. Mais qui s’en soucie vraiment?
Plus grave encore est la récente visite inopinée du président de la république au gouvernorat de Kairouan et le ridicule qui s’en est suivi. Sur une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux on est abasourdi de voir le chef de l’Etat portant sur son épaule un carton au milieu d’une foule opaque pendant que ses gardes étaient en train de crier à tue-tête le nom de l’individu lui ayant dit qu’il n’avait qu’un œuf pour son dîner. Un spectacle on ne peut plus ubuesque et déshonorant pour l’institution présidentielle.
Aussi, on ne s’attardera pas sur les turpitudes de Noureddine Bhiri, de Jamila Ksiksi, de Seifeddine Makhlouf, ou le galimatias et l’agressivité à fleur de peau de Samia Abbou, ou l’infantilisme de Amrou Amroussia, qui avait agité deux sucettes face à l’ex-chef du gouvernement, Youssef Chahed, pour lui exprimer son désaccord et sa colère.
Les ministres de Bourguiba et de Ben Ali inspiraient plus d’autorité
En se remémorant toutes ces images et toute la risée qu’elles ont provoquée on ne peut s’empêcher de comparer la classe politique-post révolutionnaire- avec celle qui lui a précédé. Habib Bouguiba, Bahi Ladgham, Hédi Nouira, Chedli Klibi, Mahmoud Messadi, Azouz Lasram, Rachid Sfar, pour ne citer que ceux-là, avaient donné du sens aux fonctions qu’ils avaient occupées. Ils brillaient par leur prestance, leur élégance, leur haute tenue langagière, leur manière raffinée. Même Ben Ali et ses ministres ne dérogeaient pas aux codes de la bienséance. Toute cette classe politique était consciente que de leur image dépendait leur autorité et le prestige de l’Etat.
Force est de constater qu’aussi loin que l’on se souvienne, la Tunisie a toujours bénéficié d’une image plutôt positive à l’étranger. Bon nombre d’entre nous gardent encore en mémoire le chaleureux accueil réservé par Kennedy à Bourguiba en 1961 et les images de la parade dans une décapotable et sous une pluie de confettis de ce dernier sur la célèbre avenue de Broadway.
La Tunisie, pays dont la civilisation est trois fois millénaire, ne mérite pas sa classe politique actuelle, laquelle la nivelle par le bas.
Notre riche patrimoine marqué par des influences apportées sur des siècles par les différentes civilisations regorge de rites, d’us et de coutumes et de toutes sortes de traditions de bienséance, de politesse et de courtoisie.
La Tunisie n’est-il pas le pays du jasmin, des senteurs et des parfums exquis, des beaux bijoux, des beaux vêtements, d’une riche gastronomie, du bon goût, d’un dialecte savoureux, du savoir-vivre et du raffinement.
Alors pourquoi tant de médiocrité et de laideur de la part de la classe politique actuelle qui viennent s’ajouter à la disgrâce de notre paysage urbain. Nos député(e)s, ministres, hommes et commis d’Etat ne sont-ils pas censés nous représenter de la meilleure façon qu’il soit dans un monde où l’image est devenue omniprésente.
A-t-on oublié que nous appartenons à un pays singulier qui a enfanté une pléiade d’artistes, de poètes, d’écrivains de génie. Ou sont les Abou El Kacem Chabbi, Ali Riahi, Hédi Jouini, Mahmoud Messaidi, Zoubeir Turki, Mahmoud Shili, Leila Menchari et tant d’autres au milieu de cette laideur ambiante qui nous étouffe chaque jour un peu plus.
Alors mesdames et messieurs, pour gouverner, prière de réveiller l’artiste qui est en vous, afin de redonner à ce pays, petit par la taille grand par l’histoire, la grandeur qui a été toujours la sienne.
* Sous-directeur chargé de l’organisation des manifestations scientifiques à la Cité des sciences de Tunis.
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